Le hammam se meurt : ce qui menace l’existence des bains publics au Maroc

2 octobre 2025 - 23h00 - Maroc - Ecrit par : P. A

Présent dans chaque ville et village du Maroc, le hammam puise ses origines dans les traditions romaines et islamiques. Pendant des siècles, ces bains publics construits près des mosquées ont permis aux fidèles de se purifier avant la prière.

L’architecture des hammams suit une logique bien définie. Il s’agit de salles qui passent progressivement du froid au chaud, des plafonds voûtés qui retiennent la vapeur, et au centre, une salle de fourneau où le bois brûle dès l’aube. Mais à l’origine, le hammam était bien plus qu’un simple lieu d’hygiène. Rituel hebdomadaire familial accessible pour à peine 2 dollars, il constituait un véritable espace de vie communautaire. Mohssine Benzakour, maître de conférences en psychologie à l’Institut supérieur de l’information et de la communication, cité par Africanews, rappelle son importance sociale : « Le hammam était un espace d’interaction sociale et d’échange d’opinions, car à l’époque, les femmes n’étaient pas présentes dans la vie sociale, politique ou économique. Le hammam leur offrait donc la possibilité de se connecter et d’échanger des informations. »

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Aujourd’hui, ce lieu ancestral a connu des transformations, modernité oblige. Dans les grandes villes comme Rabat ou Casablanca, de nouveaux hammams offrent une expérience différente, tout en conservant la tradition marocaine. « Mon hammam est traditionnel, mais avec une touche de modernité, notamment grâce à l’utilisation de différentes herbes aromatiques », explique Hanane Boulharjane, employé dans un hammam moderne. Les dalles de marbre remplacent les sols traditionnels, la vapeur est parfumée, et les murs s’ornent de zellige, cette céramique artisanale qui fait la fierté du Maroc depuis des siècles. « J’ai voulu créer un hammam moderne, mais j’ai veillé à conserver l’aspect traditionnel en utilisant des carreaux de zellige et des herbes aromatiques, tout en ajoutant des améliorations telles que de la musique douce, des massages, et la possibilité d’obtenir un hammam individuel », détaille pour sa part Mariam Alaoui, propriétaire d’un hammam moderne.

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Le hammam reste intimement lié aux grands moments de la vie des Marocains. Qu’il s’agisse des circoncisions, des accouchements ou des mariages. Pour les mariées par exemple, des espaces spéciaux sont aménagés, décorés de bougies et parfumés au bukhur, un encens traditionnel d’Afrique du Nord. Après la séance, on se retrouve pour boire du thé, se reposer, échanger. Mais aujourd’hui, les habitudes ont changé. « Les jeunes vivent leur quotidien à un rythme effréné, à cause de leur travail, et n’ont plus beaucoup de temps. Les temps ont changé, ce n’est plus comme avant. Par exemple, pour le hammam, ils veulent souvent le faire en une heure seulement. C’est pourquoi nous essayons de rétablir certaines traditions, tout en innovant », souligne Mariam Alaoui.

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Au demeurant, l’avenir reste incertain. Le coût du bois, de l’eau et de la main-d’œuvre augmente, rendant l’exploitation des hammams difficile. Beaucoup d’établissements traditionnels ont fermé pendant la pandémie du Covid-19, et les pénuries d’eau compliquent la situation. « Les hammams populaires sont en déclin », confirme Mohssine Benzakour, évoquant l’évolution des modes de vie et l’accès facile aux douches chaudes à domicile. Face à la concurrence des spas de luxe et aux exigences d’une société en constante mutation, les hammams se trouvent à la croisée des chemins. Pour certains Marocains, ils demeurent un rituel sacré, un lien vivant avec leurs racines. Pour d’autres, ils représentent un passé qui peine à trouver sa place. La vraie question est de savoir si ces bains, qu’ils soient anciens ou modernes, sauront évoluer pour survivre dans un monde qui change de plus en plus vite.

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