Maroc-Israël : Liaisons occultes

13 mars 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le malaise et les tabous ont toujours entouré les relations entre le Maroc et Israël. Les liens entre les deux pays sont souvent passés sous silence. Pourtant, ils existent bel et bien…

Drôle de jeu auquel se livrent les Marocains et les Israéliens. Un couple qui semble avoir fait sien l’adage « pour vivre heureux, vivons cachés ». Dernière polémique en date, les accusations des Islamistes à l’encontre du maire de Marrakech, Omar Jazouli, affirmant que ce dernier aurait signé un accord de coopération, le 22 février 2007 à Marseille, avec le maire de la ville israélienne de Haïfa, Yona Yahav. Attajdid, support de presse du PJD, a carrément lancé un appel implicite à l’intifada. Omar Jazouli, lui, réfute catégoriquement ces accusations, avançant que seul un accord en matière de formation touristique a été signé avec la ville de Marseille. Arguant des exactions croissantes des Israéliens contre les Palestiniens, les Islamistes marocains refusent toute normalisation avec l’Etat hébreu. Et ce ne sont pas les seuls. Officiellement, on n’a de cesse de rappeler la fraternité deux fois millénaire qui lie les Juifs marocains aux Marocains musulmans, un discours qui sert aussi l’image à l’international d’un Maroc séculairement ouvert et tolérant.

Mais, dès lors qu’il s’agit de l’Etat hébreu, en tant qu’entité politique, aucune des personnes concernées n’admettra publiquement et ouvertement avoir un lien, de quelque nature que ce soit, avec Israël. Et pour cause. Entre un conflit israélo-palestinien vieux de plus de près de 60 ans et ses feuilles de route régulièrement « chiffonnées », un islamisme tentaculaire, des peuples arabes au bord du gouffre, le tout sur fond de « choc civilisationnel » et de guerres moyen-orientales, le contexte ne se prête pas vraiment à la franchise.

Le silence et le malaise autour de la question se sont faits encore plus pesants, au lendemain de la fermeture, le 23 octobre 2000, à Rabat, de l’unique bureau de liaison israélien au Maroc et de celui du Maroc à Tel-Aviv suite à la seconde Intifada.

Pourtant, des Marocains musulmans et des Juifs israéliens continuent à entretenir des relations politiques, commerciales, touristiques ou amicales.

Visites de ministres israéliens au Maroc, travail de lobbying auprès de la communauté internationale… Sur le plan diplomatique, le Maroc affiche ainsi de manière plus ou moins ouverte, en fonction de la situation en Palestine, au Moyen-Orient et de la conjoncture politique internationale en général, sa volonté de normaliser ses relations avec Israël. La dernière dénonciation par SM Mohammed VI, en tant que président du Comité Al Qods, des travaux de terrassement entrepris par Israël aux alentours de la Mosquée Al-Aqsa suffira-t-elle à geler les relations entre les deux pays ? Ou peut-on toujours parier sur une normalisation prochaine et se convaincre que, face à la colère de
l’homme de rue marocain contre les excès israéliens, les intérêts politiques et le tact diplomatiques l’emporteront ? Quoi qu’il en soit, une chose est sûre. Le « bon élève » Maroc est tout sauf désobéissant aux incitations évidentes de l’administration américaine en faveur d’un rétablissement des relations des pays arabes avec Israël.

Sur le plan commercial, les relations maroco-israéliennes semblent poursuivre paisiblement leur petit bonhomme de chemin, narguant les discours passionnés des activistes marocains « anti-sionistes ». Du côté marocain, on estime à plus d’une centaine les entreprises israéliennes opérant plus ou moins au grand jour sur le territoire marocain, notamment dans le domaine agricole. Ceci dit, ces statistiques n’ont rien d’officiel. Non vérifiée également l’assertion selon laquelle les entrepreneurs israéliens défricheraient le terrain pour leurs compatriotes diplomates. Côté israélien, les derniers chiffres publiés par The Israeli Export and International Cooperation Institute font état, pour le premier trimestre 2006, de 46 firmes israéliennes qui auraient exporté au Maroc pour un total de 2 millions de dollars, soit une augmentation de 23,5% des exportations par rapport à la même période en 2005.

Mais combien de Marocains musulmans seraient prêts à commercer à leur tour avec l’Etat hébreu ? Probablement plus qu’on ne pense. Yassine, jeune entrepreneur r’bati de 32 ans, confie : « Je suis en train de songer sérieusement à m’associer avec un Israélien d’origine marocaine, qui fait des allers-retours réguliers entre Rabat et Tel-Aviv, pour un petit négoce dans la téléphonie mobile. Il a les capitaux, j’ai l’expérience. Il m’a en plus l’air très sérieux. Pourquoi hésiter ? Et puis, si on venait à couper tout échange commercial avec des pays pour les crimes humanitaires que leur Etat commet ou a commis par le passé, on se retrouverait vite à vivre en autarcie. Là dessus, je pense que le Maroc, qui a opté pour la mondialisation et l’ouverture, ne peut pas se permettre le luxe d’un retour en arrière ». Business is business, a-t-on coutume de dire. A l’instar de l’associé potentiel de Yassine, quelque 500.000 Israéliens, soit 10 % de la population totale, sont des immigrés marocains ou des descendants d’immigrés marocains. La communauté juive marocaine résidant au Royaume, forte de 400.000 personnes au 19ème siècle, ne compte plus que 3.000 membres environ aujourd’hui, concentrés essentiellement à Casablanca.

L’exode massif des sépharades marocains en Israël n’a pas érodé pour autant leur attachement viscéral à leur pays d’origine. Bien au contraire, l’amour du bled va même grandissant, preuve en est le succès croissant des pèlerinages religieux que la diaspora juive marocaine effectue chaque année dans son pays d’origine. Cette communauté est d’ailleurs pour beaucoup dans les liens actuels, et pas seulement économiques, entre les deux pays.

Ainsi, c’est Joël. B, juif souiri établi en Israël, qui a facilité à Karim. Z et Ghali H, deux jeunes étudiants marocains musulmans à Paris, leur premier séjour touristique en Israël durant l’été 2005. De la préparation des documents de voyage depuis Paris jusqu’à leur accueil à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, leur servant également de guide précieux dans la capitale hébraïque. Sur le site www.dafina.net (qui se définit comme le net des Juifs du Maroc), à travers lequel ces anciens élèves du Lycée Descartes de Rabat ont rencontré leurs hôtes, les deux jeunes hommes racontent photos à l’appui leurs pérégrinations, remerciant au passage les Marocains d’Israël pour leur chaleureux accueil.

Et au « Souiri », ravi par l’éducation de ces « oulad ennass », de rapporter à son tour « la profonde émotion qu’a suscitée en lui ce voyage de Ghali et Karim, ces continuateurs (sans le savoir) des grands voyageurs maghrébins d’antan, les Ibn-Batouta, les Al Tijani, les Ibn-Khaldoun, etc. » Alors, Israël, une destination « in » pour le ghotta marocain lassé du bronzage-shopping sur la Costa Del Sol ? Probablement, à en croire les agences de voyage interrogées à ce sujet. Karim et Ghali, enfants de l’élite, font partie de ces Marocains musulmans issus d’une certaine bourgeoisie, qui, de plus en plus nombreux, désireraient se rendre en Israël en touristes. Par curiosité intellectuelle, pour voir de leurs propres yeux, au-delà de tout miroir médiatique, ce pays berceau des religions monothésites. Ou, pour les plus jeunes, pour écumer les célèbres boîtes de nuit de Tel-Aviv, cette cité qui ne dort jamais. Face à cette demande croissante, quelques agences de voyage, à Casablanca notamment, proposent discrètement à leurs clients des séjours tous frais compris à partir de 10.000 dirhams. Le statut et le réseau social de ces touristes marocains d’un nouveau genre leur facilite également l’entrée sur le territoire israélien (on imagine aisément l’accueil qui serait réservé à un jeune chômeur mal rasé de Sidi Moumen aux suspicieuses douanes israéliennes).

Certains Marocains choisissent même de s’installer dans l’Etat hébreu. Ainsi, c’est avec une note de suffisance non dissimulée que le quotidien israélien Yediot Aharonot, sous la plume de Yaakov Lappin, rapporte dans l’édition du 21 février 2007 l’histoire de Fayçal. G, un jeune Casablancais de confession musulmane résident à Tel-Aviv. Fayce -pseudonyme choisi pour l’occasion- serait arrivé en Israël en 1997 pour étudier à l’Université de Tel-Aviv après des études secondaires dans un lycée juif de Casablanca.

Fayçal travaille actuellement pour une société de NTIC à Tel Aviv et se dit déterminé à renouveler son visa étudiant -expiré voilà deux ans- malgré les réticences du ministère de l’Intérieur israélien.

L’histoire de Fayçal, racontée en intégralité par Béni Issembert, un journaliste israélien d’origine française, a été publiée en France aux Editions Ram sous le titre Fayce, le Je de la paix. Le livre est préfacé par Shimon Peres, qui aurait, en homme de gauche, vu en l’histoire de Fayce un message de paix entre juifs et musulmans. Mais, au-delà de toute récupération politique, même si aucune information ne filtre sur le nombre de jeunes Marocains musulmans installés en Israël, on ne peut nier aujourd’hui l’existence de cas similaires à celui de Faycal. Pour preuve de cette migration, certes faible mais réelle, des témoignages vivants.

Ainsi, Hicham, pour ne citer que lui, un jeune footballeur casablancais, de père musulman et de mère juive convertie à l’Islam, s’est installé avec son « éphémère » épouse Laïla pendant quelques années à Jérusalem, où il a joué un certain temps au sein d’une équipe de football locale avant de revenir au Maroc, en célibataire (son couple n’aurait pas résisté à la beauté des jeunes Israéliennes) et reconverti en commerçant : « J’ai choisi de rentrer au pays car, pour obtenir la nationalité israélienne, il faut passer par le service militaire. J’étais parfaitement intégré, je parlais couramment hébreu, je me sentais israélien à part entière mais, par respect pour la mémoire de mon père et ma famille arabe et musulmane, je n’ai pas voulu servir dans l’armée contre des civils palestiniens ».

Ici et là, des supports de presse rapportent quant à eux de prétendues expulsions de prostituées marocaines musulmanes d’Israël qui y vendraient clandestinement leur chair le soir après leur journée de travail dans des usines et des ateliers. L’association islamiste Mouvement Unicité et Réforme (MUR) dénonce carrément une « filière de prostitution marocaine en Israël ». Réseau mafieux qui, selon une organisation djihadiste palestinienne, emploierait près de 600 jeunes filles maroco-musulmanes dans des villes israéliennes et des colonies juives, notamment en Cisjordanie.

Le "scoop" a même été repris par le quotidien arabe londonien Al Quds Al Arabi. Quel crédit accorder à ces assertions ? Quoi qu’il en soit, entre balivernes et réalité, fierté et reniement, amour instinctif et haine profonde, nostalgie du passé, enjeux politiques actuels et opportunisme commercial futur, tourisme culturel et voyages d’affaires, les liens entre le Maroc et Israël ne semble pas près de s’effilocher.

Maroc-Hebdo - Mouna Izzdine

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Sujets associés : Religion - Diplomatie - Israël

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