Interview à Le Figaro

1er mars 2007 - 23h49 - 2001 - Ecrit par : L.A

Vous êtes monte sur le trône en juillet 1999 après la mort de votre père, le Roi Hassan II. Quel bilan dressez-vous de ces deux premières années de règne ?

Je n’ai que 38 ans et, après deux ans de règne seulement, je préférerais utiliser un autre mot que celui de bilan. Bilan, cela semble à la fois prématuré et prétentieux, tout en suggérant la fin de quelque chose. Or, je n’en suis qu’à mes débuts. J’ai délibérément choisi la voie moins spectaculaire qui consiste à fonder mes choix sur les acquis et le socle de la continuité. Vous savez, je ne me réveille pas tous les matins en me disant : tiens, aujourd’hui, pour plaire ou pour faire la une des journaux, je vais changer les choses. Ce serait ridicule et démagogique. Mon approche est à la fois plus pragmatique et plus réfléchie. Mon rythme est celui du Maroc. Ce n’est pas nécessairement le même que celui que veulent nous imposer, avec arrogance et ignorance, certains observateurs transformes en procureurs. Depuis leurs cafés du commerce, ces gens veulent mettre le Maroc et son Roi au diapason de leur propre fantasme. Ce temps est révolu.

Mais êtes-vous au diapason des attentes de l’opinion Marocaine ?

C’est justement ce qui m’importe. Ce que je retiens, c’est le regard que l’immense majorité des Marocains portent sur mon action. Ce regard converge avec le mien pour constater que la tache est à la fois immense et exaltante.

Ensemble, nous voulons affiner l’espace démocratique le plus complet. Nous voulons aussi que cette démocratie soit celle du mieux-être. La démocratie d’un pays qui a fait le choix d’un rééquilibrage social fonde sur la croissance mais aussi sur le réalisme et l’équité. Cette vision, celle de la raison, est bien comprise par les Marocains. Eux savent ou va le Maroc.

Puisque vous annoncez une nouvelle route, celle des reformes, a quelle étape en êtes-vous ?

Les signaux déjà donnés, les résultats déjà acquis sont nombreux et substantiels. Qu’il s’agisse des droits de l’homme, domaine dans lequel le Maroc n’a plus grand chose à prouver, ou de la logique d’inclusion sociale dont j’ai fait ma première priorité. Ce ne sont pas seulement les Marocains qui m’ont entendu. C’est aussi le cas de la communauté internationale. Notamment les décideurs du monde des affaires puisque le Maroc, pour la première fois dans son histoire, va franchir la barre des 3 milliards de dollars en investissements directs venus de l’extérieur. Il y a dix ans a peine, ces investissements étaient inferieurs à 50 millions de dollars par an.

Mais il ne peut pas y avoir de développement économique sans développement social.

C’est une évidence. Nous devons nous battre sur deux fronts, économique et social. La lutte contre la pauvreté et contre l’analphabétisme est un objectif prioritaire.

Comment gérez-vous la dialectique entre démocratie et développement ? Comment surmontez-vous les contradictions entre votre volonté de modernisation et les réalités d’un monde rural en grande partie analphabète ?

La tradition et la modernisation peuvent très bien aller de pair. Je pense même que la modernisation peut aider à enraciner une certaine tradition. Voyez le japon. Le tout est de trouver une formule adéquate pour le Maroc. La majorité des Marocains vivant en milieu rural, la modernité doit leur apporter des solutions sur place. Il ne faut pas qu’ils aillent chercher dans les villes le moyen de résoudre leurs problèmes. Vous savez, le Maroc fait face à un cycle historique de sécheresse quasi-structurelle. Et, en dépit des drames que cela engendre, nous n’avons pas cède a la fatalité. Nous continuons à progresser. Je voudrais vous citer deux chiffres. Entre 1990 et 2000, le nombre de villages ayant accès a l’électricité est de 15% a 45% et, pour l’eau potable, de 14% a 42%.

D’après ces chiffres, vous n’êtes même pas a la moitie du chemin. Alors, comment aller plus vite et plus loin ?

Développer les infrastructures, c’est d’abord amener l’eau et l’électricité. Revoir la politique agricole, c’est déterminer si la production Marocaine doit être axée vers les céréales ou plutôt vers des produits agricoles a plus forte valeur ajoutée. Les centres d’alphabétisation ne doivent pas être ouverts dans les villes mais dans les campagnes : pour permettre aux jeunes filles d’avoir accès a l’éducation, pour permettre aux gens de s’ancrer chez eux, de développer leurs connaissances sur place et d’apporter quelque chose a leur milieu naturel. La tache est immense et l’état n’a pas les moyens d’assumer seul toutes ces responsabilités. Il faut aussi que les ONG participent à cet effort. Notamment la fondation Mohammed V que je préside et qui travaille beaucoup dans le domaine de l’éducation et de la lutte contre l’analphabétisme.

Quelle définition politique donnez-vous d’une monarchie qui ne se veut ni absolue ni parlementaire ?

Il est impossible de comparer ce qui n’est pas comparable. On n’a pas arrêté, par exemple, de faire le parallèle entre ma personne et celle du Roi juan Carlos. Je le respecte et je l’aime beaucoup mais la monarchie espagnole n’a rien à voir avec la monarchie Marocaine. Les Marocains n’ont jamais ressemble a personne et ils ne demandent pas aux autres de leur ressembler.

Les Marocains veulent une monarchie forte, démocratique et exécutive. Notre monarchie est constitutionnelle avec un texte fondamental datant de 1962 qui avait été élaboré en étroite concertation avec les formations politiques de l’époque. Mais, chez nous, le Roi ne se contente pas de régner. Je règne et je travaille avec mon gouvernement dans un cadre constitutionnel clair qui définit la responsabilité de chacun. Il n’y a aucune ambigüité et aucun complexe dans ce que je suis en train de vous dire. Depuis treize siècles que dure la monarchie Marocaine, nous avons évolué dans ce cadre et les Marocains le veulent ainsi.

Vous gouvernez, pas seul toutefois

Dans le monde moderne, même un Roi ne peut pas agir en solitaire. De plus, cela ne correspond ni a mon gout personnel ni a ma philosophie. Je travaille en équipe. Je m’entoure. J’ai des conseillers qui me donnent leurs avis en toute franchise.

J’ai confiance en eux et ils ont confiance en moi. Cela dit, je ne m’appuie jamais sur le jugement d’une seule personne. J’ai peut-être tendance à demander un trop grand nombre d’avis. Mais je ne veux surtout pas faire l’erreur de fonder ma décision sur un point de vue unique, sur l’opinion d’une seule personne.

Comment organisez-vous la répartition des taches avec le premier ministre Youssoufi ?

Il n’y a aucune improvisation. M. Youssoufi fait son travail, je fais le mien. Personne n’empiète sur le domaine de personne. Il y a quelques instants, j’ai eu M. Youssoufi au téléphone. Un conseil de gouvernement venait de se réunir et le premier ministre m’a pose deux ou trois questions. Je lui en ai pose aussi. Nous avons échangé des informations. C’est comme cela que ca se passe. Avant le conseil des ministres, M. Youssoufi vient me voir. Nous débattons de ce qui va être dit et on se partage la tache en ce qui concerne la politique intérieure aussi bien que la diplomatie. Par exemple, M. Youssoufi nous a beaucoup aides pour obtenir d’un certain nombre de pays qu’ils modifient leur position sur le Sahara. Un jour je suis stratège, un jour c’est lui qui l’est. Un jour je suis tacticien, un jour c’est lui. Et il n’y a pas que M. Youssoufi, il y a tout un gouvernement, des ministres, des secrétaires d’état. La aussi, nous formons une équipe, une équipe très soudée.

Dans un récent entretien au figaro, l’universitaire Gilles Kepel, spécialiste du monde arabo-musulman, a critique la timidité du gouvernement Youssoufi dans l’application des reformes. Pour Kepel, le vrai test du changement au Maroc, ce sera l’élection de septembre 2002. Partagez-vous ce diagnostic ?

Non. Pour moi, les élections ne sont ni un test ni une sanction. Ce n’est pas la première fois que les Marocains iront aux urnes. Si le prochain scrutin suscite plus d’intérêt, c’est parce qu’il s’agira des premières élections sous mon règne.

Dans une démocratie, les élections représentent un processus tout à fait normal. Or, le Maroc est une démocratie. Le prochain scrutin sera transparent. Il reflètera la volonté des citoyens Marocains. Les gens savent pertinemment ou va le Maroc et ou je veux aller.

Ppourtant, depuis que vous avez succédé au Roi Hassan II, vous avez souvent donne l’impression de cultiver le mystère.

Au Maroc, on me connait parfaitement. Les Marocains connaissent mon caractère et mes idées, ils savent absolument tout de moi. Cette notion de mystère est entretenue par une certaine presse : pour vendre, il faut mettre une étiquette. On m’a donc colle une étiquette, celle du mystère, simplement parce que j’ai décidé que, avant de parler, j’attendrais de mieux savoir. Alors, cette attitude a peut-être surpris, déçu, ceux qui attendaient ou souhaitaient une démarche plus médiatique. De toute façon, je ne suis pas candidat au hit parade.

Vous ne semblez pas éprouver de grand amour pour la presse.

Je ne prétends pas faire l’unanimité. Et j’ai appris qu’il ne fallait pas chercher à plaire à tout le monde et a tout prix. Mais qu’est-ce que la liberté ? Pour moi, c’est le respect de l’autre et le respect de la loi. La liberté, ce n’est pas l’anarchie. La critique est constructive, pas la délation. La liberté de la presse, ce n’est pas que n’importe qui écrive n’importe quoi sur n’importe qui. Il faut écrire en respectant les faits même quand ils sont moins excitants que le fantasme de ceux qui ont choisi de critiquer pour critiquer. Mais au Maroc, comme ailleurs, les faits têtus imposeront leurs propres sanctions à ceux qui veulent les ignorer.

C’est le paradoxe de la liberté : elle s’accompagne toujours de la critique. Vous avez permis à cheikh Yassine, le contestataire Islamique, de s’exprimer. Cela ne l’empêche pas de vous attaquer.

Je lui ai permis de mener la vie de tout citoyen Marocain.

En somme, le revers de votre tolérance, c’est que cheikh Yassine proteste.

D’avoir été libéré peut-être ?

Faites-vous le même genre de réponse à tous les mecontents ? Ceux qui disent : le Roi a déçu. Le changement avait commence a grande vitesse et puis le mouvement s’est ralenti.

Alors, j’aurais du laisser Yassine en résidence surveillée et Abraham Serfaty en exil. J’aurais maintenu le statu quo pendant un ou deux ans en calculant que le jour ou ma popularité tomberait, il me suffirait de les rétablir dans leurs droits pour retrouver une bonne cote. Je ne sacrifie pas au populisme. N’étant pas élu, a quoi bon me livrer a des calculs totalement étrangers a mon éthique ? Non, je ne peux garder des gens au réfrigérateur dans le seul but de sortir une carte de ma manche. Ce que j’ai décidé à propos d’Abdeslam Yassine et d’Abraham Serfaty, je l’ai fait parce que c’était ma conviction et que le moment était venu de le faire.

Il y aussi le problème des femmes face a l’Islam. Chez les Marocaines qui réclament une amélioration de la condition féminine, vous aviez suscite de grands espoirs lorsque vous êtes monte sur le trône. Mais, l’an dernier, les Islamistes montraient leur force en organisant à Casablanca une manifestation imposante contre le plan national d’intégration de la femme. Tandis que la contremarche des progressistes à rabat, rassemblait beaucoup moins de monde. Depuis, le projet de reforme de la moudawana, le statut de la femme semble avoir été oublie.

Cette manifestation Islamiste s’est déroulée quelques mois après mon investiture. Je ne m’étais pas encore prononce, je n’avais pas encore fait de déclaration. Je pense donc que la marche de Casablanca a été un exutoire, une façon de se défouler. Pour moi, la question de la femme dépasse l’opposition entre les étiquettes Islamistes et non Islamistes. D’ailleurs, dans la délégation de femmes qui était venue me demander de revoir le code de la moudawana, il y avait aussi des femmes voilées. Vous savez, la femme Marocaine n’a pas grand chose à envier à ses compatriotes masculins du point de vue de ses compétences et de ses ambitions. Maintenant, il faut lui donner la possibilité d’optimiser ses atouts. Il y a des femmes dans mon cabinet et au gouvernement. Partout j’ai installe des femmes a des postes clés. Mais je suis hostile au système des quotas qui, automatiquement, condamne les femmes à un statut de minorité. La sélection ne doit se faire qu’en fonction des compétences et non par démagogie sexiste.

La manifestation de Casablanca n’a-t-elle pas démontré que, comme en Algérie et en Iran, il y a un danger de radicalisation Islamiste au Maroc ?

Je ne le pense pas parce que le Maroc est un pays très ancre dans ses traditions. En Iran et en Algérie, il y a eu toute une période ou la religion ne faisait plus partie de la vie quotidienne. Ici, la religion se vit tous les jours. De plus, le Roi a une légitimité religieuse parce qu’il est Amir al Mouminine, le commandeur des croyants. Je dois garantir la liberté du culte et, je le précise, pas seulement celle des musulmans. Les trois religions, musulmane, juive et chrétienne peuvent s’exprimer en toute liberté, sécurité et sérénité. Je suis Islamiste si l’Islamisme signifie le respect de la religion.

Mais je ne suis pas intégriste. A l’inverse, il est stupide d’accepter le monokini ou la minijupe et, en même temps, montrer du doigt les femmes voilées. Ce sont des raccourcis qui n’ont pas droit de cite au Maroc.

Si la contagion algérienne ne peut pas déborder par le biais de l’intégrisme religieux, n’y a-t-il pas un risque du coté des berbères ? Ils sont descendus dans la rue pour exprimer leur solidarité avec les kabyles qui, sur l’autre versant de la frontière, contestaient le pouvoir d’Alger.

Les revendications berbères ne sont pas les mêmes que celles des kabyles. Chez nous, la sensibilité, amazigh plutôt que berbère, est intégrationniste. Je suis Marocain avant de dire que je suis berbère ou arabe. Il y a des Marocains qui sont berbères, d’autres d’origine arabe, africaine ou andalouse. Mon père était de descendance arabe alors que ma mère est berbère. Cette réalité exprime le génie Marocain.

Tout le monde n’a pas l’air d’accord avec cette vision des choses puisque votre propre cousin, le prince Moulay Hicham, conteste certains de vos choix politiques.

Je préfère que les problèmes de la famille, s’ils existent, se règlent dans la famille. C’est la aussi mon éthique.

L’armée est-elle le rempart de la monarchie ?

De toutes les théories concoctées sur le Maroc, les plus surprenantes et les plus simplistes sont celles qui ont été inspirées par le rôle de l’armée. Quelques mois avant le décès de mon père, on expliquait que l’armée était Islamiste et que le jour ou Hassan II disparaitrait, le pays plongerait dans le chaos. Depuis, on a dit le contraire : le Maroc serait menace par l’émergence de l’intégrisme et l’armée représenterait le seul bouclier contre l’Islamisme. Autre scenario : le Maroc serait dirige par un petit groupe secret d’officiers. Autant d’aberrations l’armée a une place importante au Maroc. Mais l’armée n’a pas de rôle politique. Son pouvoir découle du pouvoir royal. Et je n’ai pas besoin de l’armée pour faire de la politique. On a cause beaucoup de tort au Maroc avec ce genre d’élucubrations.

Cet été, on a pu croire que le mystère de la disparition de Ben Barka avait été résolu. Selon les révélations alors publiées dans la presse en France et au Maroc, sa dépouille avait été ramenée au Maroc, après son enlèvement à paris, et détruite dans une cuve chimique. Mais ces informations ont été vigoureusement démenties par les autorités Marocaines tandis que le principal informateur, l’ancien agent secret Ahmed Boukhari, se retrouvait condamne a un an de prison pour cheque sans provision. Qui a manipule qui ?

Si on connaissait la vérité, il n’y aurait pas eu de dérapage. Si on savait exactement ce qui s’est passé a l’époque de la disparition de ben Barka, et ou se trouve sa dépouille, il n’y aurait pas toutes ces spéculations. Je ne sais pas ce qui s’est passe. J’aurais pu poser la question à mon père, que Dieu ait son âme, mais je ne l’ai pas fait. Je ne l’ai pas fait parce que lui-même ne m’en avait jamais parle. J’ai respecte son silence.

Votre réponse aussi est énigmatique.

Je vous le répète, je ne sais pas ce qui s’est passe et les principaux acteurs de l’affaire ben Barka ne sont plus la. Mais je trouve que la mémoire de ben Barka est traitée de façon inacceptable : pour la presse, et certains individus, elle est devenue un produit commercial. C’est une insulte à sa famille. Il est normal que l’épouse de ben Barka et son fils veuillent savoir ou se trouve la dépouille de Mehdi ben Barka. Je comprends d’autant mieux leur démarche que j’ai à peu près le même âge que Bechir, le fils de Ben Barka. Il serait inconvenant de ma part de demander a bechir ben Barka d’oublier et de tirer un trait sur le passe. Non, je ne le ferai pas. Mais le temps est peut-être venu de voir ce dossier différemment. Et je suis prêt, pour ma part, à contribuer à tout ce qui peut aider la vérité.

Mais, de la même façon, je m’opposerai à toute récupération et à toute instrumentalisation, mercantile ou idéologique, de cette affaire.

Le pouvoir vous a-t-il change ?

Quand je suis monte sur le trône, j’ai dit à mon frère : si je change, préviens-moi. Et il y a quelques temps, je lui ai demande si j’avais change. Il m’a répondu : oui, un petit peu. Mais je ne crois pas que ce soit un changement négatif. Au début, je pensais que je resterais le même. Mais le pouvoir change un homme et je ne fais pas exception.

l’attitude des autres a-t-elle change ?

Absolument pas bien sur, certains de mes amis ont eu un reflexe de réserve. Moi aussi, je l’ai eu. Mais les choses sont vite rentrées dans l’ordre. J’ai garde les mêmes amis, les mêmes habitudes. J’essaye de mener une vie relativement normale, surtout avec ma famille. Je suis très proche de ma mère, de mon frère et de mes trois sœurs. On se téléphone souvent. Nous nous disons nos quatre vérités, parfois il y a des fâcheries. Bref, ma famille est comme toutes les familles.

Le pouvoir vous fait-il peur ?

Peur, non mais le poids des responsabilités est lourd. L’essentiel est de garder la confiance des autres. Quand vous ne l’avez pas, vous n’avez rien à perdre. Quand vous l’avez, le plus dur c’est de la maintenir. Ma priorité, c’est de conserver la confiance de mon Peuple. Je tiens à remercier les Marocains d’être indulgents. Parce que je sais que leurs attentes sont énormes. Le Roi est le premier serviteur du pays : je suis donc à la disposition de tous les Marocains. On a dit que j’étais le Roi des pauvres. Très bien, mais je suis d’abord le Roi de tous : le Roi des jeunes, le Roi des vieux et même le Roi des riches. Je ne dis pas à mon Peuple que je ne ferai pas d’erreur mais je promets de faire de mon mieux.

Y a-t-il des écrivains qui inspirent votre démarche politique ?

Non. Je lis de tout, absolument tout mais ce ne sont pas les écrivains qui m’inspirent. C’est mon père, qui m’a le plus appris. Tout en respectant mes propres idées. Il me disait : tu as des défauts et tu as des qualités. On ne peut transformer tes défauts en qualités, mais tu dois essayer d’exploiter au mieux tes qualités.

Justement, quelle est votre plus grande qualité ?

Ce n’est pas à moi de vous le dire. Je sais seulement que je suis fait d’un bloc. Je suis entier et je m’implique totalement dans ce que je fais.

Quels sont vos défauts ?

J’en ai beaucoup. Je suis impulsif. Mais, grâce à mon père, j’ai appris à ne jamais prendre de décision à chaud.

Dans ma jeunesse, je ne comprenais pas toujours l’absence de réaction de mon père devant une situation qui me semblait injuste. Il me disait : attends avant de décider. Malgré cet enseignement, j’ai pris des décisions a chaud et je me suis brule. Désormais, je commence par analyser tranquillement toutes les situations, et, quitte à prendre un peu de temps, je laisse décanter les choses avant de décider.

Ecoutez-vous autant de musique que vous lisez de livres ?

J’aime beaucoup la musique de mon temps, le rai, le rock. Je l’avoue, j’ai des gouts très commerciaux. Mais je me laisse emporter par les différents courants contemporains.

Vous avez la réputation d’un amoureux de la mer ?

J’adore la mer. Ne a rabat qui est sur la cote, j’ai toujours aime être en contact avec l’eau. Je pourrais difficilement vivre loin de la mer. Mais il n’y a pas que le jet-ski et les sports de plage qui m’intéressent. J’ai aussi les mêmes passions que mon père. Il faisait du golf, du cheval et nageait tous les jours. Une semaine avant sa mort, il faisait sa demi-heure de natation le matin et ses neuf trous de golf. Alors, avec mon frère, nous nous sommes partages la tache. Moi, je suis bon cavalier et lui bon golfeur.

Paris match a annonce que vous alliez vous marier fin septembre. Confirmez-vous la nouvelle ?

Ecoutez, quand ca se fera, il y aura un communiqué en bonne et due forme qui sortira du ministère de la maison royale et qui annoncera l’événement.

Si vous décidez de vous marier, donnerez-vous le scoop au figaro ?

Je préfère parler d’information, pas de scoop. Et cette information, c’est d’abord à mon Peuple que je la réserve.

A propos de l’ex-Sahara espagnol, vous avez obtenu que l’ONU renonce à l’option de l’indépendance. Selon ce nouveau projet, votre province du Sahara occidental, restera Marocaine mais elle devra disposer d’une large autonomie.

J’ai réglé la question du Sahara qui nous empoisonnait depuis vingt-cinq ans. Ce genre d’affaire ne se traite pas en grimpant sur un piédestal et en publiant un communique par jour. Pour obtenir que les onze membres du conseil de sécurité de l’ONU reconnaissent la légitimité de la souveraineté Marocaine sur le Sahara, nous avons travaille dur et dans la plus stricte confidentialité pendant dix-huit mois.

Mais ce compromis sur le Sahara, il vous reste à le négocier.

En effet, nous abordons maintenant une phase nouvelle de la négociation. Mais nous y rentrons de façon nettement plus confortable.

Sauf avec l’Algérie.

Le compromis est clair et nous sommes en train d’en discuter. Nous acceptons qu’une solution équitable soit trouvée dans le cadre de la souveraineté Marocaine.

Peut-on parler de solution tant que l’Algérie dit non ?

L’Algérie refuse aujourd’hui. Peut-être qu’elle ne refusera pas demain. La solution prendra du temps, il faut la laisser murir.

Avec le Président Bouteflika, vous aviez donne l’impression d’un nouveau début entre le Maroc et l’Algérie. Mais, dans les mois qui ont suivi votre accession au trône, les relations se sont dégradées.

Pas du tout. Les relations entre le Président algérien et moi-même sont excellentes. Mais bon, les relations entre nos deux pays fluctuent, selon les aléas qu’imposent les réalités de nos deux pays.

La rumeur court d’un sommet a l’automne pour normaliser les relations.

Rien n’est décidé. Mais je ne suis pas contre. Toutes les possibilités de trouver un arrangement méritent d’être étudiées. Sur le plan international, le Président Bouteflika a rendu une certaine aura à l’Algérie, une certaine crédibilité.

L’Algérie connait des problèmes intérieurs mais ceux-ci n’ont rien à voir avec la personne du Président Bouteflika. La situation actuelle est la conséquence de problèmes qui remontent loin dans le passe.

Autre grand contentieux diplomatique : vos difficultés avec l’Espagne. Madrid reproche au Maroc de ne pas lutter avec assez de vigueur contre l’émigration sauvage vers les cotes espagnoles. L’Espagne proteste d’autant plus que, sur la frontière sud de l’union européenne, elle est en quelque sorte le gardien des accords de Schengen.

Au Maroc, nous n’avons jamais occulte le problème de l’émigration. C’est un problème réel. Ce que nous n’acceptons pas, c’est que Madrid dise que toutes les difficultés de l’Espagne viennent du Maroc. Qu’il y ait des mafias au Maroc qui vivent de l’émigration clandestine et du trafic de drogues, c’est vrai. Mais en Espagne, il y aussi des mafias et elles sont plus riches qu’au Maroc. Les bateaux qui embarquent les clandestins viennent d’Espagne. Ils coutent très cher et ils sont équipés de moteurs hyperpuissants qui rendent ces bateaux bien plus rapides que les vedettes de notre marine. Quant aux trafiquants de drogue Marocains, ils ont des passeports espagnols et des comptes bancaires en Espagne. Ce n’est pas nous qui leur avons accorde la double nationalité. Disons que la responsabilité est partagée. Mais du coté du Maroc, c’est beaucoup par manque de moyens.

Avec la France, en revanche, les relations sont presque familiales. Même si l’opinion est hostile à l’immigration du tiers monde en même temps qu’a la délocalisation des emplois, pourtant seul espoir des pays du sud. Ce que vous dites a l’Espagne, le dites-vous aussi a la France ?

Vous avez parle de relations familiales. C’est vrai. Le Président Jacques Chirac et madame Chirac entretiennent avec ma famille des relations de très grande affection et d’une réelle proximité. J’ajoute que les français connaissent et aiment le Maroc. Entre nos deux pays, il y a une capillarite culturelle, sociale et humaine qui transcende les difficultés de la conjoncture. Mais il y a aussi, en France, un reflexe sécuritaire parce qu’on fait l’amalgame entre le Maroc et d’autres pays de la rive sud de la méditerranée. Le Maroc a une identité différente.

De par sa position géostratégique, le Maroc est le pays d’Afrique le plus proche de l’Europe, le pays arabe le plus proche de l’Europe et le pays du Maghreb le plus proche de l’Europe.

Entre Tanger et la côte européenne, il y a douze kilomètres :

Le soir, des fenêtres de mon palais de Tanger, je vois les phares des voitures espagnoles. Les problèmes du Maroc ne trouveront de solution que s’il y a une véritable implication de l’Europe des quinze dans le développement de mon pays, a l’exemple des investisseurs français qui croient beaucoup au Maroc. C’est pourquoi je compte sur la France pour se faire notre avocat auprès de l’union européenne. Avec les quinze, notre partenariat doit trouver sa véritable traduction dans un pacte de co-solidarité. C’est à dire un peu moins que l’adhésion a part entière, et beaucoup plus que la seule logique marchande qui restreint abusivement l’avenir de nos relations.

Vous venez de recevoir Yasser Arafat. Que peut faire le Maroc pour aider à ressusciter le processus de paix ?

Entre les palestiniens et les israéliens, le processus de paix ne peut être ressuscite que si on abandonne la logique meurtrière du tout ou rien. Il faut que les israéliens et les palestiniens s’assoient autour de la table de négociation sans aucun préalable. Je suis d’autant plus déchiré par cette situation que la culture juive a, ici, des racines très profondes et très anciennes. Le Maroc a été un précurseur dans son rôle pionnier pour la paix et le dialogue. Nous restons un modèle dans la vie au quotidien car, chez nous, les juifs et les musulmans démontrent tous les jours qu’il n’y pas de fatalité a la haine et a la confrontation.

Croyez-vous vraiment qu’au Proche-Orient la réconciliation entre juifs et arabes soit possible ?

Je vais vous raconter une anecdote : vers l’âge de sept ou huit ans, j’avais un coiffeur qui s’appelait Gaston. Un jour qu’il me coupait les cheveux, je l’ai interroge : Gaston, êtes-vous juif ? Apres, ma gouvernante chrétienne m’a gronde :

Tu n’aurais pas du lui demander s’il était juif. Je me suis étonné : pourquoi ? Elle m’a dit : parce que les juifs et les arabes sont supposes ne pas s’aimer, parce qu’ils sont en train de se faire la guerre. C’est une question de territoire. Et moi j’ai insiste : pourquoi ? Il n’y a pas assez de place pour tout le monde ?

Trente ans après, il est toujours question de territoire. Au Proche-Orient, comment croire au miracle ?

Au temps de l’inquisition, beaucoup de juifs étaient venus se refugier au Maroc parce qu’ils savaient que l’Islam protégerait leur foi. Quand mon grand-père et mon père sont revenus de l’exil que leur avait impose le pouvoir colonial, des familles juives ont apporte au palais de la vaisselle, des objets précieux, des archives. Elles ont dit à mon grand-père : Majesté, voila ce que nous avons pu sauver.

Nous vous le ramenons. Ce souvenir, qui reste très cher à mon cœur, n’est pas seulement une autre manifestation de la légitimité de l’appartenance des juifs Marocains au patrimoine national. Il me renforce dans la conviction que le Maroc peut jouer un rôle déterminant et unique parce que crédible des deux cotes, pour aider à reconstruire, entre israéliens et palestiniens, un contrat de confiance qui a disparu. C’est par la qu’il faut commencer, ou recommencer.

04/06/2001

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés :

Ces articles devraient vous intéresser :