Au Maroc, une foule contre les "auteurs d’un génocide en Irak"

1er avril 2003 - 14h17 - Monde - Ecrit par :

Sans affichage partisan ni récupération politique, même de la part des islamistes, plusieurs centaines de milliers de Marocains (30 000, selon la police) ont manifesté à Rabat, dimanche 30 mars, contre la guerre en Irak.

Hormis quelques jets de pierre à la fin, il n’y a eu de violences que verbales, des appels à des opérations kamikazes -"pour punir les Américains, auteurs d’un génocide en Irak" - et des slogans antisémites ("Mort aux juifs, piétinons-les").
Dans l’ensemble, unis dans leur rejet de "l’agression américaine du peuple frère irakien", les manifestants ont respecté les "hautes instructions" du roi Mohammed VI qui leur avait demandé de "faire preuve de pondération, de sagesse et de discipline", en précisant que l’ordre public serait assuré "quelles que soient les conditions".

La volonté royale, relayée par les partis politiques, a été suffisamment intériorisée pour que les forces de l’ordre n’aient pas même à intervenir, sauf au moment de la dissolution de la marche, quand une affiche géante de McDonald’s, finalement taillée en pièces, a été la cible d’une intifada improvisée. Quelques personnes ont été légèrement blessées par des cailloux. Ni dans sa couverture en direct ni dans ses comptes rendus ultérieurs de la "marche de solidarité pacifiste", la télévision n’a fait état de cet incident. Ses caméras ont également relégué hors champ les - rares - portraits de Saddam Hussein et d’Oussama Ben Laden, ainsi que les - nombreuses - représentations animalières de George Bush et d’Ariel Sharon.

Il est vrai que, quatre heures durant, l’impressionnant cortège a traversé le cœur de la capitale sans aucun débordement. Des étrangers résidant au Maroc s’étaient joints aux manifestants sans être pris à partie. Les emblèmes des partis politiques sont restés discrets, certaines professions - telle celle des avocats - défilant au milieu des associations de la société civile. En dépit de sa condamnation de la guerre américaine en Irak, la communauté juive du Maroc a laissé "à chacun, individuellement, la décision de participer à la marche", selon son président, Serge Berdugo. Comme Abraham Serfaty, ancien opposant à Hassan II, la plupart des juifs marocains sont restés à la maison. Déjà, lors de la précédente manifestation, le 2 mars à Casablanca, des menaces de mort avaient été proférées contre "les juifs".

Les islamistes de la mouvance Justice et Bienfaisance, interdite mais tolérée, se sont fondus dans la foule, aucun mot d’ordre n’ayant été lancé par Cheikh Yacine, leur leader spirituel. A l’exception d’un carré d’un millier de femmes, recouvertes de pied en cap, le Parti de la justice et du développement (PJD), la formation islamiste entrée en force au Parlement aux élections législatives du 27 septembre, n’a pas non plus voulu montrer sa capacité de mobilisation. Déjà, la perspective d’un raz de marée islamiste au scrutin municipal de juin, quand des villes comme Tanger, Rabat et même Casablanca pourraient passer aux mains des "barbus", effraie les partis traditionnels. Des voix réclamant le report de l’échéance se font entendre.

ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE

Au-delà de la dénonciation de la "busherie" en Irak, des islamistes et des partisans de l’extrême gauche ont pourfendu, à l’unisson, "les régimes arabes et le gouvernement marocain", qualifiés de "zéro". Certains scandaient : "Les peuples sont dans la rue, les armées peuvent se reposer dans les casernes" ; alors que d’autres établissaient le lien avec une situation sociale difficile : "Pas d’emploi, rien à faire, autant aller mourir en Irak."

Dans la presse marocaine, très virulente à l’égard de Washington, la décision du gouvernement de maintenir finalement, la semaine dernière, les négociations pour un accord de libre-échange avec les Etats-Unis a été jugée, au mieux, comme une preuve de Realpolitik, au pis, comme "une honte". Initialement prévus à Rabat, ces pourparlers, dont l’aboutissement programmé pour octobre ferait du Royaume le troisième partenaire privilégié de l’Amérique, après la Jordanie et le Chili, se sont déroulés à Genève pour, selon le quotidien L’Economiste, ne pas provoquer une "opinion publique chauffée à blanc".

Stephen Smith pour lemonde.fr

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