Ala veille de l’Aïd el-Kébir, la grande fête musulmane qui commence mardi 10 janvier, les responsables des mosquées de Chambéry et de ses environs étaient partagés entre la colère et l’amertume. Ils étaient privés, en effet, de la possibilité de procéder à l’abattage rituel du mouton, qui rappelle la soumission d’Abraham, dans la Bible, prêt à sacrifier à Dieu son fils Isaac.
Le 27 décembre, la mairie de Chambéry avait accepté de leur ouvrir le marché aux bestiaux, mais, le 4 janvier, le préfet de Savoie, Christian Sapède, a adressé au collectif des mosquées une lettre contredisant cet accord au motif qu’"aucune demande réglementaire d’agrément de ce marché en qualité de site temporaire d’abattage n’a été formulée".
L’utilisation du marché aux bestiaux, en 2005, avait entraîné le dépôt d’une plainte auprès de la Commission européenne, le 2 février, par l’association Protection mondiale des animaux de ferme (PMAF). Des enquêteurs avaient filmé en cachette, sur ce site et chez un éleveur, des abattages en infraction avec les directives européennes : moutons égorgés par des particuliers avec des couteaux de cuisine, animaux manipulés avec brutalité.
Depuis, les autorités françaises ont fourni des assurances sur les conditions dans lesquelles sont organisés les sacrifices. La PMAF a accepté de clore l’affaire, tout en annonçant qu’elle serait vigilante en 2006 et présente de nouveau sur le terrain, cette fois en Ile-de-France. Quatre cents des 2 500 familles musulmanes de Savoie avaient utilisé le site du marché aux bestiaux.
N’ayant pas trouvé de nouvel emplacement, le collectif n’a commencé les démarches qu’à quelques semaines de la célébration de l’Aïd, en comptant sans doute sur la volonté des pouvoirs publics d’éviter les abattages clandestins. Mal lui en a pris. Cette année, la loi est appliquée dans toute sa rigueur en Savoie, et aucune dérogation n’a été consentie. Une circulaire conjointe du ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire et du ministère de l’agriculture et de la pêche, en date du 8 décembre 2005 et adressée aux préfets, rappelle que l’abattage rituel doit s’effectuer en abattoir et que les sites dits "dérogatoires" sont totalement interdits. Toutefois, il est possible "d’envisager l’aménagement d’abattoirs temporaires agréés". Dans un communiqué du 5 janvier, la préfecture de Savoie a précisé que les sacrificateurs doivent pouvoir "justifier de leur habilitation aux agents de la direction départementale des services vétérinaires".
Pour la première fois cette année, le Conseil régional du culte musulman a participé aux réunions préparatoires de l’Aïd en Rhône-Alpes. Son président, Azzedine Gaci, observe que la capacité des abattoirs mis à la disposition des fidèles ne répond pas à la demande. "Il y a forcément des centaines de personnes qui vont avoir recours à l’abattage clandestin, avec les conséquences et les risques que nous connaissons", dit-il. "J’aurais aimé qu’il y ait plus de discussions avec la préfecture, regrette M. Gaci. Il y a la loi, mais c’est à l’administration de l’appliquer à la lettre ou de respecter l’esprit de la loi pour que la paix soit présente pour tout le monde."
Cinq abattoirs ont été agréés dans l’ensemble de la Savoie, pour une capacité totale de 500 animaux, soit 1 500 sur les trois jours de la fête. La difficulté est que la plupart des fidèles souhaitent pratiquer le sacrifice le premier jour de l’Aïd, souligne M. Gaci. "On se trouve dans une situation très critique, affirme Sid Ali Randi, membre du collectif, les gens ont acheté le mouton et ils ne savent pas quoi en faire. Il y a un sentiment de mépris et de colère."
Le collectif des mosquées du bassin chambérien a appelé les musulmans de Savoie à boycotter, "par solidarité", les abattoirs du département et "à exiger le remboursement auprès des éleveurs de toute avance financière". Il a annoncé une marche silencieuse dans les rues de Chambéry mardi matin.
Nathalie Grynszpan - Le Monde
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