Faut-il normaliser avec Israël ?

22 juillet 2007 - 01h09 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les relations entre le Maroc et Israël ont toujours été marquées par le sceau de la confidentialité, comme s’il s’agissait de liaisons inavouables, politiquement incorrectes, voir potentiellement dangereuses. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, ces relations n’ont jamais réellement cessé. Entre Rabat et Tel Aviv, il y a toujours eu un canal plus ou moins discret de maintien d’une communication a minima. Une toute récente prise de langue diplomatique n’a pas dérogé à la règle.

Le mercredi 4 juillet 2007, une délégation comprenant Mohamed Benaïssa, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération ; Taïeb Fassi Fihri, ministre délégué au même département, et Yacine Mansouri, directeur général des Études et de la Documentation, rencontrait à Paris, la ministre israélienne des Relations extérieures, Tzipi Livni. Au Maroc, les réactions ont varié entre “le motus et bouche cousue” à l’égard d’une diplomatie ouverte qui ne veut pas dire son nom et “le bruit et chuchotements” d’une vague indignation principielle du bout des lèvres.

Un timide communiqué de la MAP semble nous rassurer en affirmant que cette rencontre participe de “l’engagement permanent du Royaume du Maroc à l’égard du peuple palestinien”. La reconduction d’une profession de foi mise à part, cette dépêche relève plus de la langue de bois que d’une information circonstanciée et étayée, à même d’éclairer notre lanterne sur la réalité présente et l’avenir en gestation dans les coulisses de nos relations avec Israël. Le flou artistique persiste.

En fait, la question qui habite tous les esprits, particulièrement ceux du gouvernement et de la classe politique en général, est de savoir si le Maroc doit normaliser ses rapports avec Israël. Grande interrogation que l’on n’ose pas encore formuler de manière claire et nette. Mais tout indique que ça viendra plus vite qu’on ne le pense. Si ce n’est pas demain, c’est au plus tard pour après-demain.

D’ici là, il faudra bien aménager le justificatif d’accompagnement et, surtout, préparer l’opinion publique à intégrer un acoquinement d’État jusqu’ici perçu comme un tabou intransgressible. Les Marocains restent sensibles au drame palestinien dans toutes ses évolutions et malgré ses contradictions internes. Israël est toujours considéré comme la source du mal originel.

Quelques indices révélateurs abondent dans ce sens. Pas plus tard que le 22 février 2007, Omar Jazouli, président de la commune urbaine de Marrakech, a fait les frais des foudres de la presse islamiste. Son crime inqualifiable, disent ses juges islamo-médiatiques, avoir signé un accord de coopération avec le maire de la ville israélienne de Haïfa, Yona Yahav. Omar Jazouli réfute vigoureusement ces accusations, certifiant que seul un accord de formation touristique a été signé avec le maire de Marseille.

Un peu plus tôt, le 2 novembre 2005, André Azoulay, Conseiller du Roi Hassan II, maintenu par SM Mohammed VI, assistait, en Israël, à une conférence intitulée Le Judaïsme marocain et sa floraison à travers le monde. Comme d’habitude, le ton de son intervention est juste et crédible. « Cela n’a jamais été facile, dit-il, mais nous n’avons jamais fait de compromis sur notre identité, nos valeurs et notre mémoire. Le Maroc ne fut pas exactement un paradis, mais il protégea toujours ses minorités ». Ce déplacement vaudra à André Azoulay une volée de bois vert toute en insinuations et en supputations. On en fait l’ambassadeur informel du Maroc auprès d’Israël. Mieux, on l’a affublé du statut d’artisan en sourdine d’une probable normalisation des rapports entre le Maroc et Israël. Chose qu’il n’a cessé de démentir. Ce qui n’a pas, pour autant, été suffisant, comme toujours, en pareille situation de procès d’intention par voie de presse.

Ces deux exemples, parmi tant d’autres, prouvent que le sujet est d’une sensibilité extrême qui permet de surfer sur les vibrations de la rue, avec ou sans conviction. Pour s’en convaincre, il faut juste se rappeler la fermeture, le 23 octobre 2000, du bureau de liaison israélien à Rabat, suite à la profanation délibérément provocatrice par Ariel Sharon de l’Esplanade des Mosquées, à Al Qods, un mois auparavant.

La décision marocaine a reçu un profond assentiment populaire. Alors, normalisera, normalisera pas ? Entre le Maroc et Israël, c’est une longue histoire. Officiellement, on n’en finit pas de rappeler la cohabitation confraternelle, deux fois millénaire qui lie les Juifs marocains aux Marocains musulmans. Mais dès qu’il s’agit de relations officielles avec l’État hébreu, les interlocuteurs se crispent, quand ils ne deviennent pas muets comme des carpes. On n’est pas plus disert, non plus, pour expliquer l’affaissement spectaculaire de la communauté juive marocaine, passée de 400.000 dans les années 50-60, à 3.000 actuellement. Pour autant, il n’y a pas à se leurrer, la ligne commerciale entre le Maroc et Israël existe, bel et bien, même si elle ne fonctionne pas à plein régime. On estime à plus d’une centaine les entreprises israéliennes opérant plus ou moins au grand jour au Maroc, notamment dans le domaine agricole. Une activité complètement occultée par les statistiques officielles, bien que l’on trouve sur le marché des produits d’importation ou d’essence israélienne.

Le volume de ce business hors normes n’est pas faramineux. À peine 2 millions de dollars d’exportations de quelque 46 firmes israéliennes vers le Maroc, en 2006, d’après The Israel Export and International Coopération Institute. Tel-Aviv voudrait relever le niveau de ces échanges, jugés très en deçà de ce que pourrait être le flux économique entre les deux pays.

Pas vraiment pour la performance de la balance commerciale, mais pour le désenclavement d’Israël, dont le négoce toucherait ainsi la pointe occidentale de la Méditerranée et la rive atlantique. Comment y arriver ? Par la diplomatie, tout simplement. Les Israéliens sont forts dans ce jeu de genre “tu me tiens, je te tiens par la barbichette”. Ils l’ont utilisé avec l’Egypte, avec la Jordanie et … avec le Maroc. La visite semi-confidentielle d’un Shimon Pérez reçu au palais d’Ifrane par Hassan II, en juillet 1986, est dans toutes les mémoires.

Le défunt roi lui avait affirmé qu’il n’avait nul besoin de gardes du corps pour se dégourdir les jambes dans cette belle station montagnarde de toutes les saisons. Ce que Pérez a fait, en solo, librement. Juste après la signature des accords d’Oslo, en septembre 1993, sur le chemin du retour, le même Simon Pérez et Itzhak Shamir ont fait escale et donné une conférence de presse à l’aéroport Mohammed VI de Casablanca. Ce fut d’ailleurs l’opportunité attendue pour l’ouverture de ce fameux bureau de liaison israélien, toujours fermé. On se rappelle aussi de la forte délégation israélienne, conduite par Ehud Barak, aux obsèques de Hassan II, le 25 juillet 1999. Le terminal Rabat dans l’axe Tel-Aviv, le Caire, Amman se dessinait. C’était le temps des espoirs de paix proche-orientale rarement dégagé.

Les guerres de 1948, de 1956, de 1967 et 1973 -le carré marocain du cimetière d’Al Kounaïtera, sur les hauteurs du Golan syrien, nous rappelle notre implication dans cette dernière confrontation- ne devaient être que des pages de manuels d’histoire. Pour mémoire. Et puis, tout s’écroule. Deuxième Intifada après que Sharon soit passé par là. Qu’est-ce qui a changé depuis, et pourquoi la perspective d’une normalisation entre le Maroc et Israël a-t-elle été remise au goût du jour ?

Là-bas, d’abord, dans ce conflit de plusieurs générations. Disons-le tout net. Si changement il y a, il est à mettre sur le décompte d’un négatif palestinien, plutôt que sur le compte d’un positif israélien. En gros, pour faire vite par rapport à une actualité désespérante, quotidiennement crachée par les télévisions du monde, le Hamas de Ismaïl Haniyeh, Premier ministre déchu, a pris le pouvoir à Gaza, tandis que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas élu, a “bouclé” la Cisjordanie. Les townships à la sud-africaine, non viables, d’un futur État palestinien éclaté, n’auront jamais été aussi clairement et violemment dessinés. Israël a beau jeu de faire des offres de paix à des Palestiniens qui se déchirent dans la désespérance et la misère. Avec un desserrement financier au compte-gouttes. Côté externe, il n’y a donc rien d’engageant. À l’exception, toutefois des appels du pied que le Maroc a reçus pour une visite d’État en Israël.

La dernière invite de ce genre a été lancée par l’ex-président d’Israël, Moshé Katsav, en novembre 2005, à l’intention de SM Mohammed VI. Côté interne, ici, au Maroc, qu’est-ce qui pourrait nous inciter à une normalisation ? Le lobbying israélien en notre faveur, nous courons après, depuis des décennies, sans jamais l’avoir rattrapé.

Le flot escompté d’investissements américains, sur aiguillonnage de Juifs
d’origine marocaine ou directement d’Israël, ne s’est pas produit. Quant à l’appui à notre droit à l’intégrité territoriale par une administration américaine pourtant sous haute influence israélienne, il reste mitigé ; plus homéopathique qu’effectif sur le terrain diplomatique. Si l’on réduit l’angle, un peu plus, par rapport à notre cuisine politique intérieure, on se retrouve face à face avec une échéance électorale de tous les risques. Une normalisation hâtive ou même une déclaration d’intention à terme, mettrait de l’eau au moulin des islamistes à l’affût. Il n’y a pas meilleur moyen pour que les urnes se laissent pousser la barbe. Alors pourquoi normaliser ?

Maroc Hebdo - Abdellatif Mansour

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Sujets associés : Diplomatie - Israël

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