Etudiants marocains : la carte France

2 avril 2007 - 00h46 - France - Ecrit par : L.A

Ils sont près de 30 000 à suivre une formation supérieure dans l’Hexagone. Au-delà d’une envie d’ailleurs qui ne faiblit pas, ce séjour est pour eux le plus sûr moyen d’accéder à la réussite professionnelle dans leur pays. Reportage dans le royaume et à Paris. Le rêve à portée d’entretien. Ce matin de septembre, Zouhair s’est levé tôt pour être à l’heure.

Fès-Rabat : il faut bien compter trois heures de train, et le rendez-vous était fixé à 11 h 30 dans le quartier Hassan de la capitale marocaine. Mais, dans la petite cour ceinte de grands murs blancs où une brochette de candidats attendent leur tour sagement assis sur des chaises en plastique, le retard s’accumule. Mains moites, silence religieux, le niveau de stress est à son comble. Tous espèrent commencer cette nouvelle année scolaire en France, comme Zouhair, 21 ans et deux années d’études dans une école privée spécialisée en informatique. « Mon inscription en diplôme d’études supérieures "information-réseau" est validée dans une université parisienne, mais il me faut encore passer la barrière de l’entretien, ici, au Centre pour les études en France (CEF), avant de pouvoir demander mon visa au consulat. »

Myriem, sa jolie voisine de 20 ans, vient de décrocher son BTS en développement informatique. Elle aussi dispose d’une inscription dans une école d’ingénierie informatique du Val-de-Marne. « Même si la rentrée a déjà eu lieu, j’ai pu obtenir un délai de quinze jours, explique-t-elle. Mais je ne suis pas certaine que toutes les formalités soient achevées d’ici là. » Une conseillère lance un nom à la cantonade. Tremblante, Myriem se lève et entre dans un bureau. La jeune fille sera informée de la décision par le consulat, d’ici une quinzaine de jours. « Nous ne donnons pas une réponse directe au candidat, de peur des représailles en cas de refus », explique un fonctionnaire du CEF.

Le sujet est sensible. Héritage historique, proximité géographique et linguistique : l’Hexagone est une destination naturelle pour les jeunes Marocains. Avec près de 30 000 représentants sur les bancs des établissements français, ils forment le premier contingent d’étudiants étrangers. Mais les places sont de plus en plus chères. Depuis 2002, la France a adopté une logique de contrôle croissant des flux venant des principaux pays fournisseurs d’étudiants. Une première expérimentation a été menée en Chine, deux ans plus tard, avec les prémices de ces fameux CEF, créés officiellement en 2005 au Maroc, en Tunisie, en Algérie, au Sénégal et au Vietnam. L’année prochaine, une vingtaine d’autres devraient s’ouvrir. « La question de l’immigration choisie interfère avec celle de l’accueil des étudiants étrangers, estime Thierry Audric, ancien directeur de l’agence EduFrance, qui redoute un ternissement de l’image de la France. D’où le rôle ambigu des CEF, qui servent à restreindre les flux d’étudiants tout en cherchant à attirer les meilleurs. »

Le filtre de l’évaluation pédagogique

Désormais, tout Marocain - ou résident étranger au Maroc - désireux d’étudier en France est obligé : 1. de se préinscrire dans un établissement français ; 2. de s’identifier sur le site Internet du CEF de Rabat et d’y passer un entretien individuel ; 3. et enfin d’adresser une demande de visa spécial étudiant au consulat. Coût de la démarche ? 2 200 dirhams (200 €), les frais du test de connaissance du français (TCF) - obligatoire pour entrer en premier cycle universitaire - inclus.

Au total, près de 80% des candidats franchissent avec succès l’étape du CEF. « Avant la création des Centres pour les études en France, la décision ne dépendait que du consulat et était donc purement administrative, explique Yves Kergall, attaché de coopération universitaire à Rabat. Depuis, nous effectuons d’abord une évaluation pédagogique, ce qui est dans l’intérêt des jeunes. » Ce filtre qualitatif supplémentaire a eu un effet dissuasif sur les demandes de visa. Si les demandes et les attributions sont en baisse, le taux d’acceptation augmente. En 2004, il était de 48% (4 836 visas délivrés sur 7 940 demandes), et de 59% en 2005 (4 089 visas délivrés pour 6 890 demandes). L’absence de garanties financières constitue la cause la plus fréquente de refus.

L’envie de partir, elle, ne faiblit pas. Dans un pays où 35% des chômeurs ont moins de 34 ans, bénéficier d’une formation reconnue est une garantie essentielle pour l’avenir. Or rares sont les Marocains qui accèdent aux écoles publiques de qualité, dans la mesure où celles-ci sont très sélectives. Quant au système universitaire marocain, il ne convainc plus grand monde, comme l’illustre tragiquement le mouvement des « diplômés chômeurs » créé au début des années 1990. Il y a un an, une vingtaine de ses militants, désespérés, ont été jusqu’à s’immoler devant le ministère de la Santé à Rabat…

Laïla Bensouda a eu nettement plus de chance dans la vie. Installée devant un jus d’orange, dans un bistrot du quartier Saint-Germain-des-Prés, à Paris, cette jeune Marocaine de 24 ans vient d’achever sa journée de travail. Voilà cinq ans que ce pur produit de l’élite marocaine a traversé la Méditerranée pour démarrer sa carrière. Sa scolarité, elle l’a effectuée au lycée Descartes - le lycée français de Rabat - puis en prépa scientifique au lycée Sainte-Geneviève de Versailles, avant d’intégrer Télécom Paris, la célèbre Ecole nationale supérieure des télécommunications. « Les diplômes français, et a fortiori ceux des grandes écoles, demeurent les plus prisés pour les grandes entreprises marocaines », explique-t-elle.

Comme une écrasante majorité de jeunes Marocains (lire l’encadré), Laïla compte rentrer chez elle d’ici à un an ou deux, après une solide expérience professionnelle. De quoi rassurer les autorités françaises. « Nous ne voulons pas donner l’impression de piller les cerveaux de ce pays », résume un diplomate. Pour ne pas tomber sous le coup de cette accusation, la France s’est d’ailleurs engagée dans un programme d’entraide afin de redorer le blason des universités marocaines. Grâce à son pedigree, la brillante Laïla n’a pas rencontré de difficultés particulières pour débarquer à Paris. Mais son cas demeure l’exception. Faute de réussir à venir étudier en France, beaucoup de jeunes Marocains se replient vers une solution de rechange : décrocher un diplôme français ou franco-marocain sans quitter le royaume.

De nombreux établissements privés marocains et universités françaises ont flairé le marché juteux. Certaines écoles nouent jusqu’à sept ou huit partenariats sans avoir la taille, le budget ni le personnel suffisants… Il existe néanmoins quelques valeurs sûres de l’enseignement, telle l’Ecole française des affaires (EFA) de Casablanca, une émanation de la Chambre de commerce franco-marocaine, reconnue pour la qualité de ses cours des deux côtés de la Méditerranée. « Nous proposons un diplôme français - bac 2 - pour les étudiants locaux qui n’ont pas les moyens de partir à l’étranger », indique Olivier Randonneix, le directeur.

A l’ombre de la tonnelle de la cour de l’école, un groupe d’étudiants profite de l’absence d’un professeur pour discuter tranquillement. Nombrils piercés, dreadlocks, looks gothiques, têtes gominées ou voilées… le mélange des apparences est de rigueur. « A l’EFA, la discipline est stricte et la charge de travail importante, explique Hanane, jean moulant, maquillage discret et collier en sautoir. C’est quasi militaire, nous n’avons pas le temps de sortir, ce qui rassure les parents. » A 34 000 dirhams (3 000 €) l’année, sa famille s’est saignée pour lui payer ces études. Malgré sa tenue décontractée, Hanane n’envisage pas de rejoindre un jour la France, trop effrayée à l’idée d’être tentée par les valeurs occidentales. Près d’un tiers des « éfaïstes » n’auront pas cette réserve et postuleront, après leurs deux années d’études, aux concours des écoles de commerce françaises.

Dans l’esprit de nombreux jeunes Marocains, l’attractivité de la France dépasse largement celle de ses diplômes. Pour Ikram, par exemple, la France est synonyme de liberté. Des bottes dernier cri, une robe ravissante sans bretelles, des cheveux courts et un piercing sur la langue : cette jeune femme révoltée entretient son look de Parisienne branchée envers et contre tout. Même ici, à Casablanca, à quelques jours du ramadan. « Je suis partie en vacances à Paris l’année de mes 18 ans et j’en ai profité pour déposer, en catimini, un dossier d’inscription en terminale dans des lycées », raconte-t-elle dans l’un des rares restaurants de la ville encore ouverts à la veille de cette période sainte. Ikram a passé son bac à Nanterre, puis intégré une école d’attachés de presse à Paris. Avant de galérer pour trouver un boulot et de se résoudre à rentrer au pays, où elle a décroché un job dans la communication. Depuis, elle ne vit qu’avec une idée en tête : « Repartir ! »

Partir, revenir

- L’envie de retour
Les Marocains sont 86% à déclarer vouloir rentrer dans leur pays d’origine, indique un sondage de l’association Maroc Entrepreneurs, réalisé en août 2006 auprès de 1 823 personnes (70% étant âgées de 21 à 30 ans et 70% disposant d’un niveau d’études supérieur ou égal à un bac 5).

- Les motivations principales
Les candidats au retour souhaitent : retrouver leurs proches et fonder leur propre famille dans leur pays, contribuer au développement économique du Maroc, renouer avec une meilleure qualité de vie.

- Les réserves liées à un retour
Elles portent avant tout sur les perspectives de carrière. Sont dénoncés, pêle-mêle, le manque de professionnalisme, le clientélisme et les faibles niveaux de rémunération pratiqués au Maroc. Autre critère « bloquant » : l’absence de libertés individuelles.

France, terre d’études

On estime à environ 250 000 le nombre d’étudiants étrangers en France. Ce chiffre s’élève à 188 626 pour les seuls étudiants étrangers non résidents. Notre pays occupait le troisième rang mondial, pour cette dernière donnée, derrière les Etats-Unis (565 032), la Grande-Bretagne (318 395) et devant l’Allemagne (186 656) (source EduFrance). Entre 1998 et 2004, le nombre d’étudiants étrangers a augmenté de 70%. Plus de la moitié venaient du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, un quart d’Europe et 15% d’Asie. Les politiques d’immigration visent à rééquilibrer les flux au profit de l’Asie et de l’Amérique latine. Les filières les plus prisées par les étudiants étrangers sont l’économie (24%) et les sciences (15,7%).

L’Express - Marie Cousin

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