Renseignement : L’Espagne met le paquet sur le Maroc

11 décembre 2006 - 23h45 - Espagne - Ecrit par : L.A

Le Maroc constitue aujourd’hui la première “cible” des services de renseignement espagnols. Premières préoccupations : le risque terroriste et la montée de l’islamisme radical.

C’est le quotidien ibérique El Correo qui a vendu la mèche, dans son édition dominicale : les services de renseignements espagnols viennent de renforcer leurs effectifs d’agents au Maroc, ainsi que dans quelques pays musulmans triés sur le volet. Le journal ajoute, citant le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba, que le renforcement en question n’est pas tout à fait nouveau, puisqu’il remonte à mai 2005, déjà. Cela confirme, au moins, que le royaume figure en bonne place sur l’agenda des services secrets espagnols. Pourquoi le Maroc intéresse-t-il autant les espions ibériques ?

Unis contre le terrorisme

Drogue, présides occupés, Sahara, immigration clandestine… les dossiers chauds ne manquent pas dans le quotidien des agents secrets espagnols en mission au Maroc. Sur l’agenda du Centro nacional de inteligencia (Centre national d’intelligence, CNI), le royaume a officiellement la cote. “Pour Madrid, le Maroc est l’objectif numéro un en matière de renseignement. Ses services s’intéressent, par ordre d’importance, à la montée de l’islamisme en Espagne, l’émigration clandestine, Sebta et Melilia, le trafic de haschich et le dossier de la pêche”, précise un connaisseur des arcanes des services espagnols, qui ajoute que “les principales unités de contre-espionnage ont été d’ailleurs formées pour travailler spécialement sur le Maroc”.

Pour Abdelawahed Akmir, le directeur du Centre des Etudes Al Andalous du Dialogue des Civilisations, connaisseur des relations entre les deux pays, “qu’ils le veuillent ou non, le Maroc et l’Espagne sont prisonniers de leur géographie. La plupart des gros dossiers de l’actualité sont communs aux deux pays, notamment en ce qui concerne l’immigration et le terrorisme. Surtout depuis que l’enquête post-11 mars a conclu à la participation de Marocains aux attentats”.

Par ordre de priorité, le premier sujet de préoccupation des services espagnols concerne l’implantation des salafistes maghrébins dans la péninsule ibérique. La flambée du fondamentalisme dans la communauté musulmane en Espagne donne en effet des cheveux blancs aux policiers du gouvernement de Zapatero. Et depuis les attentats de Madrid, les services surveillent de très près les mosquées tenues par des organisations suspectes, où est véhiculé un discours intégriste. “Il semble que les Marocains se taillent la part du lion dans cette nébuleuse. Les agents du CNI, qui suivent l’enquête du post-11 mars, se sont d’ailleurs rendus à plusieurs reprises à Tétouan pour remonter la filière des Marocains qui se sont trouvés mêlés aux attentats”, rappelle le correspondant d’un hebdomadaire espagnol. Depuis quelques mois, des agents de renseignement espagnols, aiguillés par leurs homologues marocains, sillonnent les quartiers populaires de Tétouan. Objectif : remonter la filière marocaine qui fournit une grande partie des “moudjahiddine” pour l’Irak. Citant un responsable espagnol de la lutte antiterroriste, le journal El Pais avait indiqué, dans une récente édition, que “plus de 500 attaques-suicides ont été enregistrées en Irak depuis le début de la guerre. 90% de leurs auteurs étaient des étrangers, en majorité des Marocains”. C’est le cas de Mohamed Afalah, qui fut également impliqué dans les attentats de Madrid. Il avait réussi à fuir, gagnant l’Irak via la Belgique puis la Syrie, avant de se faire exploser à Bagdad en 2005.

Et comme si les “jihadistes” ne suffisaient pas, l’offensive des islamistes d’Al Adl wal Ihsane en Andalousie vient encore s’ajouter au menu du CNI. Le déplacement récent de Mohamed Abbadi, le numéro deux de la Jamâa de Yassine, avait justement fait l’objet d’une large couverture médiatique espagnole (Voir encadré).

Haschich connection

Le deuxième grand dossier de travail des services ibériques est bien évidemment le trafic de drogue. Les agents du CNI s’intéressent particulièrement aux connexions potentielles entre le trafic de haschich et le financement du terrorisme. Suscitée par les attentats de Madrid, cette passion subite est liée à la quasi-certitude que les jihadistes sont en collusion avec des trafiquants de drogue. C’est ce qui ressort clairement des conclusions du rapport d’enquête sur les attentats de Madrid : l’argent du trafic de drogue a non seulement renforcé la capacité de nuisance des organisations terroristes, mais il est établi, aujourd’hui, que les islamistes radicaux ne se privent pas de puiser dans la caisse du narco-trafic pour financer leurs actions en Europe.

Dans son édition du 4 avril 2006, le quotidien La Razón faisait état des préoccupations du CNI, qui “craint un processus de déstabilisation à la colombienne dans le nord du Maroc, en raison de l’alliance des jihadistes avec les barons de la drogue. Une alliance révélée après le démantèlement de cellules terroristes opérant dans les zones du nord”.

Sur des dossiers aussi chauds que la drogue ou l’immigration clandestine, les services ibériques n’hésitent pas à solliciter leurs confrères marocains. Une coopération notoire, que le ministre espagnol de la Défense lui-même avait, le 21 novembre, qualifiée d’excellente. José Antonio Alonso, qui s’adressait aux journalistes espagnols, a aussi révélé que la Direction générale des études et de la documentation (DGED, renseignements extérieurs marocains) et le CNI espagnol avaient créé une cellule permanente d’échange d’informations en temps réel. Une cellule qui a permis, entre le 15 mai et le 16 novembre 2006, soit en l’espace de six mois à peine, de faire échouer 148 opérations d’immigration clandestine. Le responsable espagnol a également évoqué l’échange d’officiers de liaison entre les deux pays. L’île de Fuerteventura, dans l’archipel des Canaries, devrait bientôt accueillir des officiers de liaison marocains et mauritaniens, alors que d’autres agents marocains seront affectés à Almeria.

Le bal des barbouzes

Voilà pour le côté cour. Côté jardin, il est de notoriété que les agents des deux pays se détestent cordialement. Résultat : le travail de concert n’est pas toujours facile. “L’activisme des services espagnols au Maroc est un secret de polichinelle. C’est acceptable, tant qu’ils restent dans les limites du renseignement classique. Mais ils vont trop loin : ils n’hésitent pas à recruter dans les milieux d’affaires, au sein de la société civile ou encore parmi les couples mixtes”, critique une source proche des renseignements marocains. Coups bas, opérations clandestines, intox… les relations entre les services secrets des deux pays sont marquées par des crises cycliques. Ainsi, durant l’automne 2004, le CNI aurait fourni l’essentiel des informations contenues dans l’ouvrage intitulé “11Mars, la vengeance”, de Casimiro Garcia-Abadillo. Le brûlot du directeur-adjoint du quotidien El Mundo accusait, ni plus ni moins, les services secrets marocains d’avoir téléguidé les terroristes du GICM pour commettre les attentats du 11 mars !

Dans ce bal des barbouzes, les Marocains ne sont pas en reste. À Rabat, les accusations de “tentatives de déstabilisation du trône alaouite” sont régulièrement exprimées. On reproche notamment aux agents ibériques de distiller des informations intimes sur la famille royale dans les magazines people espagnols, de protéger certains gros bonnets de la drogue du Rif, voire de faire montre d’un interventionnisme flagrant dans le nord du pays.

Réponse du berger à la bergère, le CNI voit également d’un œil suspect l’existence d’une antenne de la DST, les services de renseignements intérieurs, au sein de l’ambassade marocaine à Madrid. Ainsi, en septembre 2005, la commission d’enquête sur les attentats du 11 mars avait même exigé un rapport détaillé sur l’activité des services secrets marocains sur le sol espagnol.

Toujours est-il que la sensibilité des dossiers communs, du Sahara à l’immigration clandestine, en passant par le trafic de drogue et le terrorisme, impose aux deux parties une collaboration étroite, qui a encore de beaux jours devant elle.

TelQuel

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