Propriété immobilière : La « bonne foi », visa pour l’arnaque ?

3 août 2007 - 00h58 - Economie - Ecrit par : L.A

La « mafia » du foncier sévit toujours à Casablanca. Les biens immeubles appartenant à des non-résidents continuent de représenter la proie favorite des Semsara (intermédiaires informels en transactions immobilières). Fin 2006, L’Economiste avait révélé quelques techniques utilisées par certains intermédiaires pour spolier des biens immeubles.

Un autre exemple de ces « exactions » concernant la villa d’une famille française, ayant vécu au Maroc entre 1950 et 1964, est tout aussi édifiant.

L’affaire qui remonte à 1981, et qui n’a toujours pas été tranchée en dépit de deux jugements condamnant le faussaire, pose un intéressant point de droit et de jurisprudence : la valeur de la bonne foi du deuxième acquéreur dans les transactions immobilières. Peut-on invoquer la bonne foi pour s’opposer à une condamnation pour escroquerie ?

Dans les faits, la famille Geidel avait acheté une villa sise boulevard Abdelkarim El Khattabi à Casablanca. Les héritiers Marie-Claude, Bernard et Jean-Marc sont rentrés en France après le décès de leur mère en 1964. La villa « Pierre » était donc louée jusqu’en 1975. A partir de cette date, la villa est restée inhabitée et non gardée jusqu’en 1981.

Date à laquelle les héritiers Geidel apprennent que leur bien a été spolié par un certain M.T, qui a présenté à la Conservation foncière un acte de vente falsifié pour s’accaparer de la villa. Une plainte est alors déposée et, après plusieurs années d’enquête et d’instruction (le dossier est passé par les tribunaux de Casablanca avant d’atterrir à la Cour spécial de justice à Rabat pour implication d’un conservateur immobilier), le verdict tombe en 2001 : M.T est condamné à 4 ans de prison pour “délit de corruption, malversation, faux et usage de faux ».

Le conservateur est, quant à lui, suspendu de ses fonctions. Le TPI de Casablanca a repris le dossier et a rendu, en novembre 2002, un jugement prononçant la radiation de l’acte de vente inscrit à la Conservation foncière et l’expulsion de M.T de la villa, objet du litige.

En se basant sur ces deux jugements, les héritiers déposent alors, via leur avocat, une requête pour expulser le faussaire. M.T sort un autre tour de sa manche et présente un acte de vente du bien datant de 1982. Le nouvel acquéreur (C.G) est une française résidente au Maroc. Elle s’oppose donc aux Geidel en invoquant sa bonne foi lors de l’acquisition de la villa « Pierre » en 1981.

« La bonne foi peut être invoquée par l’acquéreur lorsqu’il arrive à prouver qu’il n’a pas été informé du faux et qu’il ne pouvait pas l’être au moment de l’acquisition », explique Rachid Diouri avocat au barreau de la métropole.

C’est d’ailleurs sur ce postulat que s’est basé le juge au TPI de Casablanca pour refuser la requête des Geidel. Reste que ces derniers n’ont pas tardé à découvrir que C.G n’est autre que l’épouse de M.T, le faussaire.

« Comment peut-on assurer, sous serment, qu’il est impossible de savoir l’origine douteuse d’un bien alors que le vendeur est l’époux de l’acheteur ? », explique Diouri. Selon lui, le TPI aurait dû pousser l’analyse du dossier plus loin pour savoir s’il y a vraiment bonne foi ou pas.

« Dans ce cas d’espèce, il n’appartient pas aux victimes de l’escroquerie de prouver la mauvaise foi, puisqu’ils sont détenteurs de deux jugements prouvant le faux utilisé par le premier acquéreur », indique l’avocat des Geidel qui requiert l’anonymat. Celui-ci brandit un grand principe de droit suivant lequel, « tout ce qui naît d’un acte nul, est nul et non avenu ». « En partant de ce principe, les Geidel ont tout à fait le droit de demander la nullité de l’acte de vente transférant la propriété de la villa à C.G, l’épouse du faussaire », ajoute-t-il. Auquel cas, C.G disposerait d’un recours en dédommagement contre le vendeur.

Sur le plan civil, la défense des Geidel cite l’article 485 du D.O.C (Dahir des Obligations et Contrats). Selon cette disposition, la vente de la chose d’autrui n’est valable que si le véritable propriétaire la ratifie, ou si le vendeur acquiert la propriété du bien. Or dans ce cas d’espèce, aucune des deux conditions de cette disposition n’a été réalisée : le propriétaire n’a jamais ratifié la vente étant donné qu’il n’a même pas été mis au courant, et le vendeur n’est jamais devenu propriétaire de la villa puisqu’il a été condamné pour faux et usage de faux.

« L’analyse de l’article 485 montre que, même sur le plan civil, le contrat de vente dont dispose l’épouse de M.T n’est pas du tout légal », souligne l’avocat.

Bien décidés à ne pas déposer les armes dans une bataille judiciaire qu’ils mènent depuis 26 ans, les Geidel ont fait appel de la dernière décision du TPI qui donne raison à l’épouse de M.T. Le verdict constituera certainement une jurisprudence à suivre en la matière.

L’Economiste - Naoufal Belghazi

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