Ils rêvent de se battre pour Saddam

31 mars 2003 - 12h04 - Monde - Ecrit par :

SUREXCITÉ, il a tambouriné à la porte tellement fort que le bruit a résonné dans toute la cage d’escalier. La vieille dame a fini par montrer le bout de son voile dans l’entrebâillement et il lui a presque sauté dessus : « Montre-leur ! Montre-leur que tes fils sont partis ! Montre-leur ! »

Alors, la vieille dame a baissé les yeux en silence, elle a ouvert la porte et s’est effacée en signe d’invitation à entrer. Au fond de l’appartement, c’est la chambre de ses deux fils. Vide. Sur les deux matelas posés au sol on voit, pêle-mêle, des survêtements de marque, des pièces de moteur toutes neuves, des restes de joints, au fond des tasses à café.
Rumeur
Cette chambre vide est sensée être la preuve que les deux gars qui y dorment habituellement sont en Irak, partis « comme des milliers d’autres » se battre contre l’envahisseur américano-britannique. « Je te jure, il en part des milliers. De partout ! D’ici, mais surtout de Malaisie, de Russie, du Maroc... De partout ! » Et Najim, intenable, hurle encore qu’il finira par les rejoindre, lui aussi.
On est à Valenciennes, là, mais des types comme Najim, qui relaient cette folle rumeur d’un afflux massif de forces vives pour résister aux côtés des Irakiens à « l’agression des forces colonialistes », on en trouve partout. De Londres à Roubaix, de Lille Sud à Charleroi. « C’est pas une rumeur », dit Belkacem, à Roubaix. « Il faut le croire. Partout où l’ambassade ou le consulat a laissé une antenne - dans un hôtel, ou même parfois discrètement au fond d’un commerce -, les passeports se délivrent à la pelle. » Ce n’est plus un adolescent, lui. Il a une vraie autorité dans sa zone d’influence et semble avoir passé l’âge de « se la péter », comme disent les jeunes. Mais il n’y a pas moyen d’en avoir le moindre début de preuve. « Je te jure ! L’autre jour, quand on a entendu que les Américains avaient parachuté un millier d’hommes en renfort, ça nous a fait hurler de rire »...
A une terrasse, il appelle un jeune gars qui passe, et lui demande de but en blanc : « Tu pars, toi, en Irak ? »
• « Ouais, mais quand ? Tout de suite ? »
Il voit bien que cela fait sourire ; il se vexe presque : « Beaucoup croient que c’est pour rire. C’est une erreur »... Allez savoir.
Djilal, à Charleroi, en entend de toutes les couleurs, depuis dix jours. Tout cela semble le navrer. « C’est dans leurs gènes, vous ne pouvez rien y faire : il faut toujours qu’ils en fassent des tonnes, qu’ils se jouent des sketches. Je vous jure qu’ils finissent par croire leurs histoires. »
Pour lui, tout ce qu’on dit sur l’argent qui circule, pour payer le voyage, les passeports faits à la va-vite, tout ça, c’est donc des histoires. « Mais attention, ce n’est pas gratuit quand même »...
Dans son bloc où les musulmans sont « entre eux », où ils peuvent « se lâcher », Djilal, comme Belkacem, à Roubaix, comme Najim, à Valenciennes, ne veut pas entendre parler de guerre de libération, en Irak. Il dit que « c’est une croisade ». Et Belkacem explique que « partir, c’est une récompense ». Il prétend que « le Coran dit bien qu’il faut se battre pour la justice. Et là, c’est bien une injustice, non ? »...
Partout, on dit « agression », « impérialisme », « jihad ». Faut-il croire au soulèvement ? Naït Ellouch, un étudiant d’Haubourdin, est un peu d’accord avec Djilal : « Il faut se méfier des fantasmes. Et se dire qu’ils n’ont pas tous les jours de quoi s’enthousiasmer pour une cause. Mais ça, c’est à double tranchant : si vous donnez aux plus radicaux, aux plus désespérés de quoi se fédérer, ils peuvent aller très loin. Et plus la guerre durera, plus le danger sera grand, dans les quartiers musulmans. Déjà maintenant »...
Renversement
de tendance
Maintenant, il faut entendre les copains de Najim, à Valenciennes. « De quel droit viennent-ils chez les Irakiens pour tout casser ? Pour installer leur démocratie ? Mais on n’en veut pas de la démocratie ! Ça n’existe pas, chez nous ! La démocratie, ce n’est pas la liberté, c’est la décadence ! » Belkacem ne dit rien d’autre, à Roubaix. Même qu’il donne un exemple stupéfiant : « Dans les pays occidentaux, où règne la démocratie, trois mariages sur quatre se terminent par des divorces. C’est pas la décadence, ça ?... »
Najim va encore plus loin, dans le sillage des fils de sa voisine, qui ont tous deux fréquenté les mosquées de Bruxelles, ces dernières années : « Ils sont partis en disant que rien ne serait terminé avant que le drapeau vert flotte sur la Maison-Blanche ! » Et eux aussi, ils insistent sur cette incroyable renversement de tendance, à propos de la France : « La France, aujourd’hui, c’est le pays frère. Le pays in-tou-cha-ble. »

La voix du Nord

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