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Dans une vaste fresque fondée sur une documentation inédite, Robert Assaraf retrace l’histoire singulière et mouvementée de la communauté juive marocaine de 1860 à nos jours.
Le Maroc est-il une nouvelle Andalousie, symbole de la coexistence entre les fils d’Abraham ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser à la lecture de la formidable somme que consacre Robert Assaraf au judaïsme marocain à l’époque moderne et à la manière dont celui-ci négocia son entrée dans la modernité tout en maintenant son identité particulière, inséparable de son enracinement dans la culture et la société environnantes.
C’est l’alchimie de cet étonnant processus qu’il nous est donné d’approcher dans cette fresque où Clio se livre à nous de la manière la plus singulière qui soit, une accumulation heureuse de paradoxes. Premier paradoxe : le judaïsme marocain constitue en 2005 l’un des rameaux les plus vivants et les plus importants du peuple juif et il continue à se définir à la fois par sa judéité et par sa marocanité alors même que le Maroc n’abrite plus que 2 000 à 3 000 Juifs. Les autres, qui sont près d’un million, vivent aux quatre coins de la planète, en Israël, en France, au Canada, au Brésil, aux Etats-Unis, en Australie ou en Espagne.
Second paradoxe : l’on assiste même, loin du berceau où il vit le jour, à un « renouveau du judaïsme marocain », œuvre d’hommes et de femmes qui, se substituant à la communauté juive locale, réduite à une poignée d’individus, entendent préserver leur patrimoine, c’est-à-dire leurs coutumes et leurs traditions religieuses, musicales, culinaires ou socio-familiales, fortement marquées par la symbiose avec le monde arabo-musulman.
Cette identité duelle, dans laquelle le rapport d’affection envers les différents souverains marocains, protecteurs traditionnels et efficaces de la minorité juive - on le vit bien aux heures sombres de Vichy quand Mohammed V prit la défense des victimes d’un racisme importé d’Europe - joue un rôle considérable, est l’aboutissement d’un long processus, la conséquence de la rencontre entre une communauté multiséculaire et la modernité.
Ce phénomène, caractérisé par l’intervention accrue des puissances européennes dans la vie du Maroc tout au long du XIX° siècle ainsi que par l’instauration, entre 1912 et 1956 d’un Protectorat (français et espagnol) généra de profonds changements au sein d’un judaïsme marocain qui bénéficia d’une amélioration considérable de son sort après les violences qui marquèrent la fin du « Vieux Maroc » et que Robert Assaraf retrace longuement.
Contrairement à leurs compatriotes musulmans, les Juifs acceptèrent sans rechigner le processus de modernisation et d’occidentalisation, quitte pour certains d’entre eux à vouloir l’accélérer. Robert Assaraf cerne bien ainsi l’audience, au fond limitée, d’une minorité qui identifiait le sort de la communauté à celui des puissances coloniales. Cette volonté d’assimilation connut un coup d’arrêt brutal avec l’instauration, après la défaite de juin 1940, d’un statut des Juifs dont les versions imposèrent, contre la volonté du sultan Mohammed V, une politique de discrimination raciale dont les Juifs eurent à souffrir dans leur existence quotidienne et qui est ici minutieusement retracée. Tout comme l’est la splendide attitude du souverain chérifien qui lui valut le titre de Compagnon de la Libération et celui, très rare, de « Juste parmi les nations ».
Cette épreuve douloureuse, à laquelle le débarquement anglo-saxon de novembre 1942, mit un terme, ne fut pas sans favoriser la propagation des idées sionistes au sein de la communauté juive marocaine, amenant la plus grande partie de celle-ci à émigrer massivement au lendemain d’une indépendance qui s’accompagna toutefois de la reconnaissance des Juifs comme citoyens marocains à part entière. Sur les modalités et les étapes de cet exode, Robert Assaraf apporte un éclairage nouveau, soulignant avec force que s’il était vécu par les intéressés comme un devoir religieux et l’accomplissement du vieux rêve prophétique, il était aussi ressenti par leurs concitoyens musulmans comme un appauvrissement et une déperdition préjudiciables à la richesse et à la complexité d’une identité marocaine faite de tolérance, de respect et d’acceptation de la différence.
Ce qui explique, au milieu des années 70, les retrouvailles des Juifs avec le Maroc et la redécouverte par le Maroc d’un passé juif constamment valorisé et souligné par les plus hautes autorités du royaume, à commencer par le roi Hassan II dont la contribution déterminante au processus de paix au Proche Orient et à la réconciliation entre les enfants d’Ismaël et d’Israël est, dans ce livre, soigneusement mise en évidence et très finement analysée. Le souverain estimait que la multiséculaire coexistence harmonieuse entre Juifs et Musulmans au Maroc était un modèle et une source d’inspiration tant pour les Israéliens que pour les Arabes. C’est au nom de cette conviction que le roi Hassan II n’hésita pas à s’appuyer sur les Juifs originaires du Maroc tout en se gardant bien d’impliquer dans ce processus la petite communauté locale dont l’histoire intérieure est, pour la première fois, retracée avec un remarquable luxe de détails et d’anecdotes dont le lecteur fera son miel.
Le travail de Titan auquel s’est livré Robert Assaraf pour faire revivre l’histoire du judaïsme marocain ne se limite pas à l’analyse des rapports de celui-ci avec la société environnante et le Makhzen. Les chapitres consacrés à la vie intellectuelle et culturelle du judaïsme marocain permettent d’appréhender celui-ci de l’intérieur et constitueront pour les historiens de demain une source indispensable de références et d’informations. Ils sont à leur manière autant de chapitres de l’histoire intellectuelle et culturelle du Maroc tout court et cette approche, qui exclut tout autant l’apologie que la critique stérile, donne à l’ouvrage une dimension supplémentaire malheureusement absente de bon nombre d’études sur le sujet, froidement analytiques et chronologiques.
Cette volonté d’ouverture et de transmission ainsi que ce souci pédagogique sont indissociables de la marocanité et de l’imbrication des cultures dont la symbiose judéo-marocaine constitue un exemple n’ayant d’équivalent que dans l’Al Andalus médiévale, cette Cordoue mythique dont tous les hommes de cœur souhaitent le retour. Sous cet angle, Une certaine histoire de Juifs du Maroc n’est pas simplement un témoignage érudit, mais un manifeste auquel ses lecteurs, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, ne peuvent que souscrire. Ce n’est pas là la moindre exemplarité d’un ouvrage que les spécialistes saluent déjà comme un événement et comme une contribution de première importance à l’histoire du Maroc contemporain.
Robert Assaraf, Une certaine histoire des Juifs du Maroc, Jean-Claude Gawsewitch Editions, 824 p., 34 €.
Patrick Girard - Marianne
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