Discours devant l’assemblée nationale française

29 décembre 2008 - 23h31 - 1996 - Ecrit par : L.A

"Louange à Dieu,

Que la paix et la bénédiction soient sur le Prophète, Sa famille et Ses compagnons.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

L’invitation que J’ai reçue du Président de l’Assemblée Nationale appelle de Ma part un remerciement chaleureux. Je l’ai comprise comme un signe de profonde amitié entre nos deux peuples. Je voudrais saisir cette occasion pour souligner les multiples qualités du Président, Monsieur Philippe Seguin, homme politique de talent et de conviction. Personnalité éprise de justice et d’équité, le Président Seguin est également un humaniste avéré, à la sensibilité méditerranéenne affirmée et active. Nous y sommes très attentifs, Monsieur le Président. Vous savez Nous parler et Nous toucher. Vous savez aussi Nous écouter et Nous comprendre. Cette proximité est un don que vous avez su mettre avec générosité et chaleur au service de nos deux pays.

De part et d’autre de la Méditerranée, la France et le Maroc aspirent avec passion et œuvrent avec acharnement à ce que notre monde, si amèrement désolé par le fracas des armes et par la crise économique, trouve la paix, la justice et le progrès. Je me sens en ce lieu, en communion avec les représentants de la Nation française et Je crois qu’avec l’aide de Dieu, ensemble nous réussirons.

Mon propos pourrait s’arrêter là tant la communauté d’esprit qu’il implique et la confiance réciproque qui le justifie sont évidentes. Si Je le prolonge pendant quelques instants, c’est parce que l’enceinte où Je suis accueilli m’incite de façon quasi-irrésistible à une réflexion.

Récemment, votre auguste Assemblée a voté une révision constitutionnelle réformant le système des sessions et élargissant le champ du référendum. Du côté marocain, voici quelques années, en 1992, la constitution a été enrichie par la réaffirmation de l’attachement aux droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus, par la création d’un conseil constitutionnel et par le renforcement des moyens de contrôle parlementaire sur le gouvernement. En ce moment même se prépare une nouvelle révision tendant à créer une seconde chambre et à donner ainsi une nouvelle dimension à l’institution parlementaire. Elle accentuera encore Notre décentralisation, notamment au plan régional.

Ainsi, de part et d’autre, les constitutions et leur fonctionnement évoluent non certes par plaisir du changement, mais parce que le temps passe, que la société change et que vivre, c’est s’adapter. Ne nous y trompons pas cependant. Il ne s’agit pas de Nous copier les uns les autres. En matière de constitution, il n’existe pas de procédé industriel permettant de livrer des usines institutionnelles clés en mains. La simple imitation serait stérile. Si l’on veut s’abandonner à la métaphore, mieux vaut voir chaque constitution comme un vêtement. Un vêtement se dessine et se coud en fonction des formes et des mesures de celui qui devra le porter. Bien plus : celui que l’on habille ne gardera pas immuablement la même silhouette. Les âges de la vie, l’état de santé, la condition physique appellent des corrections qui vont de la simple retouche à un changement d’habit.

Peut-être un ironiste suggérerait-t-il qu’un vêtement est aussi une affaire de mode et qu’il ne faudrait pas faire subir aux institutions des mutations de pure fantaisie. N’y a-t-il pas quelque chose de cela dans l’appel si souvent entendu à la modernité. Il me semble que l’usage du terme "modernité" dans la vie politique est matière à malentendu. Certains de ceux qui l’emploient paraissent croire que la modernité politique exige, en dépit de la géographie et de l’histoire, l’uniformité des institutions dans tous les Etats du monde. Ils se trompent, je l’ai déjà dit. D’autres, se croyant plus réalistes, pensent au contraire que la modernité est hors d’atteinte pour les pays dans lesquels le respect de la tradition s’opposerait à tout changement réel. Ils ne se trompent pas moins. Cette antithèse mécanique entre le passé et l’avenir, Jean Jaurès l’avait dénoncée à l’avance en s’écriant - je cite de mémoire - que "le fleuve est fidèle à sa source quand il descend vers la mer".

Moins éloquemment hélas, je dirai qu’une communauté de valeurs - le principe démocratique, les droits de l’homme, le pluralisme - peut rassembler, sans se trahir et sans les trahir, des traditions différentes. C’est bien parce que les institutions politiques sont, comme les hommes, vivantes qu’il faut ne pas les enfermer dans des textes immuables et rigides. Certes le constitutionnalisme naissant à la fin du XVIII siècle avait rêvé de faire d’une constitution un livre révélé, défiant le temps et l’histoire. Cependant, maints exemples, dont le vôtre et le nôtre, nous ont appris que, sans que changent à tout moment les règles du jeu politique, il existe dans chaque Nation une capacité d’adaptation qui est riche de bons usages.

Les textes ne doivent donc pas être immuables. Ils ne doivent pas davantage être rigides. Il faut certes une règle du jeu, mais elle n’est pas une fin en soi, et le jeu lui-même n’en est pas une simple application. Ce jeu est fait de rapports humains entre les gouvernés et les gouvernants, entre les individus et les groupes sociaux, entre le pouvoir central et les collectivités décentralisées. Ce n’est pas un jeu de robots. Aussi, faut-il laisser à ceux qui le pratiquent une certaine liberté, un vrai pouvoir d’invention et -non certes contre les textes mais à côté d’eux- faire place à ce que l’on appelle ailleurs les "conventions de la constitution". Une démocratie est par définition pluraliste. Elle suppose la pluralité des opinions et des partis, des organes de l’Etat, des niveaux d’administration, des entreprises publiques ou privées, des organisations sociales ou syndicales.

Tour à tour, les divers acteurs politiques ont à faire entendre leurs voix qui sont distinctes et, au besoin, alternantes pourvu que, sur l’essentiel, c’est-à-dire l’indépendance et l’intégrité nationales, elles se retrouvent à l’unisson. Et quand il s’agit des plus grandes questions ou lorsqu’il faut faire surgir une décision sur laquelle le gouvernement ou les représentants élus hésitent, le peuple lui-même, s’exprimant dans un référendum, vient couronner la panoplie des moyens d’adaptation. Telles sont les ressources du droit qui sont à la fois la racine et le fruit de la civilisation politique. Elles ne nous livrent pas des modèles, mais des expériences. Le profit en est partage entre ceux qui les conduisent et ceux qui les observent.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,

En vous soumettant cette réflexion sur l’évolution des institutions, J’ai voulu rendre hommage à votre assemblée, organe et instrument majeur d’une constitution vivante et répondre pour le Royaume du Maroc au message de l’authentique et cordiale amitié qu’à travers ma personne mon pays a reçu."

07/05/1996

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