Etrangère, de mère marocaine

21 octobre 2006 - 05h06 - Maroc - Ecrit par : Bladi.net

Près de 50 ans de statu quo pour des milliers d’enfants nés de mères marocaines et de pères étrangers qui attendent toujours la réforme de la loi sur la nationalité. Cas de Bouchra, 41 ans.

“Soucieux de toujours répondre aux préoccupations réelles et aux aspirations légitimes et raisonnables de tous les citoyens, qu’ils résident au Royaume ou à l’étranger, Nous avons décidé, en notre qualité de Roi- Commandeur des croyants (Amir Al-Mouminine), de conférer à l’enfant le droit d’obtenir la nationalité de sa mère ». C’est ainsi que parla SM le Roi Mohammed VI, lors de son discours prononcé à l’occasion de la Fête du Trône, le 30 juillet 2005. Dans des centaines de foyers à travers le Royaume, c’est la jubilation, un grand soupir de soulagement pour tous ces enfants issus de mariages mixtes entre des femmes marocaines et des hommes de nationalité étrangère. Accrochée comme à une ultime bouée de sauvetage à son écran de télévision, Bouchra Muftisade y a fermement cru à son tour. Dire qu’elle était heureuse ce jour-là serait un mot bien faible. Mais, depuis ce jour d’été, plus aucune information ne filtre concernant le projet de réforme du code de la nationalité.
Bouchra voit le jour à Fes en 1965. Son père décède en 1978. Elle est alors élevée par sa mère, qui se rend régulièrement à Casablanca pour son travail, et ses grands-parents. Cousins, cousines, tantes, oncles et voisines, Bouchra, tout comme ses trois frères, acquiert auprès de sa famille élargie les valeurs, les us et coutumes qui fondent l’identité de tout Marocain. Au décès de son grand-père, alors qu’elle avait 12 ans, elle s’installe définitivement avec sa mère et ses frères à Casablanca. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans, lorsqu’elle dépose une demande pour l’obtention de sa première carte de séjour et que le censeur de son lycée la fait sortir un beau jour de sa classe pour les besoins de l’enquête policière inhérente, que la jeune fille ressent pour la première fois ce que c’est que d’être étrangère dans un pays qu’elle n’a jamais cessé de considérer comme le sien.

Mais elle n’en est qu’au début de ses mésaventures. Pour pouvoir accéder à l’Institut Supérieur de Commerce et d’Administration des Entreprises (ISCAE), Bouchra passe le concours d’entrée en tant qu’étrangère, statut qui la soumet au système des quotas. Et lorsque l’on lui annonce qu’elle est dispensée d’arabe car étrangère, la jeune fille se sent défaillir. Une aberration pour l’« arabe pur jus » qu’elle est.

Ses 4 années d’études supérieures achevées avec succès, Bouchra, qui a toujours rêvé d’être enseignante, voit ses ambitions de carrière s’écrouler comme un château de cartes quand ses efforts pour obtenir l’équivalence entre le diplôme de l’ISCAE et celui de l’université dans laquelle elle désire obtenir son doctorat en gestion et management tombent à l’eau pour la même raison.

Bouchra se résigne finalement à intégrer sans attendre le marché de l’emploi. Mais, là encore, c’est le choc. En tant qu’étrangère, elle n’a pas le droit de travailler dans une entreprise publique et pour pouvoir exercer au sein d’une entité privée, elle doit multiplier les démarches pour l’obtention d’un accord entre le ministère de l’Emploi et son futur employeur. Découragée, Bouchra décide de s’installer à son compte en tant que journaliste freelance. Son statut de palestinienne fait qu’elle n’arrive pas à obtenir de passeport pour d’éventuels déplacements, chose qui entrave sa carrière professionnelle.

Cela fait maintenant 25 ans que Bouchra demande tous les 5 ans à obtenir la nationalité marocaine. Ses deux frères, aujourd’hui âgés de 42 et 47 ans, l’ont obtenue à 18 et 20 ans. Le dossier de Bouchra est systématiquement rejeté, sous prétexte qu’elle devait déposer sa demande avant sa majorité, majorité qui n’est pas clairement spécifiée par la loi. Sa dernière demande remonte à 1995. Depuis, Bouchra n’a plus obtenu de réponse. Elle est contrainte de renouveler sa carte d’immatriculation tous les ans. Dépitée, lassée, dégoûtée, il lui est souvent arrivé de craquer et de fondre en larmes.

« J’étais aux anges après le discours royal. Là, je ne sais plus quoi faire, tout comme les personnes dans mon cas. Où sont les dossiers en instance ? Où est ce fameux texte de loi ? Le pire, c’est que nous n’avons aucun interlocuteur à qui nous adresser. Le minimum serait de nous informer correctement au lieu de nous laisser dans une perpétuelle attente, dans une angoisse et une humiliation permanentes qui nous gâchent l’existence. Dire que des étrangères épousent des Marocains et obtiennent la nationalité marocaine après 5 à 6 années de résidence au Maroc ! Nous, nous sommes nés ici, nous avons vécu ici et on nous la refuse. Comment voulez-vous que l’on ne ressente pas une injustice flagrante ? C’est un non-sens total ! »

En attendant, Bouchra voit tous les ans ses amies marocaines mères de famille mariées à des étrangers, souvent des cadres brillantes, quitter le Maroc, ce pays qui est le leur et qui refuse de reconnaître les enfants qu’elles ont portés. Quel avenir assurer alors à leur progéniture ?
Comme si on faisait tomber l’opprobre sociale de manière insidieuse sur toutes ces Marocaines qui un jour, ont décidé- ô la h’chouma- d’unir leurs vies à celles d’étrangers. Elles préfèrent se déraciner et faire leur vie ailleurs, aussi profond que soit le déchirement avec la mère-patrie.
A moins d’enfanter un bébé « illégitime » qui, lui, sera reconnu marocain car de mère marocaine et de père inconnu, comme le stipule le fameux article 6 de la loi de 1958. C’est dire toute la désuétude de ce texte. Bouchra, le Maroc, son pays, elle l’a dans les tripes. Engagée dans de nombreuses ONG à caractère social, elle lutte elle aussi, et peut-être bien plus que d’autres, pour le développement de ce pays qui le lui rend pourtant si mal.

Mais le pessimisme n’a pas droit de cité chez Bouchra, qui envisage de créer prochainement une association pour défendre les droits de ses semblables privés de leur droit à la marocanité. Elle recherche cinq personnes dans ce sens.

Mouna Izddine - Maroc Hebdo International

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