Najat Belkacem et Rachida Dati en quête de visibilité

13 mars 2007 - 00h00 - France - Ecrit par : L.A

Deux femmes d’origine maghrébine sont devenues porte-parole de Royal et Sarkozy. Duel en cinq manches.

Comment elles sont arrivées là

Najat Belkacem

« Il n’y a aucun phénomène de copiage. Najat a toutes les qualités pour être porte-parole. Et elle, elle est élue », dit le premier secrétaire du PS, François Hollande. Un peu défensif, non ? Najat Belkacem a été nommée troisième porte-parole (1) le 22 février. Son protecteur Gérard Collomb a parlé d’elle à Ségolène Royal et les deux femmes se sont rencontrées plusieurs fois cet automne. Le 15 janvier, le maire de Lyon confie que sa conseillère pourrait devenir porte-parole de la candidate. La veille, Rachida Dati a été désignée lors du congrès extraordinaire de l’UMP... Royal consulte au moins deux autres élus rhônalpins au sujet de la jeune femme, mais ne donne plus de nouvelles durant un mois et demi. Résultat : l’impulsion était là, mais les socialistes se sont fait doubler sur la fermeté de l’intention et le timing. Cela dit : elle est élue régionale.
(1) Déjà dans le rôle, la paire Arnaud Montebourg- Vincent Peillon.

Rachida Dati

C’est simple comme un petit mot. Quand Nicolas Sarkozy a été nommé place Beauvau en 2002, Rachida Dati lui a écrit son envie de travailler avec lui. En guise de réponse : un rendez-vous avec le ministre trois semaines plus tard. Elle est engagée sur le champ. De là à passer de l’ombre du cabinet à la pleine lumière de la campagne présidentielle, c’est une idée qui a germé dans la tête de... Cécilia Sarkozy. L’épouse trouve la conseillère brillante. Voilà donc Rachida Dati, 41 ans, porte-parole à parité avec Xavier Bertrand, le ministre de la Santé. Pour préparer son nouveau rôle, elle a fait des séances de training avec Jean-Claude Narcy, un ex de TF1. « C’était difficile, raconte un témoin, mais dès qu’elle a dû y aller, elle a trouvé son style très spontané. » Et de conclure : « Elle a la rage. »

Beurette, et alors ?

Najat Belkacem

Son mentor Gérard Collomb dit qu’ « elle a une vraie capacité à représenter l’autre face des jeunes issus de l’immigration ». Pour le PS, elle est Najat Belkacem. Sur son site, elle rectifie de son nom marital, Najat Vallaud-Belkacem. « Ségolène Royal ne fait pas de moi la représentante d’une communauté particulière, et je ne veux pas l’être, dit-elle. Je fais remonter des notes de ressenti, je suis censée intervenir sur tous types de sujets. » En attendant ses propos, sa simple présence décline trois messages. D’origine marocaine, elle parle à la France métissée que Ségolène Royal entend célébrer. Elle est jeune et jolie, ce qui est toujours ça d’envoyé dans le cimetière des éléphants de la politique. Et elle parle « femme ». Ses premières déclarations en attestent : « Mon seul plan de carrière est de réussir ma vie privée. » Il y a un an et demi, elle a épousé un ancien camarade de Sciences-Po, actuellement fonctionnaire dans les Landes.

Rachida Dati

Rachida Dati ne veut pas être une porte-parole préposée aux minorités et aux banlieues. Aux côtés de Xavier Bertrand, elle forme un tandem complémentaire : homme-femme, cacique UMP-bébé Sarko... et bourgeois blanc-fille d’immigrés parvenue. Rachida Dati parle de tout et partout : chez Chabot, chez Moati, etc. comme une grande. Père ouvrier marocain et mère algérienne, Dati se définit par sa réussite plus que par ses origines, quoiqu’elle serve aujourd’hui de missi dominici auprès du roi du Maroc. Lorsque des ministres lui demandent des CV de « gens comme elle », elle ironise : « Magistrate comme moi ? » N’empêche que Sarkozy n’hésite pas à la brandir en exemple. A Perpignan, il déclare devant des jeunes de banlieue : « C’était une décision lourde de sens que de choisir une femme qui n’avait pas d’expérience et dont le prénom est Rachida. Cela veut dire à la France que la France est diverse et qu’il ne faut pas avoir peur de cette diversité. »
Le témoin

A propos de Najat Belkacem, Marc Lambron, lyonnais, auteur d’un essai critique sur Ségolène Royal, Mignonne, allons voir si la rose...
« C’est une méritocrate, républicainement lestée, animée de l’envie d’être en pointe. Je la vois plus éruptive, plus jubilatoire ­ tout lui est bonheur ­, quand je vois Dati plus pro, plus tacticienne. Najat n’est pas une Lyonnaise, c’est une collombiste, une élève du patron. Dans sa façon de faire de la politique, elle est assez typique de la pratique Collomb, un maire de centre gauche qui essaie de séduire le centre droit. Elle m’a proposé, il n’y a pas longtemps, de venir faire les marchés dans le IVe arrondissement de Lyon... C’était assez gentiment essayé. Ce qui me frappe, c’est qu’elle a du cran et de la relance. A Lyon, les gens de droite la prennent au sérieux et la redoutent. (Elle est candidate dans la 4e circonscription de Lyon, celle de Perben). Elle ferait bien de se méfier du cadeau empoisonné que lui fait son parti comme représentante des minorités visibles, alors que ce qui est visible, c’est son caractère effronté, pas amidonné par les lourds apanages du politicien classique. »

A propos de Rachida Dati, Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand et ami de Nicolas Sarkozy
« Nous avons travaillé ensemble pendant un an, de fin 1992 à fin 1993. C’est elle qui est venue me voir, je ne sais plus de la part de qui, en disant : "Je veux travailler avec vous." Elle a été ma collaboratrice directe. C’est quelqu’un de très brillant, très actif et efficace. Elle est devenue une amie et le reste. La preuve : elle siège au conseil d’administration de mon ONG, PlaNet Finance. Nous n’avons jamais parlé politique à l’époque, mais c’est très bien qu’il y ait à droite des gens de cette qualité. Elle est volontariste et, en même temps, elle n’a jamais oublié d’où elle venait. »

Atouts et faiblesses

Najat Belkacem

Fraîcheur. Najat Belkacem, 29 ans, est entrée dans la famille PS en 2003. « J’ai pris ma carte après le 21 avril 2002. »

Sens des opportunités. L’enfance se passe en Picardie, famille modeste. Bonne élève, elle rejoint Sciences-Po Paris, devient attachée parlementaire d’une députée socialiste, compagne de l’un de ses enseignants. « Je sais saisir les occasions qui se présentent », dit-elle sobrement, décomplexée sur « l’opportunisme, au sens positif du terme ». Elle rejoint ensuite le cabinet d’avocats de son maître de stage. Caroline, l’épouse du maire de Lyon, connue à Sciences-Po, la présente alors à Gérard Collomb et, en janvier 2003, Najat Belkacem devient sa conseillère, chargée de la démocratie participative, puis de l’égalité des chances. « Intelligente et bosseuse », dit son protecteur.

En cours de formation. « En dix jours, je suis déjà passée dans pas mal de médias. Pour l’instant, ils ne m’envoient pas sur TF1, dit-elle. Il faut me laisser faire mes preuves. »

Rachida Dati

CV impeccable. Magistrate, détachée depuis 2002 auprès de Nicolas Sarkozy, Rachida Dati a une maîtrise d’économie (gestion), une autre de droit, et elle est diplômée de l’Institut supérieur des affaires (1993) ainsi que de l’Ecole nationale de la magistrature (1997). Pendant ses études, elle a exercé toutes sortes de petits boulots : vendeuse au Prisunic, aide-soignante, etc.

Un culot d’enfer. Les diplômes, une volonté de fer, tout cela n’aurait pas suffi sans un culot monstre. Pour décrocher un stage chez Elf, elle s’invite à une réception de l’ambassade d’Algérie afin de rencontrer Albin Chalandon. Kouchner, Veil, Attali, etc. : elle pense que, pour faire carrière, il faut faire le siège des puissants. Et développer son réseau (Institut Montaigne, Club du XXIe siècle...). Auprès de Sarkozy, elle s’est imposée sur les questions de délinquance, rédigeant la plupart des textes de loi présentés par le ministre de l’Intérieur.

Novice en politique. Compétente, drôle mais aussi facilement cassante, Rachida Dati tire sa légitimité du chef, pas du parti. Même si ce poste de porte-parole l’a sortie de l’ombre, elle n’a pas encore son propre réseau à l’UMP. Indispensable pour devenir un jour ministrable.

Vue de banlieue

Najat Belkacem

L’Association nationale des élus de banlieue, proche de la droite (elle avait fait largement circuler les mails consacrés au patrimoine du couple Royal-Hollande), a dénoncé cette porte-parole « qui ne représente pas la banlieue ». Pourtant, Najat Belkacem a le profil. Arrivée en France à 4 ans, avec sa mère et sa soeur aînée, elle rejoint son père, coffreur dans le bâtiment. Elle est passée du Rif, région pauvre du nord marocain, à « un quartier qui serait aujourd’hui en politique de la ville », à Amiens. A 16 ans, elle a fait une demande de nationalité : « Je l’ai vécue comme une formalité administrative, je me sentais française depuis longtemps. » De toute façon, tranche Najat Belkacem, « je n’ai jamais prétendu représenter la banlieue. Je trouve terrible que ce soit quelqu’un issu de l’immigration qui m’enferme là-dedans. »

Rachida Dati

Depuis les émeutes de l’automne 2005, Rachida Dati est chargée de redorer l’image de Nicolas Sarkozy en banlieue. Mission impossible ? C’est elle qui a complètement supervisé le montage de l’association Bleu Blanc Rouge à Argenteuil, entièrement acquise au candidat UMP. Elle, encore, qui a organisé la journée « portes ouvertes » aux banlieues, place Beauvau, le 13 décembre, avec un succès mitigé. Elle, enfin, qui active en ce moment tous ses contacts pour organiser les déplacements en banlieue de Nicolas Sarkozy, en particulier à Argenteuil où le ministre de l’Intérieur avait promis de revenir après avoir lâché le fameux « racaille ». La banlieue, elle y a certes grandi ­ dans une cité de Chalon-sur-Saône ­ mais, à force d’en avoir voulu partir, elle n’est plus vraiment en phase avec ce qui s’y passe.

Libération.fr - Cristophe Ayad, Olivier Bertrand, Marie Guichoux

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