Le Maroc et l’Espagne ont normalisé leurs relations

20 décembre 2006 - 19h42 - Espagne - Ecrit par : L.A

L’Economiste : Vous dites que les relations entre le Maroc et l’Espagne sont entrées dans une phase de normalité. Qu’entendez-vous par là ?

Consuelo Rumi : Il y a deux ans et demi, le gouvernement espagnol s’est fixé comme objectif stratégique de consolider les relations maroco-espagnoles. Des relations qui n’étaient pas au meilleur de leurs conditions. Nous avons pu atteindre l’objectif et travailler dans la normalité. Ce qui signifie avoir des relations continues et constantes, discuter chaque fois que c’est nécessaire, évoquer les problèmes au tour d’une table et leur trouver des solutions concertées. Travailler dans la normalité signifie que nous travaillons comme deux pays qui s’entendent et sont obligés de s’entendre. Nous avons beaucoup de questions communes à traiter. Leur trouver des solutions n’est possible qu’à travers la coopération.

Si les relations sont à ce point normalisées, pourquoi la visite au Maroc du chef espagnol est-elle sans cesse reportée ?

C’est une question, à mon avis, de calendrier uniquement. Il n’y aucun problème. Je rappelle que le président Zapatero a réservé sa première visite à l’étranger au Maroc.

Il s’agit là d’une tradition établie entre les deux pays. Aznar aussi a réservé sa première visite au Maroc.

Sauf qu’Aznar n’a pas imprimé le même rythme de confiance mutuelle et d’échanges de grande qualité aux relations entre les deux pays.

Le Conseil de l’Europe vient de sortir son plan d’action en matière migratoire, en désignant des pays-clés pour la coopération. Quels sont ces pays et quelle est la place du Maroc parmi eux ?

Le Maroc est pour nous une priorité. Il l’est dans plusieurs autres domaines mais également pour l’immigration. En témoignent les actions que nous engageons à ce niveau et les groupes de travail commun. Tous les forums de l’Union européenne ont dévoilé la réalité suivante : la mondialisation à laquelle nous assistons aujourd’hui affecte les migrations. De fait, les problèmes ne peuvent être résolus de manière unilatérale. Cela suppose une coopération bilatérale et multilatérale. Par conséquent, l’UE a engagé le débat sur la manière de réguler les flux. Le travail se fait avec tous les pays d’où vient cette pression migratoire.

Comment l’Espagne arrivera-t-elle à gérer le dilemme de sa dépendance énergétique à l’Algérie et sa volonté affichée d’établir une relation privilégiée avec le Maroc ?

L’Espagne a des relations avec le Maroc qui vont au-delà de l’immigration. Des relations commerciales, des relations économiques qui connaissent un essor important. Et je ne parlerai dans cet entretien que des relations du Maroc avec l’Espagne.

Le Conseil de l’Europe devrait valider la proposition d’un front commun de contrôle de l’immigration au niveau de la frontière sud de la Méditerranée. Comment va s’opérer cette action et avec quels fonds ?

C’est toujours en projet. Ce qui est certain, c’est que le commissaire Fratini, qui est vice-président de l’UE, est également président de la commission chargée de ce thème entreprend un travail important. Il faut préciser, à ce niveau, que la coopération maroco-espagnole, devient un modèle pour d’autres pays confrontés au problème, y compris pour l’UE. C’est une coopération de type opérationnel, notamment au niveau des patrouilles mixtes, des services de sécurité et des systèmes techniques de contrôle de la Méditerranée. Le projet inclue, enfin, une dimension nouvelle et importante. C’est le fait que, pour la première fois, on parle au niveau de l’UE du contrôle des frontières maritimes. Jusqu’à présent, on ne parlait que des frontières terrestres et aériennes. Il est évident que ce milieu a un caractère singulier du fait de sa complexité.

Autre proposition devant le Conseil européen : la lutte contre le travail au noir. Comment comptez-vous appliquer cette mesure pour le moins ambitieuse ?

L’Espagne a initié, à la suite du processus de régularisation, une campagne pour contrer le travail en marge de la légalité. Nous avons fait en sorte de rendre difficile le recours à la main d’œuvre clandestine. Le plan d’action du ministère espagnol de l’Emploi prévoit 400.000 interventions de l’inspection du travail. Ce qui signifie une action au niveau des exploitations agricoles, des entreprises de service pour constater et sanctionner s’il y a lieu toute infraction.

Entre les promesses d’aide pour la lutte contre l’immigration clandestine et les pressions pour les rapatriements des immigrés, n’est-ce pas la politique de la carotte et du bâton qui est ainsi appliquée par l’UE ?

L’Espagne est entrain d’appliquer une politique d’aide au développement qui n’existe nulle part ailleurs en Union européenne. Il n’y a aucun pays européen qui investisse dans des projets éducatifs et formatifs à l’emploi dans les pays d’origine. Je pense que notre politique sur le plan africain est à l’avant de l’initiative de développement économique, social et démocratique. Notre politique en matière migratoire et de développement, des domaines parfaitement imbriqués, est à la fois sincère et volontaire. Notre ambition est de promouvoir les migrations légales qui sont nécessaires pour combler les besoins de main-d’œuvre, mais également de pousser à ce que cette migration soit volontaire. Nous travaillons dans des domaines divers. C’est une politique qui est à mon avis non seulement rationnelle et équilibrée, mais également juste.

L’Europe cherche à unifier sa politique en matière d’immigration. N’est-il pas à craindre que ce soit les pays les rigides qui imposent leur démarche à l’ensemble de l’UE ?

Le chef du gouvernement espagnol, dans toutes les réunions formelles et informelles de l’Union européenne, plaide pour que l’immigration soit un thème prioritaire du calendrier de l’UE. Nous avons ainsi avancé de manière significative dans le sens de favoriser une politique européenne commune de l’immigration. Il est sûr que, de temps en temps, nous entendons des voix populistes avec des visées électoralistes, mais la réalité est que la politique espagnole d’immigration conditionnée à l’emploi constitue aujourd’hui un exemple. Les faits nous donnent aujourd’hui raison. Ainsi, l’Allemagne qui critiquait l’initiative espagnole, est en passe aujourd’hui d’ouvrir un processus de régularisation des immigrés.

La main-d’œuvre s’expatrie

Au 30 septembre 2.641 personnes ont voyagé en Espagne avec un contrat de travail. Soit une augmentation de 145% par rapport à l’année précédente. La raison en est, souligne Consuelo Rumi, qu’une « relation de confiance s’est aujourd’hui installée dans le monde des entreprises espagnoles vis-à-vis des travailleurs venus du Maroc ». « Ils accomplissent un bon travail et respectent les termes des contrats », assure-t-elle. Ces contrats stipulent que les travailleurs retournent au pays une fois le contrat terminé. Toutes les personnes qui respectent cette disposition sont dispensées d’une seconde sélection s’ils veulent retourner travailler en Espagne. « Ils sont les premiers bénéficiaires de nouveaux contrats », soutient la ministre.

Les mineurs, un sujet délicat de coopération

L’Espagne vient d’augmenter le nombre des mineurs rapatriés au Maroc. Ces rapatriements se font-ils dans le respect de leurs droits ? C’est la question que se pose aujourd’hui nombre d’ONG, au Maroc comme en Espagne. « Le rapatriement des mineurs non accompagnés se fait avec toutes les garanties spécifiées dans les accords et conventions internationales que le Maroc a également signées », souligne la ministre. « Ce rapatriement assisté des mineurs est toutefois très complexe », concède-t-elle. Soit les mineurs sont accueillis par une famille qui les prend en charge, soit on met en place des mécanismes qui permettent leur accueil dans le cadre de la coopération entre les deux Etats. Lors de la dernière réunion maroco-espagnole, il a été décidé de créer un centre d’accueil à Nador et un autre à Beni Mellal. Les études de viabilisation technique sont déjà faites. Une convention devant être signée dès la semaine prochaine. Montant du financement : 2,7 millions d’euros, soit 27 millions de dirhams.

L’Economiste - Khadija Riouane

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Espagne - Diplomatie

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : un ancien diplomate accusé de prostitution de mineures risque gros

L’association Matkich Waldi (Touche pas à mon enfant) demande à la justice de condamner à des « peines maximales » un ancien ambassadeur marocain, poursuivi pour prostitution de mineures.

Youssef Amrani officiellement ambassadeur du Maroc auprès de l’UE

Nommé en octobre 2021 par le roi Mohammed VI au poste d’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, Youssef Amrani aurait reçu en cette fin d’année, l’accord des instances européennes pour démarrer sa mission.

Maroc-Israël : deux ans de relations fructueuses, selon Alona Fisher-Kamm

Mardi a été célébré le deuxième anniversaire de la reprise des relations entre le Maroc et Israël. Une occasion pour Alona Fisher-Kamm, cheffe par intérim du bureau de liaison de Tel-Aviv à Rabat, de faire le bilan de ce rapprochement.

Les MRE confrontés à un durcissement des conditions d’envoi de fonds depuis l’Europe

Face au durcissement des autorités européennes sur les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri appelle à une action diplomatique d’envergure.

Maroc : pressions pour rompre les relations avec Israël

Alors que Israël intensifie sa riposte contre le mouvement palestinien du Hamas, de nombreux Marocains multiplient les appels à rompre les relations diplomatiques entre le Maroc et l’État hébreu. Au Maroc, de nouvelles manifestations ont été organisées...

Le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères attendu au Maroc

Le sommet des pays signataire des Accords d’Abraham qui se tiendra au mois de mars pourrait connaître la participation d’Eli Cohen, le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères.

Mohammed VI et le pari gagnant de l’ouverture en Afrique

Le Maroc a connu une croissance économique assez soutenue depuis 2000, après l’accession au trône du roi Mohammed VI. Le royaume prend des mesures pour attirer les investissements étrangers et devenir une grande puissance régionale.