Le jackpot de la capote

20 janvier 2007 - 20h02 - Maroc - Ecrit par : L.A

Avec 15 millions d’unités vendues, le marché marocain du préservatif attise les convoitises d’une quinzaine de marques. Ces dernières doivent cependant composer avec des prix élevés et le puritanisme de la société.

Extra-fins, colorés, lubrifiés ou parfumés… depuis quelques années, les nouvelles gammes de préservatifs ne cessent de s’installer sur les rayons des pharmacies. Dotés d’un packaging attractif et de noms évocateurs (les Kamasutra et Ginger ont apparemment les faveurs du public), leur fantaisie a de quoi combler les goûts les plus farfelus. À
côté, les plutôt sobres Soft et Protex font grise mine, mais trouvent toujours preneurs.

En présentoir, cachés dans un tiroir ou rangés en vrac, c’est l’ensemble des modèles de préservatifs qui connaît actuellement une augmentation régulière des ventes. Preuve en est l’apparition continuelle, depuis une décennie, de nouvelles marques (on en compte environ une quinzaine au total), transformant ce marché en un créneau très concurrentiel. Car il a beau ne pas être comparable au marché français ou anglais (respectivement 94 millions et 180 millions d’unités vendues en 2006), le marché marocain reste commercialement plus qu’intéressant.

Une étude du ministère de la Santé, datant de l’année 2005, l’évalue à quelque 15 millions de préservatifs vendus chaque année. Chiffre auquel il faut ajouter environ 100 000 préservatifs distribués gratuitement par des ONG (essentiellement l’Association de lutte contre le sida et l’Association marocaine pour la planification familiale) et quelques centaines d’unités écoulées sur le marché parallèle.

Un marché en expansion

Si certains importateurs se montrent peu enthousiastes à l’idée de dévoiler leurs chiffres de vente, tous s’accordent sur un point : le marché est incontestablement en expansion. La société Promopharm déclare ainsi écouler jusqu’à 2 millions d’unités annuellement. Sterifil, importateur de consommables médicaux, n’atteint pas un tel chiffre. Mais son produit, lancé en 2005, a vu ses ventes grimper de 20% au cours de l’exercice 2006.

Cette évolution est perceptible au niveau des seules données chiffrées disponibles : celles de la douane, dont la nomenclature calcule les importations en poids et non pas en unités. Un indicateur pertinent, puisque l’intégralité des produits commercialisés au Maroc est aujourd’hui importée, après l’arrêt il y a quelques années de toute production locale. Ainsi, de 11 tonnes importées en 1993, les importations sont passées à 20 tonnes en 1995 pour en atteindre 52 en 2005. Dans cette augmentation régulière, on note même un curieux pic à 90 tonnes en 2003 !

C’est la Malaisie qui s’impose comme le premier fournisseur en préservatifs pour les Marocains, en étant la provenance de près de 75% du stock importé. Et même si des accords préférentiels ont été conclus avec l’Union européenne, l’Asie reste le marché le plus compétitif en termes de prix, même avec des droits de douane à 10%.

Les autres taxations concernent la TVA (à un taux de 20%) et la taxe parafiscale à l’importation (0,25%), totalisant un poids fiscal de 30,25% que les importateurs aimeraient bien voir baisser, voire disparaître. “Entre les diverses charges et les marges des pharmaciens, notre marge bénéficiaire est très réduite. Nous voulons bien participer à la prévention du sida au Maroc, mais nous ne pouvons dégager un vrai budget de communication tant que l’Etat ne supprime pas les droits de douane”, déplore un dirigeant de Sterifil.

En tout cas, ce ne sera pas pour cette année : la Loi de finances 2007 n’apporte aucune nouveauté à ce chapitre. Une baisse des droits de douane et, surtout, du taux de la TVA pourrait également faire pression sur les prix. Oscillant entre 5 et 35 DH le paquet de trois, ces derniers ne sont pas toujours à la portée de la majorité de la population. À titre de comparaison, en France, où le pouvoir d’achat est nettement supérieur, le ministère de la Santé vient d’initier un projet pour mettre sur le marché des préservatifs à 2 centimes d’euro, soit 2,2 DH l’unité.

Mais quand bien même les importateurs dégageraient un véritable budget de communication, ils auraient du mal à exploiter l’outil publicitaire pour faire la promotion de leurs marques. Et pour cause : au sein de la société marocaine, l’utilisation du préservatif demeure associée à la sexualité hors mariage, voire à d’autres pratiques sexuelles hors-la-loi, comme la prostitution ou l’homosexualité. “Bien sûr que ce n’est pas un produit comme les autres. Nous sommes dans un pays musulman. La capote, c’est juste pour les dépravés”, s’exclame ce chauffeur de taxi, la cinquantaine bien sonnée, reflétant assez bien l’opinion ambiante.

De la discrétion, surtout

C’est ce qui explique que les rares campagnes publicitaires, vantant les mérites de telle ou telle marque, se distinguaient par leur discrétion. Et ceci tant au niveau de leur diffusion (quelques titres de la presse magazine) que du message véhiculé : des phrases anodines accompagnées du “pack shot” du produit.

Certes, la campagne de sensibilisation pour la lutte contre le sida, lancée par le ministère de la Santé en 2004, a défloré le sujet. En présentant le préservatif comme un moyen de prévention, et plus seulement de contraception, le département de Biadillah a brisé (ou du moins ébréché) le tabou du puritanisme. “À l’opposé des campagnes européennes, qui cherchent surtout à choquer pour marquer les esprits, au Maroc, il est préférable d’user de beaucoup de subtilité, pour ne pas heurter la sensibilité du public”, fait remarquer cette professionnelle de la communication, qui a déjà travaillé sur le produit. Et de poursuivre : “Il est également préférable d’éviter la communication dans les médias traditionnels et de se concentrer sur la PLV (publicité sur le lieu de vente)”.

Dans les lieux de vente, justement, les mentalités semblent avoir évolué. D’après beaucoup de pharmaciens, les consommateurs semblent s’être un tantinet “décoincés”. “La gêne des clients a tendance à s’estomper. C’est quelque chose que nous remarquons surtout chez les jeunes entre 18 et 30 ans, affirme Hicham, pharmacien à Casablanca. Il y a même de plus en plus de femmes qui viennent en acheter elles-mêmes”. Et pour les plus timides, s’approvisionner chez l’épicier du quartier reste la solution idéale… en attendant la prolifération de distributeurs automatiques.

Toutefois, l’adoption du réflexe “préservatif” reste l’apanage d’une population jeune et urbaine, décomplexée vis-à-vis des relations sexuelles, mais qui a aussi grandi avec le spectre du sida. C’est le cas de ces étudiants en quatrième année de médecine à Casablanca, par exemple, qui affirment à l’unisson que “l’utilisation d’un préservatif est devenue une habitude naturelle, qui n’a rien de honteux”. Karim, futur médecin, poursuit la démonstration : “Ce sont des vies humaines qui sont en jeu. Nous devons être plus directs, dépasser cette hypocrisie sociale. Il faut oser dire, au risque de choquer les âmes sensibles, que le préservatif est nécessaire”, conclut-il. Amen.

Marketing : Les préservatifs “chic”

Les années SIDA ont fait leur œuvre. Autrefois contraceptif “ringard” (supplanté par la pilule), le préservatif est aujourd’hui devenu un objet du quotidien. La chose n’a évidemment pas échappé aux fabricants qui, dans un marché très concurrentiel, redoublent d’ingéniosité pour séduire le chaland et s’attirer la sympathie de son portefeuille. Ainsi, à côté du préservatif de base et bon marché, qui se contente de sa mission de protection, est apparue toute une gamme de nouveaux produits plus sophistiqués, mais également plus chers. Il y en a pour tous les goûts et, sans jeu de mots, pour toutes les bourses : préservatifs colorés, parfumés ou phosphorescents, ultra-fins pour un senti naturel ou dotés de granules et de rainures pour accentuer les sensations…
Le positionnement marketing a un objectif simple : sortir le préservatif de l’univers médical pour le faire entrer dans le domaine du ludique, transformer un acte anxiogène en achat d’agrément. “Le problème, c’est de vendre aux clients ces nouvelles gammes de préservatifs. Comment voulez-vous expliquer à un client l’intérêt d’un préservatif à rainures ?”, s’interroge un vendeur en pharmacie. Au moins un détail que les marketteurs des fabricants n’ont pas prévu...

TelQuel - Alexia Colette

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