Le Maroc s’ouvre au partenariat avec l’Inde

13 décembre 2004 - 08h19 - Maroc - Ecrit par :

Le Maroc et l’Inde, une relation à parfaire, telle pourrait être la définition la plus proche de la réalité, au terme d’une visite de trois jours en République Indienne du Premier ministre Driss Jettou, accompagné d’une forte délégation ministérielle et de plusieurs dizaines d’opérateurs (et d’opératrices) économiques, membres de la CGEM.

DNES à New Delhi

Une visite officielle destinée, nous a-t-on affirmé, à lancer véritablement un partenariat tous azimuts resté jusqu’à ce jour essentiellement limité aux joint-ventures mutuellement profitables entre notre premier exportateur, l’OCP, et des groupes industriels privés indiens, tel le groupe Birla, associé au Maroc dans l’unité IMACID à Jorf Lasfar et en Inde, à Paradeep (au sud-est de Calcutta) où travaillent des ingénieurs marocains dans une unité de transformation du phosphate, dans le cadre d’un holding conjoint, “ Zuari OCP Limited ”.
Une relation en devenir parce que les partenaires, malgré un cadre juridique attractif et la signature de plusieurs accords de coopération, n’ont pas su ou pu véritablement développer des pistes concrètes de coopération.
C’est sans doute pour cela que M. Driss Jettou, sur instructions royales, a pris la peine d’associer à son voyage des ministres comme M. Achaari, en charge de la Culture, M. Talbi Alami, du Département des Affaires économiques et générales, M. Ghellab, qui détient le maroquin de l’Equipement et des Transports, M. Hjira, responsable du Logement et de l’Urbanisme, M. Mechaouri, son collègue du Commerce extérieur, M. Boutaleb, de l’Energie et des Mines et M. Mohattane, Secrétaire d’Etat, en charge du Développement rural.

Trois sur quatre

C’est également dans cet objectif que l’on annonçait au soir de sa deuxième journée indienne, la signature de trois accords de coopération entre New Delhi et Rabat, le premier portant sur la recherche agronomique (alors que l’Inde a développé une expertise certaine dans la gestion de l’eau, l’augmentation de sa production agricole en opérant une vraie “ révolution verte ” et l’aquaculture), le second sur l’énergie et le troisième sur le transport aérien. On mentionnera à ce sujet le fait qu’un autre projet d’accord était prévu, portant sur l’établissement d’une ligne maritime entre les ports de Mombay et Casablanca, mais, comme a pu le préciser M. Taoufiq Ibrahimi, PDG de la Comanav, “ le texte est encore en phase de finalisation ”, ce qui a empêché sa signature.
Pourtant, la presse locale, et notamment le quotidien Hindoustan Times, avait signalé dans un article consacré au séjour de M. Jettou, la probabilité d’une telle conclusion.
La relance des relations bilatérales, marquées par l’identité d’une approche des relations internationales, la volonté de nouer des partenariats Sud-Sud et le soutien (récent) de l’Inde sur notre question d’unité nationale, passera donc, pour un commencement productif, par ces trois textes, lesquels devraient, avec un coup d’accélérateur donné dans le champ culturel, se traduire en 2005 par la tenue d’une année de l’Inde au Maroc qui se déclinerait dans plusieurs secteurs et domaines, selon les vœux des plus hautes autorités du Royaume.
C’est le sentiment du Premier ministre, M. Driss Jettou qui, dans un long et informel aparté avec la presse nationale, a dressé le bilan, extrêmement satisfaisant, de ce séjour mené au pas de charge. Car cette visite, qui lui a permis de rencontrer successivement le ministre indien des Affaires Etrangères, (un fin connaisseur d’Ibn Batouta et de ses périples asiatiques), le Président de la République indienne, le Premier ministre, avec qui, selon son expression, “ le courant est passé ” et Dame Sonia Ghandi, Présidente du Parlement et du Parti du Congrès (majoritaire), aura eu des connotations politiques, pour confirmer et réaffirmer ce qui avait été acquis par SM le Roi lors de sa visite d’Etat en février-mars 2001, mais surtout économiques, non seulement en termes d’échanges, mais plutôt de partenariat fécond, multiforme et mutuellement profitable.
Comme devait si finement le dire le Directeur général de l’OCP, Mourad Chérif, sans doute aujourd’hui le meilleur spécialiste de l’Inde, cet Etat continent fait aujourd’hui partie d’un groupe restreint appelé “ BRIC ”, comptant les quatre nations montantes en ce début du vingt et unième siècle, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. New Delhi a désormais un poids certain sur la scène mondiale, tant sur le plan humain et démographique (1, 1 milliard d’habitants quasiment) que sur le plan économique, géostratégique ou diplomatique.
Et, explique M. Chérif, c’est parce que le Souverain est parfaitement au fait de cette montée en puissance qu’il a dépêché à New Delhi le chef du gouvernement pour présenter à la fois les opportunités qu’offre le Royaume au niveau de son statut de champion du libre-échange (avec l’UE, la Turquie,la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie et les Etats-Unis), mais aussi de “ gateway ”, de porte ouverte sur l’Europe à 25, l’Afrique et, depuis la tournée royale en Amérique Latine, le Mercosur, ce marché commun latino-américain avec lequel le Maroc s’apprête à lancer des négociations pour un accord du même type que ceux signés avec Bruxelles, Washington, Ankara ou le Caire.

Tirer profit d’atouts puissants

Car Rabat entend bien profiter de sa situation, de son statut et des atouts qui sont les siens pour inviter les nouveaux “ tigres ” d’Asie à participer au développement d’une économie mondialisée en renforçant leur présence dans la région euro-maghrébine et, tout particulièrement au Maroc.
C’est pourquoi, comme l’exprima clairement le Premier ministre, parfaitement en phase d’ailleurs avec M. Mourad Chérif, président du Conseil économique conjoint maroco-indien qui a animé le mardi 7 décembre une session marquée par la présence importante d’opérateurs nationaux de plusieurs secteurs, la volonté des deux parties n’est pas tant de développer les relations commerciales mais plutôt d’ériger et de renforcer des opérations communes, des joint-ventures et un partenariat fécond entre les secteurs privés des deux pays, avec le soutien résolu et actif des pouvoirs politiques de l’Inde et du Maroc.
C’est pourquoi M. Jettou a identifié plusieurs secteurs, que l’on retrouve pratiquement dans l’aire respective des trois accords signés en grande pompe mardi soir par les ministres concernés. Le Maroc, en effet, est disposé à offrir les meilleures conditions et les avantages les plus conséquents aux opérateurs indiens qui monteraient des projets avec leurs homologues marocains, de même qu’il entend bien profiter, à l’avantage de son économie, de l’expertise indienne acquise dans des certains secteurs également stratégiques pour notre tissu entreprenarial. C’est ainsi, par exemple, que l’industrie textile nationale, qui s’apprête à vivre les affres du démantèlement de l’Accord Multifibres, s’appuiera sur sa situation géographique à quelques miles nautiques de l’Europe pour inviter son homologue indienne, parfaitement intégrée d’ailleurs, à s’attaquer plus facilement au marché européen constitué désormais de 350 millions de consommateurs, mais aussi à l’Amérique. De même, nos opérateurs de l’AMITH, venus en force avec M. Jettou, mettront à profit leur présence en Inde pour approcher les techniques du secteur, apprécier les modes de production, l’outillage employé et, last but not least, s’essayer à quelques relations commerciales facilitées sans doute par un dollar faible.
Dans le secteur des nouvelles technologies, où excelle l’Inde qui forme 100 000 ingénieurs informaticiens par an, le Maroc trouvera son profit à travers des projets de partenariat pour le hardware et le software, en pensant fortement au programme biannuel d’un milliard de dirhams destiné à équiper les écoles, lycées et autres universités, ainsi que les ménages, en ordinateurs aussi bon marché que performants, en cette ère d’Internet et d’ADSL triomphants.
La visite dans la capitale indienne aura également servi à marquer la volonté du gouvernement marocain de jeter les bases d’un partenariat privilégié dans le montage de motocyclettes (en profitant de l’expertise de la SIMEF), afin de réaliser avec des investisseurs indiens la même opération structurante que celle réussie avec Renault et la Somaca. De même, afin de concrétiser avec plus de force encore l’ambitieux plan d’équipement et de relance du monde rural, trop peu médiatisé par M. Laenser, qui dispose d’une enveloppe de quatre milliards de dirhams sur trois ans, M. Jettou espère fortement que des opérateurs nationaux s’intéresseront à la machinerie agricole produite en Inde, laquelle présente un rapport qualité/prix incomparable. Il voudrait, en retour, accéder à la requête de ses interlocuteurs indiens qui ont été fortement impressionnés et intéressés par la réussite indéniable du plan d’électrification rurale, un modèle qui fait désormais école dans les séminaires et les conférences de la Banque Mondiale et du FMI.

Dynamisme et volontarisme

Expliquant la raison de la présence parmi la délégation ministérielle de M. Hjira, le Premier ministre expliquera que l’Inde, qui vit de graves problèmes d’exode rural, d’habitat insalubre et de prolifération des bidonvilles à l’orée des grandes agglomérations, a développé un modèle d’habitations à petits coûts en mariant cette nécessité avec des formules de micro crédit logement et de micro financement, rappelant qu’Al Amana, chère à son cœur, avait déjà lancé un programme de trois cents habitations proches de ces techniques destinées aux plus démunis.
De plus, dans la perspective de l’entrée en vigueur de l’Assurance Maladie Obligatoire, M. Driss Jettou a annoncé le lancement d’actions de rapprochement entre l’industrie pharmaceutique marocaine et celle de l’Inde, spécialiste des médicaments génériques à des prix défiant toute concurrence.
C’est également dans le secteur du pneumatiques que les opérateurs indiens pourraient évoluer au Maroc, profitant à la fois de la puissance de Continental dans le sous-continent et de l’existant à Casablanca où se délite chaque jour un peu plus l’usine de General Tire, fermée depuis plusieurs années pour cause de faillite. Et M. Jettou d’exprimer, in fine, sa conviction, confortée par un optimisme très communicatif parce que convaincant et marqué au sceau du patriotisme que “ l’Inde avait beaucoup à nous apprendre du fait de sa taille, de son poids économique et d’un tissu entreprenarial animé notamment par de grands groupes parfaitement capables de tenir la dragée haute à leurs homologues occidentaux ”.
Ce discours du Premier ministre, marqué au sceau du volontarisme et du dynamisme, pétri de réalisme et de sagesse, aura donc parfaitement cadré avec l’esprit et les objectifs d’une visite incontestablement réussie et qui, pour induire tous les effets positifs qu’en espèrent les pouvoirs publics, aura besoin de quelques conditions bien précises, telles la mobilisation et l’intérêt des opérateurs nationaux, tous secteurs confondus, la souplesse et la réactivité de l’Administration, le sens du détail dans le montage des opérations de partenariat, mais aussi la volonté d’accorder à nos futurs partenaires indiens des incitations et des conditions à nulles autres pareilles.

Fahd YATA - La Nouvelle Tribune

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Sujets associés : Coopération - Driss Jettou - Inde

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