La success story d’Ahmed Aboutaleb

13 mars 2007 - 00h00 - Monde - Ecrit par : L.A

Ahmed Aboutaleb, d’origine marocaine, a été nommé secrétaire d’Etat aux Affaires sociales au gouvernement hollandais. Une nomination qui n’est pas du goût de tout le monde.

Dans les scènes d’intérieur hollandais peintes par les grands artistes de l’Age d’or, tout semble parfait : les collerettes en lin blanc et les surfaces lustrées expriment un calme lumineux.

De nos jours, les Pays-Bas, cette grande nation au passé historique glorieux et longtemps considérée comme la première terre d’asile et d’immigration en Europe, offrent une tranquillité pittoresque, avec leurs nuées de cyclistes au dos bien droit et leurs canaux qui se reflètent dans les magnifiques fenêtres des maisons à pignons. Jeudi 22 février 2007, ce pays, connu aussi pour sa grande démocratie, a un autre rendez-vous avec l’Histoire : il vient de nommer pour la première fois un Marocain au poste ministériel, dans son nouveau gouvernement.

Il s’agit d’Ahmed Aboutaleb, 45 ans, qui vient d’être désigné dans la fonction de secrétaire d’Etat aux Affaires sociales. M. Aboutaleb, qui défend ses idées politiques dans les rangs du Parti travailliste hollandais, aura à s’occuper de trois grands chantiers, et non des moindres : le logement, l’emploi et l’intégration. Certes, il n’est pas le seul musulman à faire partie de cette nouvelle équipe gouvernementale puisqu’il partage cet honneur avec une femme d’origine turque, Nebahat Albayrak, secrétaire d’Etat à la Justice. Mais, il se trouve être le premier Hollandais d’origine marocaine qui fait partie de cette deuxième génération d’immigrés nord-africains à voir son étoile briller de mille feux.

Ce n’est pas pour autant que tout se passera bien pour lui et que rien ne viendra perturber cette ascension rapide et fulgurante. Il sait plus que quiconque que ce n’est pas une partie de plaisir, loin de là, mais une lourde responsabilité dont il va devoir s’acquitter sur un terrain miné et où le rang de ses détracteurs grossira au rythme de ses moindres mouvements. Avant même son investiture officielle en tant que nouveau membre de gouvernement, il affrontera sa première épreuve politique déclenchée le jour même de sa nomination par un député populiste d’un parti d’extrême droite, qui met en doute la loyauté du jeune ministre marocain et celle de sa collègue d’origine turque.

Une motion visant à empêcher leur entrée au gouvernement a été déposée par ce député, qui semble déterminé à aller jusqu’au bout de sa logique consistant à bannir la participation de tout immigré, de préférence de confession musulmane, dans l’action publique du pays. Mais c’est compter sans la volonté d’Ahmed Aboutaleb dont on loue par ailleurs des qualités humaines comme le courage, la persévérance et le combat pour ses idées.

À ceux qui doutent de sa loyauté envers son second pays, les Pays-Bas, il répliquera : « J’ai choisi cette terre pour y travailler et résider avec sincérité et dignité et je trouve incompréhensible toute mise en cause de ma loyauté ». Né en 1961 à Beni Sidel, un village de la région du Rif, d’où sont partis une grande partie de Marocains vers l’Europe, Ahmed Aboutaleb n’a immigré aux Pays-Bas avec sa mère et ses frères qu’en 1976, il n’avait alors que 15 ans.

« J’ai laissé derrière moi une petite maison sans électricité ni eau courante, une vache, un âne et quelques pierres », confira-t-il modestement un jour au sujet de son ancienne demeure. Après des études d’ingénieur industriel en télécommunications, il a travaillé comme reporter pour des radios privées (Veronica) et publique (NOS), puis pour le journal télévisé de RTL-Nederland, et, enfin, comme personne de contact pour la presse auprès du ministère de l’Aide sociale, de la Santé et de la Culture.

En 1998, il devient directeur de Forum (Institut pour le développement multiculturel), l’organisation qui succède au Centre néerlandais des étrangers, et, par la suite, il travaille comme haut fonctionnaire de la municipalité d’Amsterdam, au poste de directeur du développement sociétal, économique et culturel.

Alors qu’il ne s’était jamais présenté aux élections, bien que membre du parti travailliste PvdA, il devient à mi-mandat, en janvier 2004, échevin (adjoint au maire) en charge de l’enseignement, de la jeunesse, du travail, des revenus et de la politique des grandes communes d’Amsterdam. Il s’est particulièrement distingué comme la personnalité politique néerlandaise d’origine marocaine la plus médiatique mais aussi la plus active sur le terrain.

Il agira notamment pour apaiser les esprits et favoriser le rapprochement intercommunautaire après l’assassinat du cinéaste Theo Van Gogh en novembre 2004, par Ahmed Bouyeri, un islamiste d’origine marocaine, et s’illustrera aussi par son action en faveur d’une politique dite de « carte scolaire » inspirée du modèle français qui oblige les parents à mettre leurs enfants dans l’école de leur quartier.

Lors de sa première candidature à une élection, aux municipales de mars 2006, il a obtenu 46.217 voix depuis la deuxième place de la liste travailliste et il a conservé son échevinat au sein de la nouvelle majorité municipale.

Contrairement à ce qui se serait passé en Belgique, par exemple, où le cumul entre fonctions exécutives locales et mandat parlementaire est très courant, l’importance du poste municipal d’Ahmed Aboutaleb l’a empêché d’être candidat aux législatives de novembre 2006, mais, par contre, son bilan municipal très positif a beaucoup plaidé en sa faveur pour sa désignation au gouvernement.

Aux Pays-Bas, beaucoup d’immigrés musulmans ont grimpé en politique ou dans les affaires à un moment de crise ethnique et de doute sur la capacité du pays à absorber sa minorité musulmane. Mais, en même temps, leur rareté au sommet de la hiérarchie démontre la difficulté de pénétrer l’élite.

Environ un million des 16 millions de citoyens néerlandais sont issus de familles musulmanes. Sans aller jusqu’à l’exemple d’Ahmed Aboutaleb, qui demeure encore un fait nouveau, beaucoup de Néerlandais issus de l’immigration sont parvenus à tirer leur épingle du jeu, à des niveaux moindres, en politique et dans les affaires.

« Ceci est la nouvelle Europe, et les Pays-Bas et la Belgique montrent tout à fait l’exemple », estime, pour sa part, Sadik Harchaoui, un autre Marocain qui dirige l’Institut national du développement multiculturel à Utrecht. « C’est le moment pour les citoyens néerlandais issus de l’immigration de prendre ce type d’emploi, pas seulement au sein du gouvernement, mais aussi dans les affaires. Dans 15 à 20 ans, ce sera une chose normale », note-t-il. Ahmed Aboutaleb aura bel et bien tracé la voie.

Maroc-Hebdo - A. Amouraq

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