Nouvelle Moudawana, quel fossé entre l’esprit et la pratique !

26 janvier 2008 - 19h09 - Maroc - Ecrit par : L.A

Lundi 21 janvier, la grande salle de la juridiction dédiée aux affaires familiales était archi-comble. Ce jour, au tribunal du quartier Habous de Casablanca, les visages étaient crispés et le climat frisait la déprime. Les femmes engagent rapidement la conversation. Question de soulager leur peine, voire justifier le déplacement. Comme si le recours à la justice « est en soi un pêché ». Une jeune femme au foyer, accompagnée de sa fille de 4 ans et demi confie : « Je suis mariée depuis 11 ans. Plusieurs fois, j’ai voulu faire le pas mais j’ai toujours hésitée à cause de mes deux filles. Alcoolique, violent, infidèle et après une absence de 4 mois, j’ai décidé d’agir ».

Un discours sans cesse ponctué par des « ai-je raison ou tort ? » Et c’est entre les murs de cette juridiction que l’on se rend compte des difficultés rencontrées par les femmes pour faire valoir leurs droits. Affou Fellahi, femme d’affaires et mère de deux enfants, 6 et 7 ans, en a aussi beaucoup sur le cœur. « Après 4 ans de violence, la faillite de ma société et maintes tentatives de me chasser de la maison, comme me traîner dévêtue dans la rue, le divorce a été enfin prononcé. Je dois à présent quitter le domicile conjugal. Le juge m’a attribué 1.500 DH par mois, loyer et pension confondus alors que notre maison vaut 1,4 million de DH ».

Qu’en est-il donc de l’esprit de la Moudawana censée garantir l’équité et l’égalité des droits devant la justice ? L’article 49 prévoit le partage des biens en cas de divorce, uniquement dans le cas où un contrat est passé entre les deux époux. Mais l’adhésion à l’idée d’un contrat est faible. Selon les statistiques du ministère de la Justice, sur 243.492 actes de mariage conclus en 2005, seul 312 cas de gestion des biens ont été enregistrés. Selon la loi, même dans le cas où aucun accord n’est passé, il est pris en considération le travail et l’effort de chacun des conjoints. Au final, c’est au juge d’apprécier cet effort. Mais il fait souvent recours aux preuves (écrits ou témoignages) qui demeurent parfois difficiles à apporter.

Interrogé sur la question, un adoul se presse de réciter le fameux article 49 tout en insistant sur la nécessité d’une déclaration des biens de chacun des conjoints. « Mais il n’en est rien. Je n’ai jamais rencontré de cas où une femme demande d’établir cet acte. C’est jugé indécent et parfois gênant pour l’épouse ». D’autant plus que les femmes, dans l’état actuel des choses, ne cherchent pas à poser des conditions avant le mariage. « Certaines peinent à trouver un mari qui puisse subvenir à leurs besoins », précise ce même adoul. Si bien que même l’âge du mariage fixé par la loi à 18 ans se trouve souvent avancé de quelques années.

Là aussi, la question relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Il peut en effet autoriser le mariage bien avant l’âge. « Si elle est forte, corpulente et en bonne santé à 14 ans, pourquoi ne se mariera-t-elle pas ? » dira un juge d’instruction. « Au temps de nos parents, les femmes ne s’épousent-elles pas à un âge plus précoce encore ? »

Certes, la Moudawana se veut une véritable refonte du code de la famille. Mais dans la pratique, beaucoup de lacunes restent à combler. A commencer par l’adéquation entre l’esprit du texte et l’archaïsme toujours régnant au niveau des mentalités. Les associations féminines estiment « qu’il est temps de revoir les articles sur lesquels on bute. Mais il est plus difficile de changer les mentalités. C’est un travail de longue haleine. Il faut pour cela une stratégie de communication continue en direction aussi bien de la famille que du système en charge de l’application de la loi ».

En effet, déjà quatre ans se sont écoulés depuis la mise en œuvre du nouveau code de la famille et les acquis ne sont toujours pas visibles dans la réalité des villes et des campagnes. Selon Rabea Naciri, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc, la Moudawana est en danger puisque son contenu est en train d’être vidé de son principal objectif : l’instauration de l’équité dans la gestion des affaires familiales. « Un véritable détournement des éléments phares de la loi est en train de s’opérer », dénonce-t-elle. Comment peut-on expliquer cette situation ? Par l’action de certaines forces occultes, qui, au nom de la religion ou du poids des traditions, cherchent à contourner la loi.

Complot

Pour contourner la loi sur la polygamie et sur l’âge du mariage, le stratagème du polygame est le suivant : il procède en présence de la mariée à la lecture de la fatiha en famille ou devant des témoins. Il se met en couple avec son « épouse », vit avec elle sous le même toit puis il met le juge devant le fait accompli. Et pour des raisons socioculturelles, ce dernier n’a d’autre alternative que d’officialiser le mariage.

Autres prétextes pour prendre une autre épouse, certains avancent le refus de la première femme de regagner le domicile conjugal, la vieillesse ou l’incapacité de procréer. Autant de motifs souvent monnayés à coups de pourboires.

Chantage et pression

Dans le cas du divorce « Khol’ », moyennant compensation de la part de la femme, aucune enquête n’est opérée pour vérifier l’éventualité d’un cas de chantage. La garde des enfants étant souvent utilisée dans ce type de divorce comme contrepartie du consentement du conjoint. Ce type de divorce est en baisse tendancielle. En principe, au profit du divorce de désunion (Chikak). Seulement, dans le cadre de cette procédure, la femme est souvent victime de pression morale pour l’amener à une séparation à l’amiable. Même si ce mode de divorce est en forte augmentation : 36,21% entre 2005 et 2006.

L’Economiste - Jihane Kabbaj

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Droits et Justice - Famille - Moudawana (Code de la famille) - Femme marocaine - Mariage

Ces articles devraient vous intéresser :

Enfants hors mariage : « la fête d’une nuit est à payer pendant 21 ans »

Comme pour les couples mariés, les enfants nés hors mariage au Maroc seront pris en charge par les parents. Une disposition est prévue dans le nouveau Code pénal pour reconnaitre leur droit, a annoncé le ministre de la Justice Abdellatif Ouhabi.

Le chanteur Adil Miloudi recherché par la police

Le célèbre chanteur marocain Adil El Miloudi est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour avoir, dans une vidéo, menacé des fonctionnaires de police.

Un député marocain poursuivi pour débauche

Le député Yassine Radi, membre du parti de l’Union constitutionnelle (UC), son ami homme d’affaires, deux jeunes femmes et un gardien comparaissent devant la Chambre criminelle du tribunal de Rabat.

Maroc : des changements majeurs pour les MRE en matière de droit de la famille

Le Maroc a décidé d’alléger considérablement les procédures administratives en matière du Droit de la famille, notamment le mariage, le divorce et l’état civil en faveur des Marocains résidant à l’étranger (MRE).

Deux fonctionnaires du consulat du Maroc à Barcelone en prison

Accusés de détournement de fonds, deux anciens fonctionnaires du consulat du Maroc à Barcelone ont été placés en détention, mercredi, par le procureur général du Roi près du tribunal des crimes financiers de Rabat.

Les cafés et restaurants menacés de poursuites judiciaires

Face au refus de nombreux propriétaires de cafés et restaurants de payer les droits d’auteur pour l’exploitation d’œuvres littéraires et artistiques, l’association professionnelle entend saisir la justice.

Des ennuis judiciaires pour deux anciens ministres (15 milliards de DH en jeu)

L’Association marocaine de la protection des deniers publics vient de déposer une plainte devant la justice contre deux anciens ministres de la Jeunesse et des sports et d’autres responsables pour avoir dilapidé environ 15 milliards de dirhams.

Youssra Zouaghi, Maroco-néerlandaise, raconte l’inceste dans un livre

Victime d’abus sexuels et de négligence émotionnelle pendant son enfance, Youssra Zouaghi, 31 ans, raconte son histoire dans son ouvrage titré « Freed from Silence ». Une manière pour elle d’encourager d’autres victimes à briser le silence.

Maroc : utilisation frauduleuse de l’autorisation de polygamie

Le premier président de la Cour de cassation et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), Mohamed Abdennabaoui, a mis en garde les présidents des tribunaux contre l’utilisation frauduleuse de l’autorisation de polygamie.

Maroc : 20 affaires de détournement de fonds publics devant la justice

Le président du ministère public a été saisi par le procureur général du Roi près la Cour des comptes de 20 affaires de détournement de deniers publics au titre de l’année 2021.