Fatima Nassiri, "ambassadrice de la réussite" à L’Isle-d’Espagnac

2 avril 2004 - 17h20 - France - Ecrit par :

En fait, je brasse du linge", dit Fatima Nassiri, qui tient une blanchisserie à L’Isle-d’Espagnac, dans la banlieue d’Angoulême (Charente), encore toute étonnée d’avoir reçu, le 22 novembre 2003, sous les lambris du Sénat, l’un des prix du concours Talents des cités.

Créé en 2002 par le ministre de la ville de l’époque, Claude Bartolone, et organisé par le réseau des Boutiques de gestion, Talents des cités récompense, chaque année, les parcours de créateurs d’entreprise issus des quartiers populaires. Lors de sa deuxième édition, en 2003, la place des femmes s’est affirmée, représentant 45 % des 22 lauréats, dont une grande majorité issue de l’immigration. Fatima Nassiri, 34 ans, y représentait la région Poitou-Charente. " Vous imaginez, une Arabe au Sénat, s’exclame-t-elle. Quelle émotion, quel parcours !" Photo avec Jean-Louis Borloo, l’actuel ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, reportages sur les chaînes de télévision, articles dans les journaux, avalanche de courriers et félicitations de la clientèle : "pendant quelques semaines", cette Française née à Agadir (Maroc), qui vit seule avec ses deux fils à Soyaux, une cité proche, a "plané. J’étais la star du quartier", s’amuse-t-elle.

Elle a perçu 3 000 euros du concours, dont le trophée est posé sur le bureau de son commerce. Une pièce de 16 mètres carrés, avec du matériel ordinaire : deux machines à laver, un sèche-linge, des panières, des cintres. Pas de presse mais un central vapeur classique.

Elle repasse donc le linge à la main. Fatima Nassiri travaille seule, pour un chiffre d’affaires de 26 000 euros en 2003. Sur les murs de son local, elle a accroché ce qui fait sa fierté : les photos de ses enfants et les articles de presse locale sur elle. "Pour moi, le prix Talents des cités marque la reconnaissance de mon boulot et des efforts fournis", pour en arriver là. "La famille et le travail, ce sont des facteurs d’intégration, lance-t-elle, révoltée par la mauvaise image que la presse donne de nous, sans jamais montrer les gens des cités qui vont bien et payent leurs impôts."

Diplômée d’un BEP sanitaire et social et d’un CAP de cuisine, Fatima Nassiri a d’abord travaillé dans des maisons de retraite puis dans la restauration, dont les horaires se sont avérés peu compatibles avec la vie de famille. Aussi, à la naissance de son deuxième enfant, en 1998, elle opte pour un congé parental de trois ans, avant qu’une amie, qui avait créé "Le fer à dix sous" en 2001, lui propose de l’embaucher. "J’ai pu négocier mes horaires avec elle." Mais, en 2002, son amie doit se retirer des affaires pour raisons de santé. Fatima Nassiri redoute de retrouver le chômage et les difficultés qu’elle a connues au début de sa carrière pour trouver un emploi, "sans doute à cause de mes origines, bien que je sois française".

Son amie lui suggère de reprendre la blanchisserie. Elle en perçoit les risques, mais la clientèle est là, l’expérience aussi, et sa famille l’encourage. Conseillée et suivie par la boutique de gestion d’Angoulême, Airelle, elle rachète le fonds de commerce grâce à un prêt de l’Association pour le développement de l’initiative économique (ADIE), l’aide de l’Etat aux chômeurs créateurs (EDEN) et un apport personnel auquel a participé sa famille. Elle bénéficie aussi d’une exonération de charges durant un an. Elle a adapté ses horaires pour pouvoir être le plus possible avec ses fils et leur transmettre les valeurs héritées de ses parents : "amour et respect mutuel". Son travail ne lui pèse pas. "J’aime ce métier, le contact avec la clientèle. Ici, c’est moins un pressing qu’une maison familiale. Des personnes viennent se confier, boire un café." La voilà donc chef d’entreprise et... exténuée. Son commerce est ouvert 35 heures par semaine, mais elle en fait 72 à 80 en réalité, dont la moitié le soir et le week-end à la maison. Tout cela pour gagner "à peine le smic". Pour l’instant, elle n’a pas les moyens d’embaucher, même si "aider des personnes à sortir du chômage est -son- but". Elle ne peut augmenter ses tarifs non plus, bien qu’ils ne correspondent pas vraiment au prix réel d’une prestation de qualité, ni travailler plus d’heures.

Comment développer cette affaire qui marche bien ? Il faudrait agrandir le local et acheter du matériel plus professionnel. Cela permettrait à Fatima Nassiri de démarcher de nouveaux clients, d’embaucher, d’avoir "un vrai salaire et de ne plus emporter de travail à la maison". Devis : 13 600 euros pour le matériel, plus les travaux. Mais aucune banque ne veut s’engager pour un prêt. "En tant que femme, issue de l’immigration et habitant dans un quartier difficile, je dois me battre plus que les autres."

Se battre et ne jamais désespérer, c’est le message qu’elle fait passer aux jeunes porteurs de projets que lui adresse la boutique de gestion. Le prix Talents des cités a en effet donné à Fatima le titre d’"ambassadrice de la réussite". Elle leur dit aussi de ne pas rester seuls. "Quand on est isolé, on a envie, face aux difficultés, de mettre la clé sous la porte et de partir loin." Elle-même s’accroche chaque jour, espérant que son parcours "servira d’exemple".

Francine Aizicovici pour le monde

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