Peinture : ces faussaires qui ont pignon sur rue !

26 septembre 2007 - 12h48 - Maroc - Ecrit par : L.A

Après la mort de sa mère, Chaïbia, Houssein Tallal tenta de racheter ses toiles. Il ne se passait pas une semaine sans que des individus ne viennent à sa galerie lui en proposer. Ils avaient l’air comme il faut, mais ils s’étaient fait gruger par des larrons, qui leur avaient « refilé » des faux.

« Je ne savais pas qu’il y avait autant de faux Chaïbia qui circulaient. Plus de faux, peut-être, que d’authentiques, si j’en juge par mon expérience. En trois ans, de tous les tableaux de Chaïbia qu’on m’a présentés, seul un grand format ne m’a pas paru douteux », s’étonne-t-il. Et de raconter avec amusement cette invitation chez des gens importants qui, pour lui faire plaisir, lui montrèrent, non sans fierté, deux pièces signées Chaïbia. Elles étaient fausses. mais, afin de ne pas désobliger ses hôtes, il se garda de le leur révéler.

A Derb Ghallef, 80% des Gharbaoui proposés sont des faux criants

« J’ai des amis que je vois régulièrement et à qui on a fourgué des faux Gharbaoui, mais je n’irai quand même pas leur ôter leurs illusions ! », s’exclame Farid Belkahia. Gharbaoui, le nom est dit ! Comme sujet de honteuse falsification, il décrocha la timbale. Cela ne date pas d’hier. En effet, peut de temps après la triste mort de Gharbaoui (1930-1971) sur un banc public parisien, une camionnette fit irruption dans la cour de l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca. Deux énergumènes en surgirent. Ils étaient chargés de toiles portant la signature de Gharbaoui. Ils étaient prêts à les écouler à un prix défiant toute concurrence. Ce qui avait probablement mis la puce à l’oreille à d’éventuels preneurs. Les deux compères se volatilisèrent aussitôt. Qui étaient-ils ? Des proches parents du peintre disparu, avaient-ils certifié. Or, Gharbaoui était sans famille. C’est dit et prouvé dans la magistrale biographie qui lui a été consacrée par Yasmina Filali, sous le titre Fulgurances Gharbaoui.

Cette histoire de « Gharbaoui » douteux n’en resta pas là. Trois ans plus tard, l’artiste Latifa Toujani, alors responsable au ministère de la culture, reçut la visite d’un bonhomme se prétendant le tonton de Gharbaoui, dont il venait d’hériter des dessins et gouaches sur papier. Mais, boucher de son état, il n’entendait rien à l’art. Aussi bénirait-il toute âme charitable qui le soulagerait, contre un forfait décent, de l’encombrant legs. Le hasard semblait servir Latifa Toujani. Elle souhaitait exposer les œuvres de Gharbaoui, elle n’en possédait pas, voilà qu’elles tombaient du ciel. Prudente, Pauline Demazière, à l’époque propriétaire de l’atelier qui devait accueillir l’exposition, soumit son accord à une condition. « L’exposition était projetée. Mais j’ai demandé à Latifa Toujani de me donner l’assurance de l’authenticité de ces œuvres. Je n’ai jamais pu avoir cette attestation. Suite à cela, elle a renoncé à l’exposition. Je ne sais pas si elle avait elle-même des doutes sur l’authenticité de ces œuvres. Après, il est vrai que nous avons vu circuler des tableaux », témoigne-t-elle.

Les faux Saladi ? fleurissent et, du coup, sont bradés à 3 000 DH

Ce n’était pas fini. Quelque temps après, ce fut un prétendu neveu de Gharbaoui (ça en fait trop pour un sans-famille) qui prit langue avec Mohamed Knor, secrétaire de la galerie Bab Rouah. Il lui mit sous les yeux soixante-quinze pièces qui auraient été découvertes dans un hôtel parisien fréquenté par le peintre. Mis au parfum, l’artiste Abdelhaï Mellakh s’empressa d’en acquérir trente, au prix dérisoire de mille dirhams chacune. Il en céda seize au propriétaire de la galerie r’batie Marsam, Rachid Chraïbi : « J’ai douté de l’authenticité de ces tableaux, ce qui fait que je ne les ai jamais proposés à la vente ».

Où sont passées les quatorze autres toiles achetées par Mellakh ? Où ont atterri les 45 pièces qui sont restées sur les bras du fameux neveu ? Mystère et boule de gomme. Au fil des ans, contrefaire Gharbaoui est devenu un sport juteux exercé par d’habiles escrocs. « Il y a à peine deux semaines, quelqu’un m’a demandé de lui expertiser deux Gharbaoui. C’étaient des huiles sur carton. Les couleurs, le toucher et la signature étaient différents. De plus, la peinture était encore fraîche et elle sentait la térébenthine. Sans être un expert, et en me fiant uniquement à mon expérience et à mon intuition, j’ai pu m’assurer de leur inauthenticité », racontait Rachid Chraïbi, lors de la journée du 26 octobre 2001 dédiée au « faux dans la peinture marocaine ». Les témoignages recueillis tendent vers un même constat : les faux Gharbaoui submergent le marché. Chercher de bonnes poires à qui les refiler fait partie des disciplines olympiques des margoulins. Ces derniers sévissent depuis longtemps sans même se cacher. Tania Bennani Smirès nous confiait il y a peu qu’en flânant au souk de Derb Ghallef, à Casablanca, elle était tombée pile sur une gouache de Gharbaoui coûtant à peine 50 000 DH. Elle voulait faire profiter la Fondation Ona de cette aubaine, « mais les galeristes que j’ai consultés m’en ont dissuadée raconte-t-elle. Ils m’ont certifié que les œuvres de Gharbaoui proposées à Derb Ghallef sont à 80% fausses ». Malheureusement, beaucoup n’affichent pas la prudence de Mme Bennani Smirès. Victimes de la faconde des bonimenteurs, ils se laissent attirer par le miroir aux alouettes, et avalent croûtes et épluchures quand ils croient tomber sur la fève.

Moulay Ahmed Drissi est falsifié par ses propres héritiers

Mais l’ingénieux talent des faussaires ne privilégie pas Gharbaoui, aucun artiste disparu n’en est épargné. Voyez Abbès Saladi. Quinze ans après sa mort, il reste vivant par ses œuvres. Pas sûr qu’elles soient toujours siennes, vu qu’elles pleuvent dru sur le marché. Un véritable tsunami fantastique dont s’émeut Pauline Demazère, tout en tirant son chapeau aux faussaires : « Assez récemment, j’ai vu une bonne quinzaine de Saladi, qui étaient très intéressants et très beaux. Mais ce qui m’a dérangée, c’est la datation de la signature. Elle ne correspondait pas à ce que faisait Saladi à ce moment-là. Donc, pour moi, ce sont des faux. Il sont très bien faits. Bravo aux faussaires ! » il y a tant de faux Saladi qui courent les joutia et les puces. Actuellement, ils sont bradés à 3 000 DH.

Moulay Ahmed Drissi, dont la cote ne cesse de grimper, est une autre proie pour les faussaires. Même ses proches y mettent du leur dans la curée, si l’on en croit le collectionneur et expert Abdeslam Boutaleb. « Dernièrement, j’ai été confronté à un problème avec les héritiers de Moulay Ahmed Drissi. J’ai acheté toute la collection de cet artiste, qui se trouvait à la galerie La Découverte, à Rabat, en présence d’un notaire. J’ai aussi acheté les sculptures qui se trouvaient dans la villa du quartier des Orangers. Ce qui est grave aujourd’hui, c’est que les héritiers font eux-mêmes des copies de cet artiste. On vient de me proposer un tableau dont je possède l’original. Là, le faux est flagrant », se désole-t-il. Ne dit-on pas qu’on n’est jamais trahi que par les siens ?

A un peintre français vivant au Maroc, on a proposé un faux de sa propre toile

Sans vouloir les absoudre, il faut reconnaître que les faussaires ne sont souvent que des exécutants des basses œuvres. A la solde de qui ? Des brocanteurs, des encadreurs et des courtiers dénoncent à l’unission les acteurs du champ artistique. « Moi, je connais une personne qui circule quotidiennement dans tout Rabat avec des faux. L’homme passe chez tous les artistes. Il a travaillé à la galerie Bab Rouah. Il s’appelle Jilali », s’indigne le peintre Fouad Bellamine. Nous vous avions dit que les faussaires, ou leurs acolytes, ne s’avançaient pas masqués. Parfois, ils poussent l’impudence jusqu’à ne pas prendre de précautions « artistiques ». « Tel celui-là qui, copiant Majorelle, a négligé de restituer son bleu typique », se gausse Guy Jean-Jacques Hosteins. Artiste au long cours, il en a vu défiler des faux au Maroc. Et pas du menu fretin. Des Pontoy, des Majorelle, un Braque. Et pour combler la mesure, un faux d’une de ses toiles qu’on lui présenta en toute innocence.

Mohamed Kacimi, qui n’échappe pas, lui non plus, à la furie falsificatrice, était très sensible, de son vivant, à ce péril. « Le faux dans la peinture est une déviation du sens de la création. La valeur symbolique est pervertie en acte uniquement commercial, à l’image d’un comportement déviant dans une société, tels la corruption, la politique mensongère ou le trafic de drogue. Tout ça, c’est tricher avec les valeurs, symboliques ou réelles », nous disait-il. Mais les escrocs se moquent comme de l’an quarante des valeurs. Seul le fruit de leurs méfaits a un prix à leurs yeux.

La vie éco - Et-Tayeb Houdaïfa

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