Un jour, Malik Nejmi a appris de son père qu’il n’y avait pas de nom spécifique en arabe pour désigner le Maroc. Juste « El Maghreb » : un seul mot pour signifier le terroir, la patrie, les terres du couchant lointain, l’occident de l’Afrique et aussi son nord.
C’est donc ainsi qu’il a intitulé le travail photographique, couronné du prix Kodak de la critique, que lui ont inspiré trois séjours au pays natal de son père. Il en a tiré un livre, au printemps, et, cet été, une exposition présentée à Arles. Toujours sous le même titre, porteur de manque et de trop-plein, d’intime proximité et d’insondable distance.
Saveurs
Sur les cimaises, ses grandes photos enrobent les visiteurs de leur mystère émotionnel. Eloquentes et elliptiques, elles exhalent des saveurs de famille et de Méditerranée. Visage raviné de mère-grand, chevelure drue de bambine au minois de faon sous un rai de lumière zénithale, sols de carrelages, femmes en djellaba, murs aux teintes de sorbet. Silhouettes et regards d’hommes dans la ville. Plafonds de ciment fermés sur des ampoules électriques, rues de béton délavé, bleus de rêves.
La simplicité des compositions et la familiarité de la distance évoquent une démarche amateur, démentie par la concision déterminée des cadrages et l’extrême raffinement de la couleur. On cherche en vain, pourtant, la « ligne » d’un reportage ordinaire. L’oeil du spectateur rebondit d’un cliché à un poème, dérouté. Articulé en trois fascicules (un par « voyage »), le livre éponyme scande pareillement images et textes courts, dans un balancement de conversation secrète. Le fil de ce travail ne relève pas du didactisme, mais de l’expression lyrique.
Nejmi est né il y a trente-trois ans à Orléans, d’un père émigré et d’une « mère berrichonne ». « Avec mon frère, nous avons été dressés à la marocaine et éduqués à la française », aime-t-il répéter. Après un bac audiovisuel et des études, à Paris, au Conservatoire libre du cinéma français, il a participé à la création de la structure Images du Pôle, à Orléans, et se consacre à l’intervention pédagogique et au montage d’ateliers dans les écoles.
Ses premières photos africaines, c’est en fait au Togo et au Bénin qu’il les a réalisées, en 1998, lors d’une exploration sur les traces du photographe-ethnologue Pierre Verger. Le Maroc, pour lui qui ne parle pas l’arabe, était la contrée des voyages d’enfance. Il n’y était pas retourné depuis dix ans, quand un mariage familial l’y a ramené, en 2001 : « Avec mes oncles, tantes et cousins, eux aussi installés en France, nous sommes descendus "en convoi". Sauf mon père qui ne voulait plus mettre les pieds au Maroc après avoir vécu un incident désagréable, dans le Rif, lors d’un voyage avec ma mère. »
Enfance
A Rabat, Nejmi retrouve les images et les saveurs d’un passé régi par la présence de sa grand-mère, Aïcha. Il les photographie, troublé, avec un Mamiya format 6 x 6, dont la visée ventrale le ramène à hauteur d’enfance : « J’aime une approche lente. Regarder l’image se former sur le dépoli. Me concentrer sur des choses simples... »
En novembre 2004, deuxième retour, cette fois pour visiter la tombe de sa grand-mère, décédée. Nejmi arpente les nuits du ramadan avec Hocine, qui a tenté l’émigration et s’est fait refouler. Il visite le village de son grand-père, dont la possible origine soudanaise lui a longtemps été cachée. Interroge ses tantes. En 2005, il sera cette fois en compagnie de son père : retrouvailles, incertitudes, portraits communs, nouvelles querelles familiales...
Qu’importent ces démêlés ? Des non-dits sur lesquels il bute au milieu des siens, Nejmi extrait un suc plus essentiel, lié à la mélancolie de l’exil et à la fatalité de ses clivages. Ses photos, comme ses textes, se fondent en un seul chant : une quête identitaire, incantatoire, symboliquement adressée à la figure insaisissable du père.
Ange-Dominique Bouzet - Libération
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