Les hommes défendent leur image face aux féministes

24 mars 2008 - 20h19 - Maroc - Ecrit par : L.A

Casablanca, le 29 février 2008. Lieu : la Maison des jeunes de Sidi Maârouf. Dans une salle comble, se tient l’assemblée constitutive d’un « Réseau marocain pour la défense des droits des hommes ». La nuance est de taille : il ne s’agit pas des droits de l’Homme mais des hommes. Son objectif est de défendre la gente masculine.

Si, jusqu’ici, l’on était habitué aux associations pour les droits de la femme, l’annonce ne manque pas d’interpeller. Défendre les droits des hommes contre quoi ou contre qui ? Sont-ils si lésés dans la société marocaine, encore largement machiste pour éprouver le besoin d’être défendus dans leur droit ?

En fait, l’idée de création de ce réseau marocain pour la défense des droits des hommes (RMDDH) remonte à 2006, deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau code de la famille. Quelques enseignants, cadres, journalistes et militants associatifs, tout en soutenant le nouveau code de la famille et le combat des femmes pour plus d’équité au regard des droits de la gente masculine, se réunissent pour concrétiser l’idée de ce réseau. Ils considèrent que les associations de défense des droits de la femme sont légion, mais aucune n’existe pour défendre les droits des hommes. Où est le mal ? Aucun, sauf le fait que, pour les initiateurs de ce réseau, le développement exponentiel du tissu associatif féminin, et la multiplication de ses revendications, a fini par renvoyer une mauvaise image sur l’homme. « En tout cas une image erronée. L’homme marocain est montré du doigt comme étant le responsable de tous les maux dont souffre la femme.

L’homme marocain est souvent décrit comme un être violent, irresponsable, un harceleur sexuel. Des spots publicitaires préparés par des associations féminines le montrent méchant et exécrable. Cette image n’est pas réelle. Dans un immeuble de trente appartements, combien d’hommes violentent leurs femmes ? Dans un établissement scolaire, combien de profs violentent leurs élèves ou leurs collègues ? Combien parmi eux sont-ils des harceleurs sexuels ? Leur nombre n’est pas aussi dramatique que le prétend la propagande de certaines associations féminines. Cela est en contradiction avec la réalité sur le terrain. Par ce réseau, nous voulons soigner cette image, montrer que tous les hommes ne sont pas des irresponsables, et des violents. »

Redorer le blason des hommes, certes, est un objectif mais il n’est pas le seul but : le réseau se veut aussi pour mission de défendre les droits des hommes qui sont battus car il existe, également au Maroc, des hommes victimes de violence de la part des femmes.

Des hommes battus ? Pour parler d’un tel phénomène, il faut d’abord le quantifier, en connaître l’ampleur. Est-il très répandu ou est-ce simplement un épiphénomène ?

Si, a priori, on est tenté de dire que le phénomène relève de l’anecdotique personne ne peut se hasarder à être catégorique dans un sens ou dans l’autre. A l’opposé, il est aisé de quantifier l’ampleur des violences et des agressions subies par les femmes, les centres d’écoute et d’orientation juridique créés par les associations féminines ayant développé expertise et écoute (encore que toues les femmes ne dénoncent pas).

Il est donc très difficile de savoir combien d’hommes sont violentés par les (leurs) femmes, pour la simple raison que n’existe ni association pour la défense des droits des hommes, ni, a fortiori, un centre d’écoute vers lequel les hommes peuvent adresser leurs doléances. En plus, le statut de l’homme dans la société marocaine, le poids sociétal fait qu’il ne peut pas se plaindre d’être maltraité par une femme sous peine de se voir couvrir de honte.

Pourtant, les cas existent, commente un avocat du barreau de Rabat, « il en existe, et même des agressions mortelles, mais sans commune mesure avec ce que subissent les femmes. » Des témoignages d’hommes battus par leurs femmes ? Rien n’est plus difficile, il faut remonter à ceux qui rencontrent ces hommes battus. A l’exemple de ce médecin de Casablanca qui avait travaillé aux urgences de l’hôpital Ibn Rochd en 2005 et qui avait recensé, selon ses dires, des dizaines d’hommes blessés par des objets tranchants, ou intoxiqués, agressions qu’il attribue à de violentes scènes de ménage. Bémol, mais aucun de ces hommes n’a jamais reconnu être agressé par sa femme. Une seule fois, raconte-t-il, « mais cette fois-ci la blessure était si grave qu’il y a eu PV de la police, et que la victime a succombé à sa blessure au bout de deux semaines. L’enquête a révélé que l’agresseur était bien son épouse. » Fait banal de société ? Des hommes battus, ça existe, confirme cette source policière, « mais on ne le sait qu’après minutieuse enquête et quand l’agression est suffisamment grave. »

Jamila Arsalane, assistante sociale à Agadir pendant trente ans, actuellement en retraite mais toujours active au plan associatif (responsable notamment de l’antenne de l’association qui lutte contre la pédophilie « Ne touche pas à mon enfant » à Agadir), est témoin de nombre d’agressions contre les hommes commises par leurs femmes. Il lui arrivait quand elle était responsable du service social de la délégation de santé à Agadir de se trouver devant des hommes au visage ensanglanté ou portant des traces de morsures sur le corps. Une fois, se rappelle-t-elle, elle a reçu un homme dans un état terrible : son visage était tout simplement brûlé. Sa femme lui avait envoyé une « gadra » d’argile remplie à ras bord de soupe brûlante sur la tête.

« Sous l’effet de la brûlure, la peau de son visage se détachait en lambeaux. La raison ? Lui non plus ne comprenait pas, sa femme selon lui, était gâtée et ne manquait de rien. » Vraiment ? Difficile de connaître la vérité. Là encore le constat est le même : rares étaient les hommes, selon J. Arsalane, qui passaient aux aveux, soit en raison du facteur culturel, soit encore parce que ce sont eux-mêmes qui ont commencé les hostilités. Il est vrai cependant que les hommes sont moins enclins que les femmes à supporter les joutes verbales et en viennent plus facilement aux mains. Exemple, « être traité par sa femme d’impuissant sexuel, à tort ou à raison, est la pire insulte que peut subir un homme ». Or, pour se venger, beaucoup de femmes recourent à cette arme.

Mais l’homme battu même sans avoir lui-même commencé les hostilités physiques, est bel et bien une réalité, tempère l’assistante sociale. « Ces scènes de ménage arrivent souvent quand les hommes sont beaucoup plus vieux que leurs épouses ». Comme c’est le cas, de ce mari, trente ans plus vieux que sa femme, qui encaisse les gifles sans broncher de peur que son épouse le quitte.

Autre aspect à prendre en compte, la violence de la femme n’est pas que physique, tout comme dans le cas inverse. L’une des rares études faites sur le phénomène de la violence de la femme envers son conjoint est l’œuvre de la sociologue suisse, Sophie Torrent, à l’origine d’un mémoire soutenu à l’Université de Fribourg intitulé L’homme battu. Il est question dans ce travail de violence psychologique plus que de violence physique. La femme, dit cette étude, est capable d’insultes qui peuvent tomber drues et d’une façon pernicieuse sur des êtres ou des objets auxquels l’homme est sentimentalement lié. « Une des formes de violence psychologique les plus insidieuses, écrit la sociologue, consiste à manipuler l’homme en l’incitant à la violence physique.

Si l’homme passe à l’acte, la loi se retourne contre lui. La femme violente possède là un atout décisif. La société la croit fondamentalement victime, qu’elle le soit réellement ou non. Et elle peut, sans trop d’ingéniosité, faire croire à son entourage que c’est son conjoint qui est violent... » On ne saurait certes être aussi tranché dans ce procès fait à la femme, mais il n’est pas impossible que son statut de « victime » l’autorise à quelques abus.

« Si les femmes marocaines étaient plus dociles et obéissantes il y a vingt ans, elles ne le sont plus de nos jours », constate l’assistante sociale. Dans une société où même les femmes parlent encore d’obéissance, c’est en fait le rééquilibrage des pouvoirs hommes-femmes qui génère parfois une violence féminine. A Agadir notamment, raconte Mme Arsalane, elles sont influencées par une population venue de Abda, Doukkala et Chiadma, régions réputées par la détermination des femmes face aux hostilités physiques de l’homme. « Il nous est arrivé de constater des cas de femmes qui mordent leurs hommes sur le sein, ça fait très mal et comme c’est dans un coin sensible et caché du corps, jamais un homme ne peut s’en plaindre. »

En l’absence de données chiffrées, on restera sur l’impression que si ces actes existent, ils restent peu répandus. « Violence minoritaire certes, il faut quand même la dénoncer », martèle le président de ce réseau, Abdelfattah Bahjaji.

Enfin, les initiateurs du réseau affirment qu’ils ne veulent pas pourfendre les revendications des associations des droits de la femme, ni a fortiori le nouveau code de la famille, qu’ils considèrent un acquis historique, mais une chose sur laquelle ils mettent l’accent est l’incompréhension de ce code de la famille par 90% des Marocains, et son interprétation erronée par les femmes, d’où le besoin d’une large campagne d’explication que le réseau compte mener dans un proche avenir. Pour attirer surtout l’attention sur les dysfonctionnements qui entachent son application. Exemple : le nombre de divorces est en augmentation (on parle de 40 000 par an). C’est le nouveau code qui en est responsable ? Oui, en partie, répondent les responsables du réseau.

« Nous avons constaté d’après notre enquête auprès des tribunaux de la famille, souligne Bahjaji, que de plus en plus de femmes recourent, pour des futilités, au divorce, d’autres n’étant pourtant privées de rien réclament la nafaqa. Nous avons des correspondances de maris abandonnés par leurs femmes à cause de cela » (voir entretien ci- dessus).

Des enquêtes révèlent en effet que l’esprit du code est trahi, qu’il y a un hiatus entre cet esprit et la pratique sur le terrain. Les dernières enquêtes le montrent. Exemple : les juges de la famille sont prompts à accepter les mariages précoces, pour les moins de 18 ans, ce qui trahit l’esprit du texte puisque cette autorisation est strictement subordonnée à des motifs jugés valables. Or, en 2007, selon les chiffres officiels du ministère de la justice, les juges de la famille ont accepté plus de 85% des demandes de mariage précoce. Un autre chiffre : Sur les 40 000 demandes de divorce enregistrées en 2007, 26 000 sont le fait des femmes contre 14 000 des hommes.

Source : La vie éco - Jaouad Mdidech

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