Tamazight à lécole c’est parti !

13 septembre 2003 - 11h22 - Culture - Ecrit par :

Les cours sont obligatoires et concernent tous les enfants, qu′ils soient berbères ou pas. C′est une révolution... discrète.

Elections municipales, affaires de drogue, procès des terroristes... Au milieu de toute cette agitation, qui s′y intéresse ? Pourtant, la rentrée scolaire 2003-2004 porte en elle les germes d′un Maroc nouveau, radicalement différent de ce qu′il a été jusqu′à présent. Imaginez seulement qu′à l′horizon 2020, tous les Marocains scolarisés parleront berbère, qu′ils se revendiquent berbères ou pas ! Faute de chiffre officiel (les recensements l′ont donné, mais c′est un secret d′Etat), il est généralement admis que la moitié des Marocains sont berbérophones. Autrement dit, l′autre moitié ne l′est pas. Conclusion : une moitié de nos compatriotes ne comprend pas l′autre (ce qui n′est pas réciproque, puisque la langue officielle, celle de l′enseignement et des médias, est l′arabe). Eh bien cela va changer : à compter du 15 septembre 2003, date de la rentrée, des cours de tamazight seront dispensés à des enfants marocains. Ils seront obligatoires pour tous, qu′on se dise berbère ou pas.
C′est en 1994 que Hassan II avait promis l′enseignement "imminent" du tamazight à l′école. Depuis, 9 ans sont passés, et la revendication identitaire amazighe dispose désormais d′une structure royale (autrement dit d′un boulevard) pour avancer : l′Institut royal pour la culture amazighe (IRCAM) créé en 2001 par Dahir. Deux ans plus tard, l′enseignement du tamazight à l′école démarre enfin, et le ministre de l′Education, Habib El Malki, qui a signé un protocole avec l′IRCAM le 26 juin dernier, parle de réforme "irréversible".
Mais irréversible ne veut pas dire facile. Politiquement, le sujet est toujours sensible. Tout en promettant le paradis pour les militants amazighs, Hassan II avait élaboré un purgatoire doté de plusieurs raffinements. Le plus élaboré de ceux-ci était sans doute cette trouvaille des "dialectes". Pour citer le grand linguiste français Lionel Galland, qui a formé des dizaines de chercheurs amazighophones, "un dialecte est une langue qui a échoué politiquement". Il a raison. Nombreux sont les Marocains, aujourd′hui, qui pensent qu′il n′existe pas de langue amazighe unifiée, mais 3 patois distincts : le tarifit, parlé dans le nord, le tamazight, parlé dans le centre et le tachelhit, parlé dans le sud. Tous les militants sont unanimes : c′est une supercherie. Il existe, bien sûr, des mots et des structures syntaxiques différents d′une région à une autre - mais pas plus que pour la darija, truffée de synonymes "régionaux". Il n′empêche. Sur la lignée des flashes de télé triples, il y aura, en janvier 2004 - d′ici là, des "fiches pédagogiques" seront distribuées aux instits - , 3 manuels scolaires de tamazight distribués gratuitement aux élèves et instits de CP. Avec les mêmes textes, les mêmes images... juste quelques mots différents ça et là. Dans un interview au mensuel Le Monde Amazigh, El Malki parle d′une mystérieuse "commission d′experts" qui aurait décidé que les classes devaient se faire en 3 "dialectes" distincts... le temps que l′enseignement du tamazight atteigne les grandes classes et que, le niveau s′élevant, on arrive à une langue unifiée. Même 4 ans après la mort de son concepteur, on ne s′émancipe d′une stratégie hassanienne qu′avec une prudence de loup. L′enseignement des dialectes, pour autant, n′est pas exempt de vertus pédagogiques. Pour l′instant, les cours de tamazight sont cantonnés au cours préparatoire, à raison de 3 heures par semaine, réparties sur 5 jours. A 6 ans, il est en effet préférable que l′enfant communique à l′école avec les mots qu′il utilise chez lui. La sophistication, comme l′unification, viendront plus tard.
Quand ? Selon les projections du ministère, ce n′est qu′à l′horizon 2013, lourdeur des effectifs oblige, que l′enseignement du tamazight couvrira tous les niveaux du primaire. D′ici là, assure-t-on, 19.000 enseignants auront été formés. Moins peuplés, le collège et le secondaire seront entièrement couverts en 2011. Cette année, seules 317 écoles (ce qui représente environ 5% des établissements scolaires du royaume) seront touchées. L′opération s′est préparée, conformément aux coutumes de notre administration, dans une joyeuse pagaille. A la hâte - agenda royal oblige - le ministère a fait circuler, en juin, des formulaires dans toutes ses délégations provinciales, pour identifier les instits berbérophones. 1.090 ont répondu à l′appel (dont une quarantaine d′imposteurs non berbérophones qui ont depuis, assure Jamal Khallaf, coordinateur du projet au ministère, été rayés des listes). Pendant deux semaines, en juillet, ils ont bénéficié de cours accélérés de mise à niveau dans neufs centres de formation, couvrant toutes les délégations scolaires du pays : Laâyoune, Agadir, Marrakech, Beni Mellal, Rabat, Meknes, Fès, Oujda et Al Hoceima. La répartition des effectifs des instituteurs laisse songeur : on en retrouve, par exemple, 79 relevant de la délégation de Khemisset... contre 31 pour tout le grand Casablanca. L′école Saqia-al-Hamra du douar Aït Ikou, par exemple, en a envoyé 23 à elle seule ! Unique explication : l′enthousiasme des volontaires, variable selon la région, les effectifs d′enseignants locaux, et leur degré de berbérophonie. Alors qu′on attendait 75 inspecteurs, Jamal Khallaf assure qu′on dépasse les 110 volontaires ! La formation accélérée des instits et des inspecteurs comprenait des programmes de langue, bien sûr (grammaire et conjugaison), mais aussi de culture générale (littérature amazighe principalement - elle se compte déjà en milliers d′ouvrages, surtout des essais et recueils poétiques), et... d′histoire ! Tout à fait innocemment, on parle aux futurs enseignants des souverains Jugurtha et Masinissa. Quant aux berbères, c′est une évidence, ils ont toujours peuplé le Maghreb. L′air de rien, c′est une révolution. Il n′y a pas si longtemps, souvenons-nous, l′Histoire du Maroc démarrait officiellement avec l′Omeyyade Idris Ier et les amazighs "venaient du Yémen et de Syrie, en passant par l′Ethiopie et l′Egypte". Une version de l′Histoire qu′Ibn Khaldoun, au XIVème siècle déjà, "rangeait au nombre des fables" ! Pendant des décennies, les militants ont hurlé "l′Histoire est falsifiée". Sa "correction" est désormais enclenchée, et le lobby amazigh marque d′énormes points... dans la plus grande discrétion. Une stratégie inédite qui devrait faire école.

Traduit en tamazight : Le Coran de la discorde
Voilà un sujet qui déchaîne les passions. Pourtant, il ne s′agit que d′une énième traduction du Coran, déjà disponible en 40 langues. Pourquoi celle-là suscite-t-elle tant de remous ? Pas de réponse claire, sinon "l′inutilité" de la chose. Mais depuis quand juge-t-on une traduction à l′aune de son "utilité" ? D′ailleurs, elle est sans aucun doute utile, pour tous ces fervents pratiquants non arabophones, condamnés depuis toujours à psalmodier des versets dont ils ne comprennent rien...
Retraité de l′enseignement (il était prof d′histoire) l′auteur, Houcine Jouhadi, avait déjà fait parler de lui au milieu des années 90, en publiant une biographie du prophète en tamazight. L′ouvrage, tiré à 3000 exemplaires, s′était arraché, principalement parmi les foqaha berbérophones du Souss. La polémique ne l′a rattrapé qu′en 1999, quand l′hebdomadaire anglais The Economist avait mentionné son projet de traduction du Coran dans un article, repris par Al Ousboue. Jouhadi avait alors reçu une visite d′"agents" non identifiés qui l′avaient, semble-t-il, menacé. On n′en sait pas plus, car depuis, il refuse tout contact avec les médias.
Disponible depuis juin dernier, l′œuvre (prudemment intitulée "traduction des préceptes du Saint Coran" - même s′il s′agit clairement d′une traduction littérale) a été imprimée en 3000 exemplaires et distribuée confidentiellement par l′auteur*. Ceux qui l′ont lue en parlent un grand sourire aux lèvres : "c′est comme si le Coran avait été traduit en darija. L′utilisation de mots simples désacralise le texte et permet une lecture critique que l′usage du classique interdit". C′est certainement ce qui dérange les islamistes, farouches opposants à cette traduction. Dommage pour eux et tant mieux pour la science.

*L′ouvrage est disponible à la librairie Gauthier, rue Moussa ibnou Noussair. Casablanca

Telquel, Maroc

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