Chaïbia Tallal, l’oeuvre et son ombre, bientôt en France

13 janvier 2004 - 14h53 - France - Ecrit par :

Chaïbia continue son bonhomme de chemin. Loin des querelles entre les artistes marocains. Loin des intrigues pour les présidences d’associations. Loin de la culture ambiante. Ses œuvres n’ont pas besoin d’une personne physique pour inviter à l’adhésion. Et encore moins de cette conversation spontanée qui fait le charme de leur auteur.

Elles s’exposent dans des manifestations internationales, sans étiquettes. Elles tiennent sans le cortège folklorique qu’on prête - avec condescendance - à l’artiste. À preuve, ceux qui appréhendent avec un brin de sarcasme au coin des lèvres l’art de Chaïbia seraient surpris des noms au milieu desquels elle s’expose. Oui, Chaïbia participe à deux expositions. La première est intitulée “Variations en ou sur papier de 70 artistes des années 50 à nos jours“. Elle se termine le 18 janvier à Vichy (France). Chaïbia est l’unique artiste marocain présent à cette manifestation. Et elle a pour cortège Pablo Picasso, Pierre Alechinsky, Ben, Jean Hélion, Hans Arp, le douanier Rousseau et Claude Villat. Qui pourrait garder un sourire moqueur après l’énumération de ces artistes ! Mieux. Chaïbia a été la vedette d’une rencontre connue de nombreux amateurs d’œuvres plastiques.

Elle a été l’artiste le plus visible de “Désirs bruts“, 6e forum des arts plastiques en Ile-de-France qui s’est tenu du 7 au 29 novembre. Son œuvre “Le cycliste“ a servi de couverture au numéro hors série de la revue “Connaissance des arts“. Ce même tableau orne la page d’accueil du site de la manifestation (http://www.forumidf.com/). Voilà pour l’accueil fait aux tableaux de Chaïbia en dehors des frontières du Maroc. Quant à la personne, née en 1929, il est vrai que son histoire peut être indéfiniment répétée sans lasser. Un soir, elle a entendu une voix lui enjoignant de prendre des pinceaux pour peindre. À son réveil, Chaïbia a obtempéré en peignant une œuvre qui a étonné à la fois par sa vitalité et son équilibre le critique Pierre Gaudibert et les peintres Ahmed Cherkaoui et André Elbaz. Ceux qui croient aux artistes possédés par des forces occultes s’émerveillent de cette histoire.

Ceux qui n’adhèrent pas aux forces médiumniques y voient les traces d’une naïveté. Dans sa conversation, Chaïbia évoque sa vie paysanne à Chtouka près de Moulay Bouchaïb, son mariage à 13 ans, son veuvage à 15 ans et l’unique enfant qu’elle a eu : Houssein, également peintre. Il est vrai que la conversation de Chaïbia, truffée d’anecdotes, ne permet pas de se faire une idée juste de son travail. Il est vrai aussi que cette conversation distraie de l’œuvre. Le personnage de Chaïbia fait de l’ombre à l’œuvre. Il s’interpose comme un écran qui empêche le regard du spectateur de se perdre dans les immenses étendues du travail. Il faut déchirer cet écran pour regarder l’œuvre ! Une œuvre qui étonne d’abord par sa fraîcheur. La ligne est marquée comme par un épais stylo de feutre. Elle creuse des sillons si profonds que l’image en acquièrt des reliefs à certains endroits. Qu’on regarde de biais un tableau de Chaïbia : sa surface donne l’impression de ne pas être parfaitement plane. Certaines lignes bondissent littéralement de l’œuvre.

Elles tracent le monde de Chaïbia avec une fraîcheur très colorée. Avec des couleurs vives, Chaïbia fait et défait le monde. Si l’on cherche absolument à coiffer son art d’une étiquette, il est à la fois naïf et expressionniste, sans vraiment s’apparenter ni à l’une ou l’autre forme d’expression. Alors que les artistes, dits naïfs, aiment représenter de multiples détails de leur décor quotidien, Chaïbia accentue généralement son traitement sur un seul personnage, un seul motif. Par ce traitement qui imprime l’âme profonde des personnages sur leurs visages, Chaïbia a saisi le faire des expressionnistes. Mais il serait naïf toutefois de dire qu’il existe seulement de l’art naïf et de l’expressionnisme dans Chaïbia.

Les très fougueux membres du groupe Cobra, fort de peintres comme Alechinsky et Asger Jorn, l’ont reconnue comme l’une des leurs. Mais pour voir toutes les merveilles qui enchantent dans la peinture de Chaïbia, il faut faire une table rase du fatras folklorique qu’on sert comme un couscous convenu avec ses tableaux.

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