La cote des peintres marocains explose !

13 février 2007 - 00h21 - Culture - Ecrit par : L.A

Avec l’émergence du marché de l’art au Maroc, les prix des toiles ont fait un bond, qu’il s’agisse de bleus ou de maîtres reconnus. Ce qui fait le jeu des collectionneurs fortunés, ravis de monopoliser la création picturale mais échaude les passionnés aux modestes budgets. Pendant ce temps, les peintres étrangers au sérail érigent leur propre loi marchande.

Amesure qu’il prend connaissance des prix « réclamés » par ce jeune peintre exposant dans une galerie mineure, H.A.B. tombe de haut. Entre 15 000 et 25 000 DH la pièce ! Le « bleu » se prendrait-il pour un artiste blanchi sous le harnais ?, se demande cet allumé de la couleur. « Avec mon salaire de cadre moyen, je ne peux me permettre d’acquérir des œuvres des grands peintres. Aussi me suis-je rabattu sur les talents naissants. J’en ai un grand nombre de tableaux qui ne m’ont pas coûté plus de 2 000 ou 3 000 DH chacun. Mais depuis peu, je remarque que les jeunes alignent pratiquement leurs tarifs sur ceux de leurs aînés éprouvés. C’est à la fois injustifié et frustrant ! », se plaint-il.

Les débutants réclament des prix de grands

Même sentiment d’amertume chez les rares galeristes qui se font un devoir d’offrir leurs cimaises aux palettes prometteuses. Telle que Leïla Tassi Faraoui, directrice de Nadar, qui en a vu de toutes les couleurs avec ces débutants, tellement convaincus de leur génie qu’ils mettent la barre très haut alors qu’ils n’ont pas encore affûté leurs pinceaux. « Beaucoup d’entre eux trouvent que 30 000 DH, ce n’est pas un prix excessif. Alors, je suis obligée de les envoyer sur les roses ». Piquant, mais amplement révélateur de ce vent de folie qui s’abat sur la galaxie picturale. Jeunes et moins jeunes en sont azimutés.

Leïla Faraoui raconte qu’un de ses amis étrangers se demandait si les peintres marocains ne spéculaient pas de leur vivant sur la valeur qu’ils auraient une fois morts et enterrés ! Elle ajoute : « Moi, j’avais fermé la porte à tous les artistes connus. Quand ils venaient dans ma galerie, ils réclamaient des prix exorbitants, mais chez eux, ils vendaient trois fois moins cher. » Propos auxquels souscrit le galeriste et néanmoins coiffeur huppé Saïd Tlemçani. « Pour une toile mesurant 50 cm sur 50, il y a des peintres qui exigent 15 000 à 20 000 DH. Si encore ils étaient précédés d’une quelconque réputation, mais ce sont souvent de parfaits inconnus. Alors, ils en écoulent tout au plus deux, au lieu de dix ou vingt. Ils se retrouvent perdants dans l’affaire, et le galeriste ne parvient pas à rentrer dans ses frais », constate-t-il. Il est en effet important de la noter, dans la fixation du prix des toiles interviennent, outre la notoriété et le talent du peintre, des éléments plus prosaïques comme la dimension de la toile ou la technique utilisée (aquarelle, huile, collage, lithographie, pastel, etc.).

Accusés, levez-vous ! Et ils se dressent comme un seul homme pour imputer la faute, au premier chef, aux galeristes, ces « suceurs de sang », selon l’expression peu amène d’Abdelhaï Mellakh. Ceux-ci prélèveraient jusqu’à 50 % sur les produits de leurs ventes, ce qui obligerait, d’après Abdelkrim Ghattas, les exposants à majorer leurs prix afin de « s’y retrouver ». Sauf que, dans cette surenchère, c’est l’amateur de toiles qui trinque ou, en désespoir de cause, se force à l’abstinence. Plus que les galeries, c’est tout le système qui est mis en cause. Selon Ghattas, pour qu’un artiste jouisse d’une cote honorable, « il faut qu’il ait les faveurs des galeristes, qu’il séduise les collectionneurs, qu’il entre dans un réseau de relations utiles. Certains jouent ce jeu-là, d’autres s’y refusent. Ceux-là n’ont d’autre solution que d’imposer leur propre cote ». A la guerre comme à la guerre, penserait-on, mais, quand cette voie débouche sur l’auto-surévaluation, ce sont les peintres qui en font les frais les premiers. Pente savonneuse dont s’attriste un des leurs, et pas le moins loti : Mohamed Melehi. « Il est évident qu’en proposant des prix élevés, les artistes ne peuvent que rebuter les éventuels acquéreurs, surtout ceux, et ils sont nombreux, qui ne disposent pas d’un budget consistant. Moi, en tant que président du syndicat, je mène un combat pour que les peintres « démocratisent » leurs prix. Les amateurs d’art et eux-mêmes y trouveront le compte ».

Les galeristes et les vendeurs aux enchères fondent le marché de l’art au Maroc

Aziz Daki, critique d’art, estime que l’« auto-cotation » est un exercice périlleux et un procédé intolérable, à la fois. « Il n’appartient pas aux peintres de fixer leur propre cote », condamne-t-il. Qui doit faire la cote, alors ? « C’est le marché ». Entendu comme un ensemble formé des amateurs d’art, des collectionneurs, des galeristes et des maisons de vente aux enchères. La cote d’un artiste se bâtit du premier au second marché. Depuis la première galerie qui « lance » un inconnu au système d’échanges fondé sur l’offre et la demande qui s’instaure ensuite, lorsque l’œuvre entame une autre vie, notamment grâce aux ventes aux enchères. Ce marché existe-t-il réellement au Maroc ? « Il émerge, répond Daki. Avant, on n’y voyait pas très clair dans tout ce qui se rapportait à la peinture. Les acheteurs naviguaient à vue. Aujourd’hui, grâce à l’énorme travail accompli par les galeristes et à l’apparition de maisons de vente aux enchères, nous avons une visibilité appréciable. Les peintres ont désormais une cote ».

Reste qu’avec les maisons de vente aux enchères, le cercle des collectionneurs s’est élargi, et que les prix des œuvres, déjà inabordables pour les modestes bourses, ont atteint des pics vertigineux. Un collectionneur qui tient à avoir un Abbès Saladi, par exemple, est prêt à mettre le paquet pour satisfaire son envie, souligne Daki. Du coup, la cote du peintre monte, décuple parfois. De son vivant, Saladi se vendait à 10 000 DH, aujourd’hui, une simple aquarelle signée de son nom vaut 80 000 DH. Il y a cinq ans, poursuit le critique d’art, un beau Hassan El Glaoui ne dépassait guère 50 000 DH ; dernièrement un de ses tableaux a été adjugé à 400 000 DH. Encore plus éloquent, le cas de Ahmed Krifla. Franchement inconnu naguère, il a été subitement découvert il y a peu. L’an dernier, on pouvait s’offrir une de ses œuvres pour 6 000 DH. Quelques mois plus tard, sa cote dépassait les 70 000 DH, et les collectionneurs continuent de faire monter la vapeur. Jusqu’où ?

Les orientalistes et les « naïfs » ont la cote auprès des collectionneurs

En tête du peloton des peintres dont la cote ne cesse d’augmenter, les orientalistes que le Maroc a inspirés. Un bon Majorelle franchit allègrement les 3MDH. L’une de ses toiles s’est vendue récemment à Paris à 800 000 euros. Etourdissant, non ? Vient ensuite la bande des « naïfs », tels Ben Allal, dont une des toiles a atteint 855 000 DH, Louardiri qui, selon les formats, va de 100 000 à 400 000 DH. Chaâbia, en revanche, stagne, mais le meilleur de ses œuvres gravite autour des 200 000 DH. Fatéma Hassan prend de plus en plus de valeur, elle franchira bientôt son point culminant, 150 000 DH. Enfin, arrivent les figuratifs et les abstraits. Aux morts, la patrie picturale reconnaissante. Ahmed Cherkaoui, pour avoir très peu peint, est très convoité. Les amateurs déboursent entre 150 000 et 400 000 DH pour se payer ses œuvres pratiquement introuvables. Jilali Gharbaoui, lui, était très prolifique, ce qui n’empêche pas ses tableaux de s’envoler sans jamais atterrir : 80 000 DH le petit format, 300 000 DH, le format moyen. Les collectionneurs se damneraient volontiers pour mettre la main sur ses ultimes créations, qu’on dit d’une belle eau. Pour l’heure, ils s’arrachent, à coup de surenchère, les autres toiles, bien au-delà de 200 000 DH l’une. Les peintres encore vivants ne sont pas épargnés par la boulimie des collectionneurs.

En vrac : Hassan El Glaoui (100 000 DH), André El Baz (de 150 000 à 300 000 DH), Saâd Ben Cheffaj (entre 80 000 et 250 000 DH), Fqih Regragui (de 30 000 à 250 000 DH), Farid Belkahia (50 000 DH, mais ses fresques peuvent tourner autour de 500 000 DH), Mahi Binebine (entre 50 000 et 150 000 DH, et plus selon la grandeur de la toile), Mohamed Melehi qui, selon Daki, « commence très bas mais vole très haut », de 35 000 à 200 000 DH, et pour des commandes, Mehdi Qotbi, prend en moyenne 300 000 DH.

Autant de coups de massue que les amoureux de l’art aux budgets limités ne sauraient supporter. Pour étancher leur soif malgré tout, il leur reste à investir dans les jeunes. Ceux qui n’ont pas la folie des grandeurs proposent des toiles à 4 000 DH. Ce qui constitue un bon placement pour l’avenir. Et s’ils tiennent absolument à posséder des signatures des grands peintres, ils n’ont qu’à se rabattre sur leurs lithographies, gravures ou sérigraphies (entre 1 500 et 4 000 DH) ou leurs dessins et crayons (de 12 000 à 15 000 DH). A chacun selon ses moyens.

La vie éco - Et-Tayeb Houdaïfa

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