Maroc : La famille, un continent noir à explorer

13 avril 2007 - 01h04 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le Maroc est à la veille de récolter les bénéfices de sa transition démographique : diminution de la pression sur le marché de l’emploi, recul de la propension des jeunes à émigrer, rapprochement des tailles des familles et réduction des inégalités de répartition du revenu, atténuation des différences régionales, montée des classes moyennes, avènement d’une société plus mûre pour la démocratie.

Pourquoi Marx, en prédisant que la révolution sociale triompherait d’abord en Europe de l’Ouest (lire notamment ses lettres à Engels) s’est-il trompé ? Parce qu’il ne connaissait pas l’« anthropologie des structures familiales ». Il aurait alors peut-être deviné que le communisme n’avait de chance de l’emporter que dans une société marquée par un type familial particulier, paysan, autoritaire, égalitaire : la « famille communautaire exogame ». Telle est, très rapidement résumé, le propos qu’Emmanuel Todd, historien, anthropologue et démographe, développa, il y a plus d’une vingtaine d’années, dans ses premiers écrits. Lorsqu’on se demande pourquoi le capitalisme libéral est apparu dans les pays anglo-saxons, le communisme en Russie et en Chine..., la tentation est grande de voir dans ces systèmes économiques la réalisation d’« archétypes » culturels, d’un « Volkgeist » (esprit du peuple), voire d’un (incertain) génie national. Si la science se refugie dans ces abstractions, c’est qu’elle ignore généralement une donnée fondamentale : l’anthropologie. Pour Emmanuel Todd, les idéologies politiques et religieuses ne sont que le « reflet » de structures anthropologiques, en particulier familiales. Ainsi est-il amené à distinguer quatre grands « types » de familles : communautaire exogame, autoritaire, nucléaire égalitaire, et nucléaire absolue, ces deux dernières se définissant comme « individualistes », correspondant tous à des niveaux d’autoritarisme, de relations parents-enfants, de relations entre frères, de statuts de la femme différents.

Force de cette grille d’analyse, l’auteur a tracé une carte assez précise de ces types familiaux en Europe. Or, ce qui frappe à sa lecture, c’est la coïncidence entre les répartitions des différents types familiaux et la carte politique, économique, voire religieuse de l’Europe. Par exemple, il y aurait, pour Emmanuel Todd, un « rôle essentiel » difficilement contestable de la famille autoritaire dans la genèse du nazisme. Un type familial que l’on retrouve en Allemagne, en Autriche, dans l’ex-Tchécoslovaquie. Inversement, les structures familiales individualistes qui existent dans la plupart des pays anglo-saxons sont incapables de « sécréter », affirme l’auteur, des systèmes sociaux totalitaires.

Qu’en est-il de la transformation de la famille et des perspectives de l’islamisme au Maroc ? E. Todd vient de livrer, avec Y. Courbage, une étude riche en enseignements. Le Maroc appartient à l’ensemble du monde arabo-musulman, mais son schéma démographique est différent de ceux du Proche-Orient. La baisse de la fécondité marocaine a pris une décennie d’avance sur celle de la plupart des pays arabes. Le déclenchement précoce de la transition au Maroc contredit la théorie démographique. Il est intervenu alors que le niveau de vie était faible, le pays profondément rural, la scolarisation peu répandue, l’analphabétisme féminin dominant. Le Maroc ne vérifie pas, non plus, le dogme que l’amélioration du statut de la femme est la condition sine qua non de la transition. Qu’est-ce qui explique cette transition atypique ? La douloureuse crise économique y a participé : le citoyen ne pouvait plus compter que sur ses ressources propres, et non sur celles d’un Etat redistributeur. Mais aussi bien d’autres facteurs : l’irruption de la femme dans le monde du travail, l’effet de la diaspora sur les changements culturels, l’ouverture par les langues, le rôle pionnier des hommes dans la transition démographique. Une trajectoire démographique qui montre que l’initiative du changement est partie de la société et non des politiques publiques. Une accumulation de facteurs économiques, culturels, sociaux, psychologiques, moraux a conduit au basculement du comportement démographique du Marocain et à sa perception des avantages de la famille restreinte.

En perspective, le Maroc est à la veille de récolter les bénéfices de la transition : diminution de la pression démographique sur le marché de l’emploi, recul de la propension des jeunes à émigrer, rapprochement des tailles des familles et réduction des inégalités de répartition du revenu, atténuation des différences régionales, montée des classes moyennes, avènement d’une société plus mûre pour la démocratie.

L’entrée dans la modernité comportera néanmoins quelques « déstabilisations », telles que l’érosion du modèle familial patriarcal, l’émergence des femmes dans la sphère publique et, enfin, la croissance du célibat, malgré une liberté individuelle accrue. « C’est au regard de ces évolutions que doivent s’analyser les phénomènes d’anxiété religieuse ou idéologique conjoncturels que l’on observe au Maroc et qui pourraient se traduire, à l’occasion des élections législatives de 2007, par une hausse relative du vote contestataire. » Telle est la conclusion de l’étude. A bon entendeur salut.

La vie éco - Larabi Jaïdi

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Famille - Moudawana (Code de la famille)

Ces articles devraient vous intéresser :

Au Maroc, le mariage des mineures persiste malgré la loi

Le mariage des mineures prend des proportions alarmantes au Maroc. En 2021, 19 000 cas ont été enregistrés, contre 12 000 l’année précédente.

Chaque mois, Achraf Hakimi verse 100 000 euros à sa mère

Durant la coupe du monde Qatar 2022, les instants pleins d’amour entre l’international marocain Achraf Hakimi et sa mère ont ému les supporters et les internautes et témoignent de l’attachement de l’un envers l’autre. La star du PSG veille sur sa mère...

Maroc : les femmes divorcées appellent à la levée de la tutelle du père

Avant l’établissement de tout document administratif pour leurs enfants, y compris la carte d’identité nationale, les femmes divorcées au Maroc doivent avoir l’autorisation du père. Elles appellent à la levée de cette exigence dans la réforme du Code...

Maroc : plus de droits pour les mères divorcées ?

Au Maroc, la mère divorcée, qui obtient généralement la garde de l’enfant, n’en a pas la tutelle qui revient de droit au père. Les défenseurs des droits des femmes appellent à une réforme du Code de la famille pour corriger ce qu’ils qualifient...

Une famille marocaine au tribunal de Beauvais pour un mariage blanc

Une famille marocaine est jugée devant le tribunal de Beauvais pour association de malfaiteurs dans le but d’organiser un mariage blanc. Le verdict est attendu le 12 janvier 2023.

Maroc : la grande réforme du Code de la famille est lancée

Suite aux instructions du roi Mohammed VI, le gouvernement d’Aziz Akhannouch s’active pour la réforme du Code de famille.

Maroc : la réforme du Code de la famille fait toujours jaser

La réforme du Code de la famille a du mal à passer au Maroc. Face aux conservateurs et chefs religieux, le gouvernement n’arrive pas encore à trouver la bonne formule pour mettre fin aux discriminations envers les femmes en matière de succession, à la...

Maroc : une sortie en voiture vire au drame

Une sortie en famille qui finit en tragédie. Deux sœurs de 19 et 10 ans sont mortes noyées samedi dans le barrage de Smir près de la ville de M’diq, après que l’aînée, qui venait d’avoir son permis de conduire, a demandé à ses parents à faire un tour...

Alerte sur les erreurs d’enregistrement des nouveaux-nés au Maroc

L’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH) a alerté le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, au sujet du non-enregistrement des nouveau-nés à leur lieu de naissance, l’invitant à trouver une solution définitive à ce problème.

Achraf Hakimi : « Ma mère était une femme de ménage. Mon père était un vendeur ambulant »

Le Maroc a remporté dimanche son match face à la Belgique (2-0) lors de la 2ᵉ journée du groupe F de la Coupe du monde. Achraf Hakimi a dédié la victoire à sa mère qu’il est allé embrasser dans les tribunes à la fin du match. L’image de la scène est...