Hicham El Guerrouj, le 1500 maître

3 janvier 2007 - 02h30 - Sport - Ecrit par : L.A

Chez un champion, technique et savoir-faire s’altèrent rarement. Mais ces atouts majeurs qui se forgent avec les années se retrouvent en conflit avec une motivation qui finit par s’étioler au fil du temps. Aucun mental n’y résiste. Un jour ou l’autre, la lassitude que les sportifs refusent souvent de s’avouer l’emporte sur le plaisir et le désir de compétition. Aux premiers doutes, l’idée d’en finir fait son chemin. Jusqu’à l’issue inexorable. Quand sonne l’heure de la retraite.

Athènes, 28 août 2004. Hicham El Guerrouj, à presque 30 ans, vient d’avaler la finale du 5000m, quatre jours après avoir remporté le 1500m des JO. Il roule des yeux comme des billes à la manière d’un gamin ­ visage mi-extatique mi-incrédule ­, il brandit devant les caméras son index et son majeur. Il indique « deux », le nombre de médailles d’or olympiques qu’il empoche. Lui qui, par extraordinaire, n’en avait jamais raflé une, alors qu’il avait gagné tout le reste. Ce 28 août-là, El Guerrouj dispute sa dernière course. La minute d’après, il va cesser d’être un athlète, même s’il mettra un temps fou à se résoudre à cette évidence. Vingt et un mois pour s’avouer qu’il n’en voulait plus.

Servitudes. Le gamin de Berkane, dans le nord-est du Maroc, n’avait que 13 ans quand il disputa sa première course, 16 ans quand il devint champion du Maroc de cross (chez les cadets). C’est à cet âge qu’il intégra le centre national d’athlétisme de Rabat. El Guerrouj a passé sa première vie à courir. Aziz Daouda, directeur technique national de l’athlétisme marocain, dit un jour : « Ce qui le différencie des autres, c’est qu’il y a cru très jeune. Il s’est voué tout entier à la course à pied. » El Guerrouj a souvent évoqué les servitudes de l’athlète de haut niveau, l’ascétisme extrême qu’il s’est infligé : « J’ai sacrifié ma jeunesse à l’athlétisme », a-t-il souvent répété. Alors pourquoi continuer à sacrifier sa vie d’adulte quand on a tout gagné ?

Frustration. Entre 1996 et 2004, El Guerrouj n’a perdu que 5 des 89 courses qu’il disputa (1500m et mile 1609m ­ confondus). Il possède sept des dix meilleurs chronos de l’histoire sur 1500m, les records du monde du mile (salle et plein air), du 1500 mètres (salle et plein air) et du 2000 mètres. A 33 reprises, il a couru un 1500 m sous les 3’30... « Il a écrasé sa discipline comme Sergueï Bubka la perche », résume sobrement Jean-Michel Dirringer, entraîneur du français Mehdi Baala, qui fut un des adversaires malheureux du Marocain. En fait, les seules taches sur le palmarès furent ses échecs lors des JO de 1996 et de 2000.

L’or olympique s’est longtemps refusé à El Guerrouj. A Atlanta, en 1996, il se gamelle et laisse Nourredine Morceli filer vers la victoire. En 2000, c’est Noah Ngeny qui lui souffle le titre. Du propre aveu de son entraîneur de toujours, Abdelkader Kada, cette frustration fut un réservoir de motivation inépuisable. Les JO d’Athènes, en 2004, ont un air dramatique de « dernière chance » pour le dieu sans Olympe.

El Guerrouj arrive en Grèce moins favori qu’il ne l’a jamais été : défait à Rome (pour la première fois en meeting depuis 1995) et à Zurich durant la saison 2004, il n’exerce plus la même domination sur ses pairs... Ce qui ne rendra que plus majestueuses ses deux victoires. En réalisant le doublé 1500m-5000m ­ que seul Nurmi avait réussi avant lui... en 1924 ­, El Guerrouj a ridiculisé sa malédiction olympique et ajouté les derniers lauriers.

Vitesse. Qui pour douter, désormais, qu’il est l’un des plus grands ? Et que faire, après ? Aller chercher un second titre olympique sur 1500m, à Pékin, comme Sebastian Coe en 1984 ? Le pari semble vite impossible. El Guerrouj sait qu’avec l’âge le coureur de demi-fond doit changer de braquet et allonger les distances, car la pointe de vitesse s’émousse.

Son avenir et ses défis ne peuvent plus être que sur 5000m, avec un nouveau titre majeur et, surtout, le record du monde ­ propriété de son dauphin d’Athènes, l’Ethiopien Kenenisa Bekele. Pendant de longs mois, El Guerrouj fit mine de faire sien ce pari, sans jamais négliger ce qu’il avait d’aventureux : « C’est difficile de monter sur les longues distances, c’est tout un système qui change. Le corps a besoin de repères. Il m’a fallu dix ans pour bien maîtriser le 1500m. Alors, je ne sais pas si je vais y arriver avec le 5000m », disait-il, début 2005.

« Miler ». Le doute n’est pas un confort pour un serial winner de cette trempe. On ne prend pas impunément le risque de cochonner ses habits de vainqueur. « Perdre, ce serait mauvais pour mon image. Les gens ne comprendraient pas. Si je gagne, tout le monde trouvera ça normal. Si je perds... Je ne veux pas gâcher la fin de ma carrière comme d’autres », concède-t-il au quotidien l’Equipe, début 2006, dans un entretien où il évoquait pêle-mêle ses pépins de santé, les sollicitations dont il était l’objet, et où on devinait déjà qu’il n’aspirait qu’à une chose : vivre en rentier méritant de sa gloire.

Le 22 mai dernier, le plus grand miler de tous les temps a convoqué une conférence de presse internationale dont l’objet ne faisait pas un pli : « C’est un jour historique pour moi, qui met fin à dix-neuf ans de ma vie », a-t-il déclaré, vingt et un mois après Athènes.

Libération.fr - Cédric Mathiot

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