Pour ou contre le vote de la communauté marocaine de l’étranger

13 mars 2007 - 00h15 - Maroc - Ecrit par : L.A

Voici des années que les associations de Marocains résidant à l’étranger (MRE) bataillent pour obtenir le droit de vote. Aujourd’hui, les « Marocains d’ailleurs », exclus de toute autre votation, ne peuvent s’exprimer que par référendum.

Pourtant, en 1984, le gouvernement avait permis à la diaspora, certes beaucoup moins nombreuse qu’aujourd’hui, de voter aux législatives. Mais ni les modalités de vote, ni les prérogatives assignées aux députés, ni les représentants élus n’ont été à la hauteur des attentes des citoyens expatriés. Résultats : plus d’élection pour les MRE.

L’ère Mohammed VI a toutefois apporté un vent d’espoir et les tenants du vote des MRE sont revenus à la charge. Las, le gouvernement de transition d’Abderrahmane Youssoufi enterre définitivement leurs espoirs. Les Marocains de l’étranger ne voteront pas à ce que les observateurs s’accordaient à appeler les « premières élections transparentes et démocratiques » du Royaume. Le jeune roi est pourtant sensible aux arguments des défenseurs de ce vote et n’a pas manqué de lancer des signaux aux Marocains d’ailleurs, reconnus comme une réelle puissance financière et comme vecteurs de l’image du Royaume dans le monde. Le 6 novembre 2005, Mohammed VI annonce la participation prochaine au vote de tous les citoyens, où qu’ils se trouvent, mais ne donne aucune indication sur les modalités d’élection ni sur la répartition des circonscriptions. Seule est prévue la création d’un Conseil supérieur de la communauté marocaine de l’étranger (CSCME).

Débute alors un ballet de consultations plus ou moins officielles de tous les proches de la diaspora. Le résultat de ces conciliabules viendra avec le discours royal du 6 novembre 2006. Le roi ne mentionne plus le vote des MRE qui ne participeront pas aux prochaines élections de 2007. Raisons invoquées : trop de complications techniques. L’accent a été surtout mis sur le CSCME, à charge au Conseil consultatif des droits de l’Homme de rendre un avis sur sa constitution prochaine. Associations, politiques et chercheurs se mobilisent pour remettre sur le tapis la question du droit de vote des Marocains du monde.

"POUR"

Ali el baz, coordinateur de l’association des travailleurs maghrébins en France (atmf)

Nous devons voter parce que nous sommes marocains et que la constitution de notre pays d’origine ne fait pas de différence entre les Marocains qui vivent dans ou hors du territoire national. Voter est un droit propre à l’être humain, il n’est pas négociable. Nous ne nous sentirons pas citoyen si nous n’exerçons pas ce droit-là. Le vote des MRE est une affaire qui concerne les partis politiques et le législateur.
En France, on oppose les générations, accordant un traitement différent aux parents immigrés et à leurs enfants. Il y a de nombreuses idées reçues. Beaucoup pensent que les enfants d’immigrés sont moins concernés par la vie politique de leur pays d’origine que leurs parents. C’est peut-être vrai. La question du vote des MRE se pose aujourd’hui.

Pourquoi ne penser qu’aux enfants ? Nous sommes marocains et nous contribuons à la vie économique et culturelle du Maroc actuel.
On oppose également les cultures. On pousse les Marocains à choisir un camp, le pays d’accueil ou d’origine. J’ai un besoin d’appartenance à ces deux territoires. Nous sommes dans un monde global qui n’est pas figé dans la conception d’un Etat nation. Ma famille est au pays et j’y ai encore des liens forts. Je ne comprends pas pourquoi on veut me couper de moi-même. J’ai des intérêts ici et là-bas, et je veux donner mon point de vue ici et là-bas. Je me sens aussi bien de France que du Maroc. Je vibre tout autant pour l’équipe de football française que pour celle du Maroc. Refuser le droit de vote aux MRE, c’est les pousser à n’être que français, européens. C’est un appauvrissement. C’est comme si on nous amputait d’une partie de nous-mêmes. La proposition faite aux nouvelles générations de voter dans le lieu de naissance des parents ou des grandsparents ne tient pas la route. Il faudrait prendre l’avion pour aller parfois voter au fin fond du pays, c’est absurde ! Déjà qu’il est difficile de déplacer les personnes pour voter dans les consulats qui sont souvent à plus de 150 kilomètres de leur lieu de résidence…

Pour justifier le fait que les MRE ne voteront pas aux législatives de 2007, on nous a dit qu’il y avait des problèmes techniques. Mais lorsqu’il y a une volonté politique, il y a des solutions. En 1984, l’ATMF avait appelé à boycotter ce scrutin. C’était la période des années de plomb.

Toutes les conditions pour que les élections se déroulent de manière démocratique n’étaient pas requises. Aujourd’hui, il y a davantage de transparence et le processus électoral est plus démocratique. L’ATMF ne présentera aucun candidat, nous ne soutiendrons personne non plus. Toutefois, nous nous arrogeons le droit d’interpeller les politiques. Nous réclamons le droit de vote et d’éligibilité dans nos lieux de vie !

"CONTRE"

Hassan ben m’barek, président de l’association citoyenneté et démocratie, et porte-parole du collectif « banlieues Respects »

Dans les années 1980, la première élection de représentants de la communauté marocaine à l’étranger n’a pas été très concluante. Les deux représentants élus n’ont pas assez défendu l’intérêt commun, loin s’en faut. En outre, cette stratégie qui pousse à la représentativité des doubles nationaux peut conforter certains responsables politiques français qui souhaitent remettre en cause la présence sur le territoire national d’une population d’origine étrangère qui ne cesse de croître.
En France, où vit la plus importante communauté marocaine du monde, se pose la question de l’appartenance identitaire : qu’est-ce qu’être français ? Il s’agit de ne pas opposer une catégorie de Français à une autre, ceux qui sont d’origine étrangère (et qui votent déjà dans un autre pays) et les Français « de souche ». Cette option pourrait s’avérer dangereuse pour les personnes issues de la seconde génération et les suivantes, pour celles qui souhaitent prendre souche sans renier leurs origines.

Dans quelques années, quatre adultes sur dix seront d’origine maghrébine ou africaine. Permettre à certains de voter au Maroc pourrait donner des arguments à ceux qui rejettent la double nationalité et qui pensent qu’on ne peut s’engager que dans le pays où l’on vit. Beaucoup de gens ne sont déjà pas bien intentionnés à l’égard des jeunes Maghrébins pris en otage par les politiques à l’approche de ces échéances électorales importantes en France et qui vivent, pour le plus grand nombre, dans des quartiers sensibles, souvent lieux de relégation sociale. Ils ne cessent d’être confrontés au chômage, à la précarité, à l’exclusion, et ils font face à toutes sortes d’humiliations dues à la ségrégation, à la discrimination et au racisme ordinaire. De plus, la vie politique du Maroc ne passionne pas les jeunes générations qui prennent de plus en plus de distance par rapport au pays de leurs parents, même si beaucoup y vont en vacances chaque année. Il aurait fallu qu’il y ait un travail sérieux fait par l’ambassade et les consulats pour repérer des leaders parmi ces jeunes, comme le font les ambassades des Etats-Unis et de Grande-Bretagne. Pour favoriser la création d’outils (associations culturelles, groupements, etc.) et y affecter des ressources humaines et financières. Il faudrait regrouper ces jeunes autour de leur identité marocaine et les inciter à s’y attacher.

Je ne suis donc pas actuellement pour une représentation des RME au Maroc d’un point de vue stratégique. Mais, d’un point de vue affectif, je pourrais y être favorable car tous ceux qui, comme mon père, ont travaillé durement, pendant des années, ont participé au développement des richesses du Maroc. Ils ont rudement économisé pour investir dans leur pays d’origine et indirectement le construire. Ils doivent être considérés comme des citoyens à part entière. Il serait donc légitime que nos mères et pères votent au pays et que leurs intérêts soient défendus.

Le courrier de l’Atlas

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