France : La diaspora marocaine a du mal à « exister » politiquement

8 juin 2006 - 10h31 - France - Ecrit par : Bladi.net

« Dur, dur d’être BB » a été le tube de Jordi dans les années 90 et tout l’Hexagone était tombé sous le charme du baby-sitter chanteur. Un amour charnel qui fait défaut aux « beurs » désireux de s’engager en politique en France.

Si actuellement des travaux sont engagés pour assurer une représentativité politique des Marocains résidant à l’étranger à Rabat pour 2007, qu’en est-il à Paris ? Depuis la semaine dernière, les états-majors des principales familles politiques (UMP, PS, UDF) s’agitent pour désigner leur poulain auréolé de la bannière partisane, prêt à faire campagne dans les circonscriptions qui leur ont été attribuées.
Cela fait plus d’un quart de siècle que la représentativité politique des franco-maghrébins (2e génération) figure au premier rang de leurs revendications. Marche des « beurs », association SOS Racisme, ONG de quartiers ou, plus récemment, l’implication de membres du groupe multiculturel toulousain Zebda lors des élections municipales en 2001, ont tenté de se faire entendre.

« Ouste Douste ! » était le refrain repris en choeur à chaque meeting pour décrédibiliser la candidature de Philippe Douste-Blazy actuel ministre des Affaires étrangères. Malgré les efforts déployés durant la campagne par l’équipe des « Motivées » et une alliance de circonstance avec le parti socialiste (PS), « Douste » était élu et permettait ainsi à la droite républicaine de préserver la municipalité après le règne de Dominique Baudis, actuel président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Depuis, il y a eu le scrutin national de 2002 et le « séisme » politique du 21 avril avec l’élimination dès le premier tour du PS et de son candidat Lionel Jospin au profit de Jean-Marie le Pen du Front national (FN) qui affrontait, au second tour, Jacques Chirac du parti de l’Union pour la majorité populaire (UMP). Ce nouveau parti « gaulliste », initié par les membres du Rassemblement pour la République (RPR), se voulait le parti rassembleur de tous les partisans et militants de sensibilité de droite (RPR, UDF, MPF, DL)(1) pour conforter l’assise de leur leader Chirac. Et c’était pour cette raison que François Bayrou, président de l’Union pour la démocratie française (UDF) eût refusé de rejoindre le clan chiraquien contrairement à ses homologues Gilles de Robien (ministre de l’Education nationale), Jean-Louis Borloo (ministre de l’Emploi et de la Cohésion sociale) et Philippe Douste-Blazy.

Les sifflets adressés à Bayrou alors que celui-ci était venu à Toulouse pour défendre sa position devant les militants restent une image forte. Tellement forte que le Béarnais, connu pour sa ténacité et son opiniâtreté, ne rate aucune occasion de régler ses comptes (motion de censure contre l’UMP signée avec le parti socialiste, positions tranchées contre le CPE...).

Chirac, réélu avec 82% des suffrages au second tour, promettait de tenir compte du message que les Français lui avait adressé et le traduire en acte dans les plus brefs délais. Le chef de l’Etat nommait Tokia Saïfi... ministre du Développement durable du gouvernement Raffarin I. Voilà pour le retour sur investissement si on y ajoute des nominations de membres de la communauté « harkie » (enfants des rapatriés d’Algérie après le cessez-le-feu d’Evian en 1962) dans des cabinets ministériels ou à des postes au sein de l’Administration. Quant à la diaspora marocaine, moins bien organisée que la communauté franco-algérienne et moins mature politiquement, elle reste à quai. La création du Conseil français du culte musulman (CFCM), avec à sa tête le recteur d’origine algérienne Dalil Boubakeur, maintenu par Nicolas Sarkozy, a créé des remous au sein de la communauté musulmane marocaine. La nomination du premier Préfet issu de l’immigration, Aïssa Dermouch, d’Abdel Aïssou en qualité de sous-préfet, ou encore celle plus récente d’un proche de Dominique de Villepin, Aziz Begag (très attaché à ses racines...), ministre délégué à la Promotion des chances ont été perçues de manière positive par la « minorité visible », mais l’absence de représentant de la diaspora marocaine laisse un goût amer. « Il faut reconnaître que l’Algérie a été un Département français durant plus d’un siècle, néanmoins, même si nous sommes satisfaits lorsque l’Etat procède à la nomination de « beurs » à des postes de responsabilité, il n’en reste pas moins que la communauté marocaine demeure le parent pauvre », déclare Mountasser, 27 ans, domicilié dans la région Midi-Pyrénées. Il ajoute que « d’avoir la possibilité de travailler dans des collectivités locales comme éducateur sportif OK, car nos aînés n’avaient pas eu cette chance, toutefois ce n’est pas suffisant. Pour être reconnu, cela passe impérativement par une représentativité à l’Assemblée nationale. Nous devons avoir des députés de la République élus au suffrage universel direct ».

Pas grand-chose à se mettre sous la dent pour 2007

A l’approche des élections présidentielles prévues en 2007, quelle est la configuration ? Tractations, contacts et stratégies sont au menu des partis. Au parti socialiste, le recrutement de l’ancien président de l’association SOS Racisme, Malek Boutih, au sein de la direction générale en tant que responsable chargé des communautés étrangères a été le premier signal fort envoyé par le PS aux « beurs » pour répondre à l’après 2002. Si ce dernier a fait ses preuves dans la structure associative, il a un mal fou à se frayer un espace pour s’affirmer et, par voie de conséquence, d’être « actif » au côté des « petits frères ». Pour le premier secrétaire du parti, François Hollande, il déclarait ces jours-ci « qu’il s’agit pour nous de mettre nos actes en accord avec nos engagements. Nous voulons montrer que nous sommes sincères dans notre combat contre les discriminations ».

Au final, une « beurette » d’origine marocaine a décroché le « sésame » (investiture) pour défendre les couleurs du parti de la rose à Roubaix. Le « winner » est Najat Azni.
Entre circonscriptions « réservées » pour des parachutages par les « éléphants » (Strauss-Khan, Fabius) du parti et la décision de réserver la moitié des circonscriptions aux femmes, le « geste » en faveur des « beurs » est bien timide. Par contre, prendre contact avec des personnalités (comme le footballeur Basile Boli) semble être la démarche du PS. Avec tout le respect qu’impose la carrière sportive de ce dernier, on ne peut pas dire qu’il a l’étoffe d’un politique. Une fois de plus, prime l’image au détriment du capital humain et à son dévouement pour la chose publique.
Du côté de l’UMP et de son bouillonnant président Nicolas Sarkozy, inventeur de la discrimination positive à la « frenchie », pas de quoi grimper aux arbres.

Tout comme son voisin, si les intentions sont bonnes, les actes ont du mal à suivre. « Par manque de place », indique un proche du parti. Lors d’un séminaire gouvernemental, qui s’était déroulé en fin d’année 2005, « Sarko » avait menacé ses collègues de réserver les « circos » les plus faciles « aux femmes et aux personnes issues de l’immigration », mais la réalité devient tout autre au moment où il faut trancher. Seul le villepeniste Azouz Begag est assuré d’être investi par le parti pour remporter une circonscription dans le Rhône. Est-ce le prix à payer pour sa fidélité et... son silence lors des émeutes dans les banlieues ? A l’UDF, on s’est calé dans la roue de l’UMP et du PS, histoire de ne pas être décalé. Des contacts ont été pris entre le parti et un MRE, il s’agit d’Aziz Senni, un jeune chef d’entreprise basé en région parisienne et auteur du livre « L’ascenseur social est en panne ». Voilà le menu complet proposé aux MRE. Ceux qui avaient une faim de loup devront (encore) patienter.

Intégration politique, acceptation de la diversité par l’engagement des politiques pour cette « cause », autant de promesses faites par la France depuis 25 ans. En 2002, la cohésion sociale, l’égalité des chances pour tous, pour une société plus ouverte et solidaire devaient accoucher de la législature.

Que reste-t-il des engagements pris par les ministres « responsables » et ardents défenseurs de la République ? Le respect des promesses aurait sans aucun doute permis d’alléger la facture des émeutes du mois de novembre 2005 et surtout d’éradiquer le processus de « destruction » de générations.
De minorité visible, la tendance est à la minorité invisible.

Double culture, double sanction !

Lobbys, signaux éphémères, déclarations stériles, sont les (seuls) arguments des partis politiques traditionnels. La législature 2002/2007 devait être celle de la réconciliation, de la promotion pour la diversité « positive » et de l’égalité des chances. Elle s’est traduite par un nouvel échec. La morosité ambiante, les émeutes dans les banlieues et la pole position du Front national (crédité de 18% d’intention de vote à la présidentielle) pour 2007 sont le fruit de trois décennies de gestion politique par l’urgence et non au travers d’une politique conduite par des hommes avertis, responsables et visionnaires. La grandeur d’un politique n’est-elle pas que « pour gouverner, il faut savoir anticiper ». « Taper » systématiquement sur les mêmes ne fait que repousser l’échéance. A en croire les thèmes de campagne claironnés par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : sécurité et immigration, la Ve République va à nouveau « trembler » et les enfants d’immigrés devront « serrer les dents » pour ne pas craquer. Double culture, double sanction, tel semble être le destin des « beurs ».

Rachid HALLAOUY - L’Economiste

• (1) MPF : Mouvement pour la France dirigé par Philippe De Villiers
• DL : Démocratie libérale, ancien parti présidé par Alain Madelin qui a rejoint l’UMP.

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