Depuis son ouverture le 2 janvier, le site d’assistance pour l’aide au logement connaît un succès croissant, notamment auprès des Marocains résidant à l’étranger.
Faites la connaissance d’Aziz Ridouan et comme tous ceux qui l’ont rencontré, vous n’en croirez ni vos yeux ni vos oreilles : ce jeune homme de 17 ans et des poussières, au look des plus communs, branché mais pas trop, brille d’une intelligence et d’une audace hors normes.
De sa chambre d’adolescent, au quatrième étage d’une barre HLM donnant sur le cimetière de Doué-la-Fontaine, une petite ville du Maine-et-Loire, Aziz s’est transformé en redoutable lobbyiste.
Elève tranquille en 1re économique et sociale à Saumur, il a encore une affiche de Michael et Janet Jackson accrochée au mur de sa chambre, deux peluches sur son lit, des manuels scolaires sur un meuble. Mais Aziz le militant, lorsqu’il prend le train pour Paris, rencontre des députés, des avocats, des ministres, des journalistes, participe à des colloques, publie des communiqués repris un peu partout dans les médias. C’est que le lycéen a créé avec un copain, à 16 ans, l’Association des audionautes, rapidement devenue le principal porte-voix des adeptes du "peer to peer" (P2P), l’échange de fichiers musicaux et vidéos sur Internet.
En ces temps de débats parlementaires sur les droits d’auteur, Aziz tente de faire entendre les utilisateurs du P2P face aux campagnes publicitaires et au lobbying agressif des majors et des artistes. Dans ce remake numérique de David contre Goliath, le lycéen joue sa carte crânement. Au culot.
Un jour, en 2002, Christine Boutin, députée UMP, a vu débarquer un "petit jeune" venu lui parler de sujets auxquels elle ne comprenait rien. La très conservatrice parlementaire est ressortie "subjuguée", "époustouflée", "interloquée" par l’intelligence du jeune homme. Convaincue aussi par son argumentaire sur la nécessité de ne pas poursuivre les utilisateurs du P2P. Depuis, elle figure parmi les meneurs inattendus de la fronde des députés contre le projet de loi du gouvernement sur les droits d’auteur. "Cette rencontre a été fondamentale puisque c’est lui, le premier, qui m’a parlé de cette problématique", glisse la députée.
L’audace du jeune homme se raconte aussi à travers une scène devenue légendaire dans la galaxie du P2P. Un jour d’octobre 2004, Aziz s’est invité dans une conférence de presse donnée par Pascal Nègre, le puissant président d’Universal Music France et du principal syndicat des producteurs de musique, un des organismes poursuivant les internautes. Devant les journalistes étonnés, il a pris la parole pour contredire point par point le producteur. A la fin, une partie de la salle avait basculé en sa faveur.
Depuis, le lycéen lobbyiste poursuit son lent travail de persuasion pour convaincre les élites qu’il est possible de légaliser le téléchargement sur Internet sans mettre à mort l’industrie du disque et du cinéma. Il a vu une trentaine de députés, a rencontré François Bayrou, Nicolas Sarkozy, a demandé un rendez-vous avec François Hollande - la réponse tarde.
Comme la politique est affaire de communication, il s’est tourné vers les médias, avec un naturel déconcertant. Benoît Duquesne, présentateur de "Complément d’enquête" sur France 2, qui l’a invité sur son plateau, se dit "stupéfait" par le personnage, sa "précocité dans la communication". C’est peu dire. Aziz a donné sa première interview à un journal américain à l’âge de 12 ans : à l’époque, "pour s’amuser", il avait monté l’antenne européenne d’un site Internet ("No more AOL CDs") qui luttait contre le gaspillage dû à la distribution gratuite de millions de CD promotionnels du géant américain des médias.
Depuis qu’il préside les Audionautes, il a répondu à des dizaines d’interviews. Dans sa chambre, il se plie en toute décontraction à une séance photo. Trois jours plus tôt, il a accepté de jouer au mannequin pour un magazine branché qui lui a fourni des vêtements pour poser. Lorsque les télévisions le lui demandent, il les emmène sans sourciller devant les grilles de son lycée pour tourner quelques images "en situation".
Le plus incroyable, c’est qu’Aziz s’est construit tout seul. Une tendre complicité le lie à sa mère, Khadija, Marocaine de 45 ans, qui l’a élevé avec ses trois frères et soeurs. Mais, illettrée, elle n’a pu le propulser dans cet univers. L’école n’a pas non plus été décisive : "Ni fort ni nul", comme dit sa mère, femme de ménage, il s’est jusque-là contenté d’être moyen, sans jamais trop forcer son talent. Aziz s’est ouvert les portes du monde avec son vieil ordinateur connecté à Internet. Un autodidacte, élevé au numérique.
Depuis qu’il a 10 ans, il navigue sans compter les heures dans les ressources infinies du Réseau, dévorant des milliers de pages sur tous les sujets d’actualité, l’économie, la politique. Certains héritent de la culture par legs familial, lui a fait ses humanités sur Internet ce qui explique son ardeur à défendre ses utilisateurs et à lutter contre les dérives mercantiles. Avec le temps, il est devenu expert : "Il a des connaissances en droit qui valent celles d’étudiants, alors qu’il est totalement autodidacte", s’étonne Julien Dourgnon, directeur des études à UFC-Que choisir, association partenaire des Audionautes.
Ainsi exposé, Aziz ne risque-t-il pas de se brûler les ailes ? Sa mère se garde bien de le flatter, elle remarque, avec sagesse, que, "de toute façon, il y a beaucoup de jeunes qui passent à la télé". Elle préférerait qu’il travaille un peu plus à l’école. Sa soeur, Nadia, 21 ans, assure qu’il a "juste grandi très vite" et que les sollicitations ne l’ont pas changé. Clément, un copain depuis la maternelle, le présente comme égal à lui même, solide face aux tentations parisiennes. Pascal Rogard, directeur de la SACD, un de ses adversaires, lui reconnaît l’absence de prétention.
Lorsqu’il redevient adolescent, Aziz est fan des séries américaines "24 heures chrono" et "West Wing", qu’il télécharge sur Internet. Il lit un peu - quelques poches traînent dans sa chambre, un Amélie Nothomb, un Houellebecq, un Mary Higgins Clark. Des jeux vidéo mais sans plus, la musique, aussi, à faible dose : il n’a plus le temps de télécharger de fichiers MP3. Dans l’avenir, il voudrait faire des études de droit ou Sciences Po pour devenir avocat. D’ici là, il continuera de présenter les mots d’excuse que lui signent volontiers les députés ou les ministres pour justifier ses rares absences au lycée.
Luc Bronner - Le Monde
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