Tanger, la résistance par la botanique

10 octobre 2007 - 12h17 - Culture - Ecrit par : L.A

Poursuivant son travail sur le territoire et les rapports Nord-Sud, Yto Barrada expose à la galerie parisienne Polaris. Yto Barrada, artiste franco-marocaine de trente-six ans, a une qualité rare. Elle parvient, comme nulle autre, à faire vivre ses valeurs, son engagement politique à travers une oeuvre esthétique qui tient formidablement les cimaises tout en documentant et en touchant.

Loin d’un art conceptuel souvent réservé à une élite, son oeuvre, argumentée, accessible, fait prendre conscience du nécessaire rejet d’un modèle de croissance qui nie l’homme, le rendant absent à lui-même, dépossédé de son énergie, obsédé par un désir d’Occident…

Dans les nouveaux locaux de la galerie Polaris, à Paris, de grands formats couleurs et carré donnent à voir la douceur d’anciennes forêts domaniales, des champs de vivaces bleues où paissent des moutons, la beauté de faunes couronnés posant dans des clairières, mais aussi des eucalyptus massacrés, des terrains retournés par des pelleteuses. Une carte des friches, un bocal plein de papiers pliés destinés à accueillir des bombes de graines et de terreau et une bouleversante vidéo tournée dans le jardin du botaniste Umberto Pasti complètent ce dernier opus, Iris Tingitana (2007).

L’action se passe à Tanger, ville frontière regardant l’Europe depuis le détroit de Gibraltar, porte d’entrée principale de l’immigration clandestine. La ville, charmeuse, languissante, devenue l’incarnation d’un rêve colonial effondré, est sens dessus dessous. Partout, c’est le chantier. Une incroyable frénésie immobilière s’est emparée de cette côte marocaine que les décideurs veulent, toutes affaires cessantes, faire ressembler à la très bétonnée Costa Del Sol. Et tant pis si l’arrière-pays est délaissé, si le progrès social et économique n’y gagne pas plus que l’éducation, la santé ou le logement, tant pis si les mêmes erreurs produisent les mêmes effets ! Le tourisme balnéaire avec son spa, son golf arrosé en plein midi, son consumérisme bien propre, bien sécurisé n’attend pas… Sur les derniers terrains vagues, plantes rustiques et iris Tingitana (nom latin de l’iris indigène de Tanger) défient chaque jour les bétonneuses.

Pot de fer contre pot de terre. Partout ailleurs, des massifs de géraniums du même rose fluo surgissent. Clinquants. Intrus. « Pour la nouvelle génération de décideurs marocains, bien déterminée à enterrer l’ancien Maroc, ces nouvelles fleurs incarnent les fastes du progrès. Dans cette marche vers un paysage normalisé, les seules espèces indigènes encore tolérées sont celles jugées compatibles avec la modernité ou emblématiques d’un folklore de carte postale : palmiers, géraniums, pelouses vert tendre et autres fétiches des aménageurs urbains imposés en lieu et place de la diversité locale », explique Yto Barrada. « Dans ce vaste chantier du paysage, les fleurs sont partie prenante de la question politique », poursuitelle.

Face à ce drame écologiste, la guérilla jardinière s’est organisée. Les militants utilisant cette forme d’action directe non violente reprennent un morceau de terre négligé ou improprement employé pour cultiver plantes ou récoltes. Un activisme, point de départ idéal pour créer cette fameuse tension entre allégorie et instantané qui fait la singularité de l’oeuvre d’Yto Barrada…

L’Humanité

Magali Jauffret Galerie Polaris, 15, rue des Arquebusiers, 75003 Paris. Jusqu’au 30 octobre. Tél. : 01 42 72 21 27.

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