Quelque 1,3 million de touristes ont visité le Maroc en avril 2024, ce qui représente une hausse record de 17 % par rapport à la même période de 2023.
Au fin fond de Arset-Ihiri, dans les profondeurs dédalesques de la médina, Catherine et Joël ont posé leurs frêles silhouettes au sein d’une vieille maison qu’ils restaurent patiemment depuis deux ans. Elle était assistante de direction, il était comptable. « Nous ne sommes pas intéressés par l’affairisme qui semble animer certains Européens, même si nous sommes jeunes et ne manquons guère d’ambition. Mon mari a saisi la chance de pouvoir travailler pour des clients parisiens par le biais d’Internet, sans bouger de Marrakech ».
Pedro présente un profil totalement différent de notre jeune couple. Il a « roulé sa bosse » un peu partout dans le monde. « Marrakech sera sûrement mon point de chute final », me dit-il. Belge de nationalité, il a vécu en Asie, en Europe, aux Amériques et en Afrique. La nuit, il gère le bar d’un hôtel ; il tente de lancer une pizzeria le jour. « Je suis fatigué et j’ai envie de me poser définitivement ici », assure-t-il en me montrant deux boîtes de médicaments : un anxiolytique et un tonifiant cardiaque.
Patrice est un agent immobilier. Originaire des DOM TOM, il mène une existence dynamique entre Paris où il garde une activité immobilière substantielle et Marrakech où il a pris femme au sein d’une famille prestigieuse de la ville. Ici aussi, il fructifie son savoir-faire et son réseau relationnel au sein d’une agence immobilière flambant neuf.
Les autochtones sont les premiers étonnés par cette « marrakechophilie » aux visages multiples. « ça va tellement vite que nous ne savons plus si cela représente une bénédiction ou une malédiction », me dit le chauffeur de taxi. Certes, les derniers scandales de pédophilie et de pornographie alimentent les phobies de la vox populi, mais l’âme marrakchie semble résister à la tentation exclusionniste.
En réalité, Marrakech a été conçue dès le départ comme une cité ouverte, accueillante et tolérante. Les Almoravides en ont décidé ainsi. Ils ont inventé un espace transculturel où Sahariens, Subsahariens, Berbères et Andalous ont pu élaborer un modèle de coexistence qui force l’admiration de tous ceux qui ont choisi de visiter la ville ou y résider. D’ailleurs, depuis plus d’un siècle et demi, la structuration socio-urbaine de Marrakech a été établie sur la base d’un profond respect entre les trois religions monothéistes : les Musulmans dans leur médina, les Hébreux au sein de leur mellah et les Européens dans le quartier moderne qui portera plus tard le nom de M. Guéliz.
La ruée vers Marrakech a-t-elle une explication rationnelle ? La majorité de nos interlocuteurs européens évoquent le charme, la gentillesse de l’habitant, la qualité des produits alimentaires, etc. Mais au-delà de ces éléments affectifs, il existe des raisons objectives à cette ruée. A la tête de ces dernières, citons une attractivité économique qui tient de la remise à niveau globale décidée au lendemain de la crise des années 90 et menée d’une manière partenariale par les différents acteurs de la ville (élus, autorités, associations professionnelles, etc.) Ce sursaut fut salvateur et la population semble s’en réjouir. Ici, le taux de chômage (8,4%) est de 3 points inférieur à la moyenne nationale (11,6%). Aujourd’hui, la ville ocre s’est transformée en véritable moteur économique pour l’ensemble de la région Marrakech-Tensift-Al Haouz. « Si ça continue comme ça, bientôt l’ensemble des 216 communes de la région feront le plein de projets touristiques et immobiliers », assène Gérard qui se définit comme un as de l’« ingénierie du rêve ». « Je fais partie des premiers Européens à avoir cru au destin universel de Marrakech. Il y a près de dix ans, quand j’achetais des appartements pour les louer, tout le monde me prenait pour un dingue. Aujourd’hui je laisse ça à d’autres. Je fais maintenant dans le tourisme rural. C’est le prochain jackpot ! », ajouta-t-il avant de conclure : « D’ailleurs, la région ne compte pas plus de 37% de population urbaine alors que la moyenne au Maroc est de 51% ». De l’avis de tous les Européens qui rêvent d’investir dans les zones rurales entourant la cité d’Ibn Tachfine, le principal frein à l’épanouissement touristique de ces zones demeure la complexité et l’opacité du code foncier et ses multiples statuts anachroniques : les terres Jomouâ, Guich et autres Habous verrouillent le foncier de la région.
« Il m’aura fallu plus de quatre longues années pour que la Direction des Affaires Rurales (DAR) accepte de m’accorder un bail sur le terrain où j’ai investi plus de vingt millions de dirhams », raconte Mary, une Britannique mariée à un Marocain. D’ailleurs, même les deux plus gros projets (russo-américain et français) de la « banlieue » marrakchie ont nécessité des décrets émanant de la Primature afin de libérer les terres collectives qui les accueilleront. Malgré ou précisément à cause de cela, les prix du foncier rural ont augmenté de 40% en quatre ans. La demande ne cesse de gonfler : « Nous arrivons difficilement à satisfaire les demandes sur ce secteur », affirme M. Benvenuti, directeur de l’agence « Jamaa El Fna Immobilier ».
En ville, le promeneur est étonné par le nombre grandissant d’Européens qui sillonnent les artères et les ruelles. Touristes et résidents étrangers concourent à la dimension assurément cosmopolite de Marrakech. Le nombre croissant de galeries de peinture, de restaurants européens et de pianos-bars tenus par ces Européens ne cesse d’augmenter. « Marrakech est en train de gagner son statut de ville universelle, tout comme Venise ou Cannes. Tout dépendra de la façon dont les Marrakchis articuleront tradition et modernité. D’ores et déjà, les Européens jouent le jeu en respectant scrupuleusement le cachet marocain des demeures anciennes et des riads. Le nombre de riads restaurés par les Européens approchera le millier avant la fin de cette année. C’est un acquis non négligeable lorsqu’on connaît à travers le monde l’arrogance du capital spéculatif sévissant dans l’immobilier », me dit Najib Binebine, diplomate à Paris et Marrakchi de souche. Depuis trois ans, l’attractivité de Marrakech a conquis les visiteurs nationaux. Casablancais, R’batis et autres Jdidis ont intégré la ville dans leurs plannings de loisirs. Dès vendredi, ce sont des milliers de nationaux qui investissent appartements, hôtels, maisons d’hôtes et motels de la cité et ses faubourgs.
Si l’on ajoute à ce corpus touristique national le flux des visiteurs anglais (+46% entre 2003 et 2005), fortement dopé par l’Open Sky, l’on comprend la carence de l’offre face à une telle demande. Or, Marrakech ne compte pas plus d’une vingtaine de milliers de lits répertoriés auxquels on peut adjoindre quelques centaines dissimulés dans les appartements et autres maisons loués par l’habitant. « Il y a encore, probablement jusqu’au milieu de la prochaine décennie, des opportunités d’investissement très juteuses. Le gouvernement marocain semble avoir compris le poids des potentialités à explorer et les moyens infrastructurels à aligner pour ce faire. Mon groupe compte amplifier sa lancée dans la promotion immobilière, notamment par le biais de partenariats avec des flux capitalistiques levés auprès des étrangers et des MRE », nous dit Abdelaziz Senhaji, président du groupe « Caprice Palace ». « Vous vous rendez compte que Marrakech a accueilli en 2004 près de 52% de l’ensemble des touristes venus au Maroc ?! Ajoutez à cela le fait que le nombre de compagnies qui couvrent le Maroc et plus particulièrement Marrakech atteindra la vingtaine dans peu de mois sinon quelques semaines.
Cela fait réfléchir et nous n’avons pas attendu longtemps pour lancer notre résidence d’apparts-hôtels », ajouta-t-il. Au consulat général de France, on se réjouit de cette affluence des Hexagonaux tout en soulignant la charge de travail considérable qui s’est abattue sur le personnel depuis trois ans. « Nous nous acquittons malgré tout de notre devoir de servir nos concitoyens malgré le manque de personnel. Néanmoins, nous nous félicitons de la coopération des différentes administrations locales. Cela nous facilite beaucoup la tâche », nous dit un responsable consulaire. La représentation consulaire française n’est pas submergée uniquement par l’assistance relationnelle et économique des expatriés français, elle a de nouveaux soucis avec quelques dizaines d’individus impliqués dans des affaires de mœurs dont la presse s’est fait l’écho. « Nous bénéficions de l’entière collaboration de la police et de la justice marocaines », tient-on à préciser.
Le nombre de Français immatriculés à Marrakech approche les 4000. Mais une source de la Préfecture de police de la ville estime à près du double le nombre réel de Français résidant régulièrement dans cette ville. Explication : « Plus de la moitié de ces Français ne se déclarent ni auprès de leur consulat ni auprès de notre service d’immigration. A cela quelques raisons dont la principale est celle de s’assurer d’abord de sa propre volonté de s’établir ou celle de craindre l’« inquisition fiscale » du pays d’origine ».
Une chose est en tout cas sûre : le volume des investissements étrangers, principalement européens, dans l’immobilier, les loisirs et les services, a atteint des dimensions que ne peuvent même pas quantifier le CRI, les services fiscaux ou toute autre administration publique nationale ou territoriale. Certains parlent de centaines de milliards de centimes, d’autres de quelques dizaines de millions d’euros, tandis que les banques continuent de garder argent et secrets.
Pourvu que ça dure !
3 questions à Alain LASCAR (*)
Q : Le boom immobilier actuel est-il vraiment sain ?
R : Globalement oui, mais il faut l’encadrer pour prévenir les dérives. J’ai remarqué, par exemple, que tout le monde s’est mis à jouer à l’agent immobilier. Il m’est même arrivé de se voir proposer un appartement ... par un cireur ! Ce sont des mœurs qui, si elles s’amplifient davantage, peuvent altérer la confiance des investisseurs. D’ores et déjà, le nombre d’investisseurs leurrés au moyen de prix démesurés ne cesse d’augmenter. Cela dit, je pense que la dynamique actuelle ne s’apparente pas à un nuage d’été. Le Maroc est entré véritablement dans la phase de l’émergence et les pouvoirs publics se sont sérieusement penchés sur la mise à niveau économique, sociale et urbanistique du pays.
Justement, quelles sont, selon vous, les mesures urgentes que les pouvoirs publics peuvent initier pour améliorer davantage les structures d’accueil de l’investissement ?
R : De par ma propre expérience, je dois témoigner du fait que les autorités locales facilitent beaucoup mieux l’implantation des étrangers. L’information est plus fluide et le Centre Régional d’Investissement (CRI) de Marrakech accomplit un travail de qualité au service des investisseurs. Mais, vous devinez aisément qu’il reste beaucoup à faire et que le développement, comme la démocratie, n’est viable que dans la continuité. Je donnerais néanmoins un exemple de ce que l’on peut faire sans débourser un rond : à l’heure où le ciel marocain accueille 17 à 18 compagnies reliant le Royaume à l’Europe, la RAM devrait faire davantage d’efforts pour repenser le nombre et les horaires de ses vols à destination ou en partance de Marrakech. Un second exemple : la pollution s’installe vertigineusement au centre de la ville et la circulation commence à devenir éprouvante pour les piétons et les automobilistes. N’y a-t-il vraiment rien à faire pour endiguer ces deux fléaux ? A part cela, je puis vous dire qu’il fait bon vivre à Marrakech et que, pour rien au monde, je ne remettrais en cause mon établissement définitif au Maroc
Quels sont pour vous les créneaux potentiels qui peuvent assurer la pérennité de l’investissement et augmenter les opportunités d’emploi ?
R : Sans hésitation, l’agroalimentaire et le tourisme rural. Pour le premier secteur, cela est évident pour un pays qui a une vocation foncièrement agricole. Pour le second, il s’agira de développer les séjours en ferme avec promotion des produits régionaux, la découverte des villages du pays profond, la multiplication des gîtes ruraux. Cela peut se faire sur tout le territoire de la région Marrakech-Tensift-Haouz et doit pouvoir englober l’ensemble des communes, la priorité réservée aux plus pauvres. Il y a là un gisement d’emplois considérable.
(*) Alain LASCAR est promoteur constructeur immobilier français établi à Marrakech.
Abdessamad Mouhieddine - La gazette du Maroc