L’argent des émigrés : une manne inépuisable ?

14 mai 2007 - 12h08 - Economie - Ecrit par : L.A

Argent Les jeunes du bassin méditerranéen installés en Europe n’oublient pas ceux restés au pays. Ces flux d’argent poussent les institutions internationales à s’intéresser à leur régulation.

Dans le monde, cent vingt-cinq millions d’émigrés transfèrent annuellement quelque 230 milliards d’euros vers les pays d’origine. Pour les pays du Maghreb, officiellement, ce sont plus de 7 milliards d’euros qui traversent la Méditerranée. Les communautés maghrébines européennes sont celles qui transfèrent le plus vers le pays d’origine.

Ainsi 85 à 90% des transferts vers l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont en provenance d’Europe. Dans les autres pays, l’Egypte, le Liban, la Syrie ou encore la Jordanie (autres partenaires de la Femip), la part relativement faible des transferts venant de l’Union, de 5 à 10 %, s’explique par l’importance des populations émigrées dans les pays du Golfe ou les Amériques. La Femip, la Facilité euroméditerranéenne d’investissement et de partenariat, qui regroupe les interventions de la Banque européenne d’investissement, BEI, a récemment organisé à Paris une conférence sur les transferts des migrants. Devant un parterre de ministres des Finances et de grands argentiers européens, les discussions ont porté sur la réglementation des flux financiers de manière à réduire les coûts pour les migrants et rendre ces transferts plus productifs. Ces envois sont principalement réalisés via des sociétés de transfert d’argent, STA, Money Gram et Western Union principalement, pour 85 % des échanges. Les 15 % restant passent par le circuit bancaire classique ou par courrier.

La faible bancarisation des émetteurs et des bénéficiaires explique, pour partie, l’utilisation de ces modes de transfert. En effet, pour recevoir l’argent envoyé par un membre de sa famille émigré, il suffit de se présenter dans n’importe quel bureau de poste de la campagne du Rif ou de Tamanrasset. La transaction se fait presque instantanément, en toute simplicité, et la fiabilité est quasi assurée. Toutefois, l’absence de transparence des prix et les coûts élevés (jusqu’à 16 % du montant du transfert) font peser une forte charge sur les migrants.

Pour les envois informels, hors des systèmes de transferts légaux, selon les pays, ils sont jusqu’à quatre fois supérieurs aux envois officiels. Les communautés s’organisent pour la collecte et l’envoi des fonds par des circuits parallèles, pour éviter de payer les frais de transaction souvent très importants. Cet argent alimente abondamment le marché noir où euros et dollars s’échangent à des prix en dessous des tarifs bancaires. Dans des pays comme l’Algérie où près de 80 % des transactions se font encore en liquide, les réseaux informels permettent de faire circuler les devises sans le contrôle des autorités. Plus le réseau bancaire est développé, moins les migrants font appel aux réseaux informels. C’est le cas de la Tunisie où les flux informels représentent 50 % des transferts (voir tableau).

Les Marocains d’Europe envoient plus d’argent que les autres. Annuellement, ce sont près de 3 milliards d’euros qui sont envoyés au pays, deux fois plus que par les voisins algériens et tunisiens. Pour preuve, le nombre de compagnes publicitaires qui vantent les qualités des investissements locaux, dans l’immobilier principalement. Le pays a compris, avant les autres, l’importance de conserver un lien, même financier, avec sa diaspora. D’ailleurs, les transferts des migrants marocains sont la seconde source de revenus pour l’Etat marocain, faisant de l’économie locale une quasi-économie de rente.

Quant à savoir ce que font les émigrés de leur argent, la ventilation des investissements montre que la plus grande part va vers des secteurs dits improductifs, puisqu’ils ne génèrent pas directement de revenus. Les transferts sont utilisés pour la consommation des ménages à 51 %, pour l’éducation ou la santé à hauteur de 18 % et pour le logement à 14 %. Les clichés de l’immigré qui dépense sans compter pendant les vacances et qui construit de grosses maisons semblent avoir un fond de vrai. La part des investissements productifs dépasse difficilement les 10 %, sauf pour la communauté tunisienne de France qui semble porter plus d’intérêt aux investissements permettant la croissance économique du pays.

Combien de temps encore le Maghreb pourra-t-il bénéficier de cette manne ? Depuis plusieurs années, les analystes prédisent une baisse progressive des transferts. Leurs arguments sont basés sur renouvellement des générations et l’idée que les enfants de migrants enverront moins d’argent dans le pays d’origine. Or, les statistiques montrent une croissance régulière de ces flux financiers. A charge aux gouvernements des pays d’origine d’aider leurs ressortissants à faire de ces transferts un réel levier pour le développement.

Le Courrier de l’Atlas - Nadia Lamarkbi

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Transferts des MRE - Banques

Ces articles devraient vous intéresser :

Transferts de fonds des MRE : un record et une bouffée d’air pour le Maroc

Les Marocains résidant à l’étranger (MRE) contribuent fortement à l’économie marocaine à travers les transferts de fonds qui vont crescendo ces dernières années. Ces flux sont passés de 22,96 milliards de dirhams en 2000 à 93,67 milliards en 2021.

Appel à mettre fin à l’échange d’informations fiscales des MRE

L’Organisation démocratique du travail (OMT) a vivement critiqué la politique gouvernementale à l’égard des Marocains résidant à l’étranger, pointant du doigt une approche jugée superficielle et occasionnelle, particulièrement lors de l’accueil des MRE...

Maroc : les envois de fonds des MRE en forte hausse

Un peu plus de 45 milliards de dirhams ont été envoyés au Maroc par les Marocains résidant à l’étranger à fin mai dernier, selon les chiffres dévoilés par l’Office des Changes.

Les transferts de fonds des MRE augmentent de 46,3 % à fin janvier 2023

Les transferts de fonds effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont connu une hausse significative de 46,3 % à fin janvier 2023, atteignant plus de 9,22 milliards de dirhams, selon les données publiées par l’Office des changes. Cette...

Virement instantané au Maroc : gros dilemme des banques

Décrétée début juin pour trois mois, la gratuité du virement interbancaire instantané, une innovation du Bank Al-Maghrib et du Groupement pour un Système interbancaire marocain de télécompensation, va bientôt prendre fin. En attendant, les banques se...

Transferts des MRE : les assurances d’Abdellatif Jouahri concernant une directive européenne

Les autorités marocaines vont engager des négociations avec la Commission européenne au sujet d’une directive européenne visant à restreindre les transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger (MRE), a récemment annoncé Abdellatif Jouahri, le...

Le nouveau régime des dotations touristiques porte préjudice aux Marocains voyageant à l’étranger

Alors que l’Office des Changes assure avoir entrepris une réforme pour simplifier le régime des dotations touristiques pour tous les intervenants, y compris les banques, il a été constaté que le nouveau régime porte préjudice à de nombreux Marocains...

Maroc : les virements bancaires instantanés effectifs en 2023

Les derniers tests sont en cours pour permettre une réception instantanée des virements bancaires pour les particuliers et les entreprises au Maroc. Le déploiement général de ce système est prévu début 2023.

Le dilemme des MRE : vendre leurs biens ou se soumettre à l’échange fiscal

Des Marocains résidant à l’étranger (MRE) appellent à la suspension de l’accord multilatéral sur les échanges de renseignement automatiques des comptes financiers.

Les Marocains du monde ont transféré 110 milliards de dirhams en 2022 (+16,5%)

Les transferts d’argent effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont connu une augmentation significative en 2022, selon les données publiées par l’Office des Changes.