Abdel, dans le tourbillon de la vie clandestine

12 janvier 2009 - 11h16 - France - Ecrit par : L.A

Impossible d’imaginer derrière ce regard rieur et tendre, le destin bousculé d’un homme déraciné. Abdel fait partie de ces centaines d’immigrants clandestins qui viennent trouver en Corse un eldorado illusoire, se résignant pour cela à quitter leur pays et leur famille. Des êtres qui vivent dans l’ombre, sans statut, sans papiers, sans identité, avec pour seul espoir un lendemain meilleur.

À quarante ans à peine, Abdel en parait quinze de plus. Le physique marqué par la misère et le labeur, il porte sur lui les stigmates de son passé, son Maroc natal, ce petit village du Rif, où il a grandi et travaillé la terre sans passer par la case école.

Une existence sans rêves et sans projets d’avenir autre que celui d’arriver à nourrir sa femme et ses cinq enfants. « Il n’y a rien là-bas que la misère et la télévision, qui nous montre une vie meilleure ».

6500 euros pour un contrat de travail

Et puis, il y a eu ce jour d’été 2003, où un lointain cousin immigré est revenu au village avec, dans ses valises, des propositions de travail saisonnier en Corse. Un recrutement pour le compte de son patron sur l’île... monnayé au prix fort ! « J’ai pris toutes mes économies, emprunté de l’argent à ma famille et à des amis pour pouvoir payer le contrat de travail vendu à l’époque 6500 euros. Aujourd’hui ça vaut presque le double ! ». Un trafic qui s’est développé dans la région et permet aux candidats à l’exil de quitter le pays en toute légalité, sans risquer leur vie à bord d’une embarcation de fortune.

« Comme des chiens »

Une fois son visa en poche, Abdel a rejoint la Corse en avion, via Marseille. Un voyage en règle pour l’enfer !

Son français approximatif ne lui ôte pas les mots de la bouche. La colère est palpable mais contenue lorsqu’il évoque les humiliations dont il a été victime une fois sur l’île. « Une vie difficile : dormir à quarante dans des hangars, dans la saleté, travailler dans les champs de six heures du matin jusqu’à la nuit et les coups de pieds gratuits, comme à des chiens, pour rien... Ce n’est pas ça un travail normal, non ? » Saura-t-il seulement un jour ce que c’est vraiment ?

Il prend sur lui, durant quatre longs mois, mais une fois son contrat « honoré », l’argent envoyé au pays pour rembourser ses dettes et faire vivre sa famille, Abdel n’est pas retourné à l’aéroport. Ce n’était pas dans ses plans. Malgré les conditions de vie difficiles en Europe, il croit en son avenir ici, où sa femme et ses enfants auront un jour, peut-être, leur place, « ils pourront aller à l’école, jouer à l’ordinateur... ». Il a fait le grand saut dans la clandestinité, avec ce rêve secret, un jour, de devenir citoyen français.

La concurrence de l’Est

En attendant, il a rejoint le sud de la Corse où il « vivote » maintenant depuis six ans au rythme de petits boulots « au black » dans les jardins ou les chantiers. Il a un temps vécu dans une carcasse de voiture abandonnée, avant de partager avec trois autres clandestins une petite caravane cachée dans un champ.

Quand il ne travaille pas, il rejoint ses camarades d’infortune à la terrasse d’un café pour tuer le temps. Ensemble, ils évoquent le pays, leurs galères et se donnent du courage. Car dans la clandestinité aussi les temps sont durs et la crise se fait sentir. « Maintenant les gens des pays de l’Est, ils viennent travailler pour pas cher ». Une concurrence qui casse les prix et des employeurs parfois peu scrupuleux, « il m’est arrivé souvent, une fois le travail terminé, de ne pas être payé. Mais qu’est ce qu’on peut faire ? » Sans existence légale, pas de justice !

Et puis, il y a cette peur incessante des contrôles, qui se sont multipliés ces dernières années « Sarkozy, il nous mène la vie dure ! Moi, quand il a promis la régularisation, je savais que c’était un piège, mais il y en a beaucoup qui y ont cru et qui ont été expulsés. »

Le plus étonnant chez Abdel, c’est ce sourire qui inonde son visage, révélant une dentition en piteux état mais surtout la jovialité du personnage. En bon musulman pratiquant, il n’a jamais perdu la foi. Quand on lui demande si cette situation n’est pas trop dure, il hausse les épaules, jette la main en arrière : « Pourquoi je vais pleurer, c’est la vie ! »

Source : Corse Matin - Nadia Amar

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