Du hallouf made in Morocco

22 décembre 2007 - 09h33 - Maroc - Ecrit par : L.A

Depuis dix ans, le nombre d’élevages porcins au Maroc s’est réduit comme une peau de chagrin. La baisse continue des droits de douane sur l’importation de viande porcine pourrait bientôt sonner le glas du porc “made in Morocco”.

L’information peut étonner, mais il y a bel et bien des fermes spécialisées dans l’élevage du porc au Maroc. Et pour cause : aucune loi ne l’interdit et, hormis les exigences d’hygiène et de salubrité publiques, l’activité n’est soumise à aucune condition particulière !

Dans les environs des anciens abattoirs de Casablanca, cette
information n’en est même pas une. “Des élevages de cochon ? Et alors !”, fulmine Saïd, un vendeur de fourrage, qui compte parmi sa clientèle quelques éleveurs de “hallouf”. “Il y en a toujours eu et, heureusement pour moi, il en existe encore. Mais ces dernières années, leur nombre a beaucoup baissé”, affirme-t-il entre deux gorgées de thé à la menthe. Nous sommes sur la terrasse du café de l’haj Abdellah, faisant face aux anciens abattoirs, point de rencontre d’une faune composée essentiellement de bouchers et de chevillards. À côté de Saïd, un vieil homme opine du chef, avant de lancer sur un ton presque nostalgique : “Il fut un temps où l’on tuait plus de cochons que de moutons ou de veaux dans ces abattoirs”.

Médiouna, ex-capitale du porc

Le temps dont parle ce boucher à la retraite est celui du protectorat. À cette époque, le Maroc comptait plus d’un millier d’élevages porcins. La capitale du porc marocain était alors la région de Médiouna, dans la proche banlieue de Casablanca. “Et il n’était pas rare de trouver quelques fermes à l’intérieur du périmètre urbain, notamment dans l’actuel quartier du CIL et même au Mâarif”, ajoute-t-il. Aujourd’hui, d’après les chiffres de la direction de l’élevage à Rabat, il n’en resterait que six, éparpillés entre Casablanca et Agadir. La plupart sont des fermes héritées justement de l’ère du protectorat. “Depuis cette période, il n’y a eu aucune importation de bêtes vivantes. Du coup, la quasi-totalité des porcs élevés au Maroc sont de purs produits locaux”, précise ce cadre du ministère de l’Agriculture, avant de poursuivre : “Récemment, nous avons reçu des demandes de plusieurs investisseurs étrangers intéressés par l’élevage porcin, et donc par l’importation de porcs vivants au Maroc. Ils sont toujours étonnés de savoir qu’il n’existe aucune restriction légale concernant ce genre de produits”. L’intérêt des investisseurs étrangers s’explique, selon notre source, par la hausse constante des importations marocaines de viandes porcines.

C’est ainsi qu’en 2006, plus de 212 tonnes en ont été introduites au Maroc, soit une hausse de l’ordre de… 3000 % par rapport à l’année 2005 (où les importations ne dépassaient guère les 7 tonnes) ! Ceci sans compter les produits de charcuterie, plus difficiles à définir à cause de leurs ingrédients d’origines diverses. Mais au lieu de pousser au développement de l’élevage local, l’explosion du marché a plutôt aggravé sa déconfiture, accélérant, depuis une dizaine d’années, ce qui ressemble à une disparition programmée. “Jusqu’en 2000, le Maroc comptait encore une vingtaine de fermes porcines. Aujourd’hui, il n’en subsiste que deux à Casablanca et quatre à Agadir. Et elles n’abritent à elles toutes qu’un total de 4000 bêtes”, affirme Xavier Bartoli, propriétaire de deux élevages porcins à Casablanca et à Agadir. La production locale plie sous les coups de boutoir de la concurrence des produits importés, de celle de la charcuterie halal, “mais surtout d’une vertigineuse baisse des prix initiée par certains éleveurs”, précise-t-il.

À 35 dirhams le kilo, au prix de gros, le cours de la viande porcine est en effet descendu à des niveaux plancher. De quoi pousser plusieurs éleveurs à se reconvertir dans des métiers plus conventionnels, tels l’élevage de poulet, de mouton ou de veau. Parmi eux, L’haj El Mehdi, un Soussi pur jus qui déclare, un peu embarrassé : “Ce n’est plus aussi rentable que dans le passé. Et surtout, il est pour moi temps de travailler dans le halal”.

Un métier comme les autres

Halal ou haram ? La question ne se pose pas pour Saïd. “C’est un travail comme un autre. Le vrai péché, c’est de rester chez soi, les bras croisés, à attendre l’aumône”, grommelle-t-il. La même opinion prévaut parmi la multitude d’employés qui travaillent dans cette filière, et dont la plupart exercent le métier de père en fils. “Je n’emploie que des Marocains dans mes deux fermes. Et même dans les abattoirs, les porcs sont exclusivement tués par des bouchers marocains”, confirme Xavier Bartoli. Pour autant, les porcs “made in Morocco” ont droit à “des aires spécialement aménagées au sein des abattoirs de Casablanca et d’Agadir, explique notre source au ministère de l’Agriculture. Vu la sensibilité de la question, on a préféré les séparer des autres espaces d’abattage”. Dans ces aires d’abattage, une moyenne de dix cochons sont tués chaque semaine à Casablanca. Le reste, soit la grande majorité, sont traités dans les abattoirs d’Agadir, qui totalisent une moyenne de 200 bêtes par mois. Avec une moyenne de cent kilos par bête, le compte est vite fait : la viande porcine produite et écoulée chaque année au Maroc atteint les 48 tonnes à Casablanca et 240 à Agadir, soit un total de 288 tonnes par an.

Une petite partie de cette production est écoulée dans le réseau de charcuteries locales. Le reste est absorbé par les deux usines de transformation de viandes porcines qui existent au Maroc, mais surtout par les établissements hôteliers du pays. “Les hôtels sont les premiers clients des éleveurs marocains. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la majorité des élevages et des abattages sont actuellement concentrés à Agadir, destination touristique par excellence”, explique Xavier Bartoli. Mais au-delà du classique jambon qui hante l’imaginaire populaire, les produits des élevages porcins servent à des usages aussi variés qu’insoupçonnés. Ainsi, les boyaux de ces bêtes “impures” sont parfois utilisés pour la fabrication de fil médical ou de cordages de raquettes de tennis. Leur peau sert également dans la confection de chaussures ou d’habits en cuir. Quant à l’albumine et la gélatine extraites du porc, elles sont respectivement utilisées comme ingrédients dans la viticulture et la pâtisserie. Mais malgré ces nombreux débouchés, on ne peut pas dire que le porc marocain soit en bonne santé : la filière demeure en effet très marginale et tout indique qu’elle le sera de plus en plus dans l’avenir. “En 2010, lorsque les barrières douanières seront complètement levées, la production locale subira de plein fouet la domination des produits importés”, prédit, pessimiste, Xavier Bartoli. Déjà, les droits sur l’importation de viande porcine viennent de passer de 75% en 2006, à 40%. Les jours du porc marocain sont-ils comptés ?

Elevage : Halal ou Haram ?

S’il ne fait aucun doute sur l’interdiction par la loi musulmane de la consommation de la viande porcine, une certaine incertitude subsiste sur le statut de l’élevage de porc. Celle-ci est balayée catégoriquement par Lahcen Aït Belaïd, jurisconsulte et imam rendu célèbre par ses prêches radiophoniques sur la station Casa FM. “Il ne fait aucun doute que le porc est considéré comme un animal impur par la religion musulmane, tranche le théologien des ondes, pourtant connu pour son ouverture d’esprit. Et, sauf cas de force majeure ou de nécessité absolue, une famine par exemple, son élevage, mais également le maniement de sa viande, sont clairement proscrits”. Un avis que partagent la quasi-totalité des oulémas marocains, dont certains ont opposé leur veto religieux à l’installation d’une grande usine de transformation de viandes porcines dans la région d’Ifrane, dans les années 90. Cet investissement, projeté par un groupe danois, l’un des leaders mondiaux du secteur, allait pourtant générer quelques centaines d’emplois directs. Le religieusement correct est sauf… et tant pis pour les jeunes (et nombreux) chômeurs de la région !

TelQuel - Majdoulein El Atouabi

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