Zacarias Moussaoui : Un innocent vers la chaise électrique

17 janvier 2005 - 19h37 - Maroc - Ecrit par :

Les récents témoignages de l’ex-compagnon de cellule de Zacarias Moussaoui, le Français d’origine marocaine, principal accusé dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, relancent les débats sur le dossier du Franco-marocain. Jean Toni Oulaï, l’Ivoirien qui a été détenu dans 14 prisons américaines différentes pendant un an, lance un pavé dans la mare après sa libération. Libéré, innocenté, sans aucun lien avec Al Qaïda, il écrit un livre sur l’injustice américaine et apporte des éclairages sur le cas Moussaoui.

Le livre de Jean Toni Oulaï relance le débat sur le litigieux dossier Zacarias Moussaoui. L’Ivoirien rescapé qui se dit aussi un "miraculé" n’a pas oublié les 12 mois de détention aux USA. Ni la torture, ni l’injustice, ni l’humiliation. Dans un livre choc qui a pour thèmes principaux : "Un innocent vers la chaise électrique : Zacarias Moussaoui " et " George Bush : torture des islamistes, disparition des Arabes ou lutte contre le terrorisme ", il relate dans le détail les mois partagés avec Moussaoui et affirme l’innocence de son compère qui est aujourd’hui le seul inculpé dans le cadre des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.
Première curiosité quand on se penche sur le dossier Jean Toni Oulaï est de voir qu’il devait répondre des mêmes chefs d’inculpation que Zacarias Moussaoui. Il avait été accusé d’être " le 20ème pirate de l’air américain, Arabe Musulman extrémiste de la Syrie qui est entré aux Etats-Unis à une date inconnue, une place inconnue sans se faire inspecter par un agent de l’immigration américaine ".
L’Ivoirien qui devient Syrien et qui, au même titre que Moussaoui, devient le 20ème pirate de l’air ! Manque de renseignements, cafouillages, précipitation, insouciance ou simple bévue maquillée en 12 mois de prison ? Jean Toni Oulaï aura vécu l’enfer sur terre et décrit dans la foulée, sur des centaines de pages, celui du Franco-marocain Moussaoui.

L’extradition possible rendue impossible

Outre le document lui-même qui livre un témoignage sans prcédent sur les conditions d’incarcérations après le 11 septembre américain, au-delà de toutes les révélations sur la justice américaine et le Patriot Act qui facilite les exactions de la sécurité US, c’est le nombre important de questions que ce texte suscite dans le procès le plus folklorique de l’histoire des USA qui retient notre attention. Plusieurs questions refont surface : pourquoi deux des futurs terroristes ont-ils pu vivre pendant deux ans sur le sol américain sans attirer l’attention, alors qu’ils avaient été repérés, dès janvier 2000 ? Pourquoi le FBI avait négligé les informations britanniques et françaises sur le cas Moussaoui ? Pourquoi le cas Jean Toni Oulaï a été élucidé alors que celui, presque similaire, de Moussaoui ne l’est pas ? Enfin pourquoi les informations dont disposaient les Américains n’ont pas été exploitées et pourquoi restent-elles sous le sceau du secret ?
Me Patrick Baudouin, l’avocat de la mère de Zacarias, a écrit à Jacques Chirac et à Dominique Perben estimant qu’en l’état actuel du dossier Moussaoui "le gouvernement français peut demander l’extradition de Moussaoui après, si nécessaire, une mise en examen. Un citoyen français, écrit-il, ne peut être jugé aux Etats-Unis alors qu’aucun crime n’est prouvé sur le sol américain". Pourtant Zacarias reste intransférable en dehors de ses prisons américaines.
Une entorse aux lois qui s’ajoute à tant d’autres comme celle des procureurs américains qui avaient menti. On s’en souvient, la juge fédérale, Leonie Brinkema, chargée du procès Zacarias Moussaoui, avait blâmé les procureurs américains pour avoir donné au prévenu une cassette vidéo vierge, après qu’il ait demandé une copie de l’interview télévisée d’un des personnages impliqués dans les attentats du 11 septembre. Moussaoui avait demandé une cassette vidéo d’un entretien télévisé de Ramzi Binalshibh, interviewé avant son arrestation, en juin au Pakistan par une journaliste d’Al-Jazeera.
La juge Leonie Brinkema avait précisé que la décision du gouvernement de donner une cassette vierge à Moussaoui était "une erreur inexcusable qui doit être immédiatement corrigée". Zacarias Moussaoui s’était plaint à ce sujet dans un document juridique sous scellé remis à la cour. Pourquoi un tel jeu de miroirs aussi futile que téléscopé ? Simple : première hypothèse : la justice décide qu’un Moussaoui a le droit de faire appel aux témoignages de terroristes emprisonnés, le procès peut prendre des tournures inattendues et les procureurs peuvent y perdre le nord. "Si la décision de la juge Brinkema est confirmée, cela veut dire que toutes les personnes jugées par un tribunal fédéral pour une affaire de terrorisme feront exactement ce qu’a fait Moussaoui", affirme John Yoo, professeur de droit à l’université de Californie. Hypothèse numéro 2 : le gouvernement américain choisirait un procès militaire en lieu et place d’un procès civil. Un énorme risque puisque l’accusé ne peut choisir son avocat. Sans oublier ce que les juristes appellent le profit du doute qui dans un tribunal peut profiter à l’accusé, ce qui ne sera pas le cas dans un procès militaire.
Un procès militaire est de facto équivalent de chaise électrique. Le gouvernement ne pourra pousser le vice à un tel degré d’absurdité. Donc une option exclue. Dernière hypothèse : un appel auprès de la Cour suprême. Là nous sommes devant deux cas de figure : d’un côté, la cour d’appel invalide la décision du juge, ce qui signifie que celle-ci sera obligée de prendre la décision de rendre une fin de non-recevoir, ce qui accouchera de l’appel que cherchent les procureurs. Cul de sac pour la justice et pour l’injustice qui de toutes les façons profitera à Moussaoui.

" L’esclave d’Allah " se défend seul...

Quand Zacarias rejette ses avocats pour se défendre seul, cette décision aussi inédite qu’inattendue avait choqué les Américains. Un "Marocain qui parle à peine leur langue" campe sur ses crampons et ne lâche pas prise : une folie. "Un accusé, dans un tel procès, doit être fou pour vouloir se représenter lui-même", lisait-on dans un éditorial du "Washington Post".
Mais Zacarias semblait sûr de ses manœuvres. Pour lui, son dossier "ne tient pas debout, et il n’y a aucune preuve tangible, pas même le début d’une preuve". Avec ce point important que le sixième amendement de la Constitution des Etats-Unis stipule : “dans toute poursuite criminelle, l’accusé aura le droit ...d’exiger par des moyens légaux la comparution de témoins à décharge”.
Mais le cours de l’histoire ira dans tous les sens. On s’en rappelle, en janvier 2003, la juge Leonie Brinkema du tribunal d’Alexandria en Virginie surprend tout le monde. Elle autorise Moussaoui à interroger, via une connexion satellite sécurisée, Ramzi ibn al-Shibh, une des têtes présumées du 11 septembre 2001. Elle donne un avis favorable pour une déposition de Khalid Sheikh Mohammed, le numéro trois d’Al-Qaida, connu sous les initiales de KSM, capturé au Pakistan, et de Mustafa Ahmed al-Hawsawi, qui aurait participé au financement de l’opération. Le gouvernement américain rejette le tout en bloc. Pourquoi ? La raison brandie comme le sceau de la vérité est la “Sécurité nationale’.
Devant le rejet, le bras de fer se durcit entre la défense, la juge et le gouvernement. Le 2 octobre, coup de théâtre, Leonie Brinkema interdit au gouvernement : 1) de requérir la peine de mort contre Moussaoui et : 2) de présenter au procès “tout élément à charge ou argument relatif au 11septembre”. L’interdiction de la peine de mort, avait-t-elle précisé, est justifiée par l’impossibilité pour Moussaoui d’interroger les membres d’Al-Qaida. Quant à la décision d’exclure le 11 septembre du procès, elle est “une sanction additionnelle” contre le gouvernement, justifiée par le fait que Moussaoui ne pourrait pas se défendre de façon adéquate.
Dernier fait en date : mardi 11 janvier courant, les tribunaux américains viennent de rejeter les requêtes de la défense de Moussaoui qui insiste sur le fait d’avoir accès aux interrogatoires de trois accusés qui peuvent innocenter le prévenu. Les avocats ont décidé de faire appel cette semaine pour rejeter en bloc les décisions de la Cour qui semble ignorer que les témoignages de Ramzi Bin al-Shibh, d’Al Hawsawi et de Khalid Sheikh Mohamed sont l’assise même de ce procès devenu désormais une mascarade qui fait couler beaucoup d’encre Outre-Atlantique. Les jours prochains promettent d’autres rebondissements sur lesquels nous reviendrons en détail.

ABDELHAK NAJIB - La Gazette du Maroc

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