36 heures à bord du ’Marrakech’

19 février 2005 - 13h02 - Espagne - Ecrit par :

Dans le port de Tanger, le Marrakech est facilement reconnaissable. Par sa taille d’abord. Sa longueur est de 127 mètres, soit à peu près une fois et demie un terrain de football. Le car-ferry, bateau amiral de la COMANAV, doit sa réputation, dans une large mesure, aux voyages qu’effectuait à son bord feu Hassan II. Impossible donc, une fois à bord d’oublier ce détail. Et, malgré quelques réserves d’usage, les membres du personnel, une fois mis en confiance (c’est nécessaire), vous racontent quelques anecdotes cocasses sur les pérégrinations du défunt Roi, histoires que d’autres leur ont à leur tour racontées...

Le Marrakech tangue entre fantasmes et réalité.
Une fois les formalités d’embarquement accomplies, de fort jolies hôtesses vous accueillent à la réception, avec le sourire, afin de vous remettre les clefs de votre cabine. Un sourire qui est toutefois difficile à garder quand il s’agit d’expliquer et ré-expliquer, des heures durant, les usages du bord à nos RME... Drôle de faune, tout de même, nos Marocains de l’étranger. Après quelques jours au bled, ils n’ont pour seule hantise que de regagner leur si chère Europe, oubliant parfois, dans cette quête, quelques civilités. Heureusement que le commissaire Aboussourour (rien à voir avec la maréchaussée, celui-là) veille au grain. Il porte bien son nom, Aboussourour. Non seulement il bichonne tout le monde (jusqu’à 624 personnes voyagent sur le bateau en période de pointe), mais trouve également le temps de remonter les bretelles aux serveurs et autres employés de l’hôtellerie si jamais ils se laissaient aller. Et sur ce point-là, le commissaire a fort à faire puisqu’il est à la tête d’une soixantaine de personnes qui représentent le département hôtelier, sur la centaine qui constituent les membres d’équipage du Marrakech.
Dans le garage, un homme se démarque facilement des autres. Visage émacié, ton solennel et allure martiale, celui que tout le monde appelle l’khlifa est debout au milieu du garage du bateau. Il place les voitures et les camions, les replace et puis change d’avis et les re-replace. La capacité du garage ne dépassant pas 220 véhicules, il se démène comme un beau diable pour que tout le monde ait une place. C’est lui la cheville ouvrière du Marrakech, semble-t-il. Il ne quitte jamais son talkie-walkie... Rapport détaillé, minute par minute au raïss, la plus haute autorité sur le bateau après Dieu, et qui se fait toujours désirer. Et pour cause ! Le Raïs Slimane Chadli est sur la passerelle... Il supervise de loin, privilège de commandant, susurre-t-on, tout ce qui se passe sur le bâtiment. S’il reste le maître à bord, il met rarement la main à la pâte bien qu’il soit toujours informé du moindre petit détail.
Au moment où le bateau commence à manœuvrer pour quitter le port, Ahmed dit Limouna (il habite Torino et arbore un tee-shirt orange, des godasses oranges et une taguia, elle aussi orange) en est à sa troisième serbissa. Accoudé au bar Al Mamounia, il guette quelques jolis spécimens. Plus tard, je me suis rendu compte qu’il n’était pas le seul. Je savais que la mer donnait le mal de mer, mais j’étais loin de subodorer qu’elle avait également des effets aphrodisiaques sur le chaland. « Assahbi, les filles d’taliane, qui voyagent seules, ne refusent jamais les avances. Kaytfahmou maak b’zerba », me confie Limouna, sûr de ce qu’il avance.
Le haut-parleur annonce que le dîner sera servi dans dix minutes. Deux restaurants tournent à plein régime sur Le Marrakech. Ils peuvent servir jusqu’à 630 repas, trois fois par jour. De ce côté-là, je suis rassuré. Le chef pâtissier me dit fièrement que ses fours peuvent produire 2 300 pains par jour. De quoi subvenir aux besoins des voyageurs et de l’équipage. Vers 20h30, Aboussourour (le commissaire de bord) est venu me « convoquer » chez le commandant. Convoqué par un commissaire (!), et je n’esquisse même pas un battement de cils... Décidément, la mer a des effets bizarres sur les gens !
C’est dans le carré des officiers, un salon confortable où trône une grande télé, que le commandant m’invite à dîner. Autour de la table se retrouvent, selon un rituel immuable, le chef mécanicien, L’khlifa, le commissaire, T’bib (le médecin du bord) et un ou deux invités selon le bon plaisir du commandant (un autre privilège). Le service est digne d’un cinq étoiles et les mets sont succulents. On parle de tout, mais surtout du mal de mer. Pour l’instant, RAS (rien à signaler).

Le Marrakech, Bar Al Mamounia, 22 heures
Sur la piste de danse, la fiesta bat son plein. La sono crache un air de raï, d’un chanteur inconnu, qui fait apparemment fureur outre-méditerrannée, selon Simo le barman. Limouna est en transe au milieu de la piste. Il s’est même permis un karaoké : « Fi khater taliane sec ! ». A ses côtés, une jeune femme, surnommée Chahba par Simo, lui donne la réplique, et de quelle manière ! Une danse orientale endiablée, où Chahba joue des hanches et de toutes les parties généreuses de son anatomie. Le public applaudit à tout rompre. On se croirait à Aïn Diab, dans un cabaret oriental. Sous les regards fiévreux de certains, Chahba rejoint un jeune homme en sandales attablé près de la piste de danse. Apparemment, elle a déjà un plan. « C’est normal qu’elle me snobe. Tu as vu le monde qui lui tourne autour. Chouf assahbi, ce n’est pas avec Boussandala qu’elle sortira du bateau. » Pour le moment, j’ai peur que ce soit Boussandala qui ait une vitesse d’avance.
Au même moment, Aboussorour reçoit dans son bureau un barbu qui ne comprend pas que sa femme soit logée dans une autre cabine que la sienne. Le commissaire a beau lui expliquer qu’ils ont payé, sa femme et lui, des places en classe économique. Et qu’en classe économique, ce sont des cabines de quatre lits. Alors, les hommes sont avec les hommes et les femmes avec les femmes. Rien à faire. Le barbu se laissera enfin convaincre, rassuré par cette séparation.
A La Mamounia, Chahba et Boussandala sont en pleine conversation, sous le regard noir de Limouna qui peste contre la dépravation des mœurs. Ça ne durera pas longtemps. L’khlifa, qui passait par là, leur envoie le veilleur de nuit pour les rappeler à l’ordre. « On ne tolère aucun écart de conduite sur le Marrakech. Si quelqu’un force sur la bouteille ou se montre entreprenant, il sera mis au cachot sur ordre du commandant. Le bateau est équipé d’une cabine aménagé en cellule ». L’khlifa est clair. D’ailleurs, le couple d’amoureux choisit de se séparer. Limouna jubile.

Samedi, 11 heures du matin
Sur le pont, plusieurs passagers lisent ou scrutent l’horizon sous un soleil radieux. Au Lido, Oussama le magicien organise des tours de magie pour les enfants. La plupart des passagers regardent la télé ou taillent une bavette. La journée se déroule tranquillement. A la tombée de la nuit, le bateau commence à tanguer sérieusement. Au dîner, la moitié des passagers manquent à l’appel. Ils préfèrent se cacher pour laisser libre cours à leurs nausées... T’bib est en alerte. Il distribue des pilules pour calmer les estomacs fragiles. Au bar, pour les serveurs, c’est le répit. Rares sont les passagers qui bravent la houle. Ce soir, ni Limouna ni Chahba ne montreront le bout de leur nez. Le personnel en profite pour se reposer un peu et nettoyer le bateau.

Dimanche, 12 h 20 mn
Sète est en vue. Même si le bateau continue de tanguer, les passagers sont dans les salons de la Mamounia pour échanger adresses et numéros de téléphone. Le commandant est sur la passerelle pour diriger la manœuvre. En bas, l’excitation redouble d’intensité et le personnel aide les passagers à descendre les bagages. Si on est content de retrouver le plancher des vaches, c’est quand même avec un pincement au cœur qu’on va quitter le Marrakech. La propreté, la qualité du service et le sourire y sont de rigueur, rien à dire, le bateau mérite sa notoriété. A Sète, le Marrakech fait partie du patrimoine de la ville. Dans les kiosques, il est immortalisé sur des cartes postales... Petit hommage pour un grand bateau.

Majestueux, le car-ferry de 127 mètres de long s’apprête à rejoindre Sète où il est aussi célèbre qu’au Maroc.

karim douichi - La Vie economique

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