Les Marocaines tous voiles dehors

18 février 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

50% des Marocains sont pour le port obligatoire du voile par la femme. Quelles sont les raisons de cette montée du voile ? Les Marocaines doivent-elles avoir peur ? Décryptage.

Le sondage des Nations Unies, publié en décembre 2006, ne laisse aucun doute. Le port du voile tend à se généraliser au Maroc. Sur les mille Marocains interrogés, la moitié sont pour que la femme porte le voile, que cela lui plaise ou non. En Europe ou au Maghreb, cette pratique suscite des controverses. En France, les affaires du voile continuent à ébranler l’opinion publique après le vote de la loi sur la laïcité en 2005 interdisant tout signe religieux dans les établissements scolaires.

En Angleterre, Jack Straw, ministre chargé des Relations entre le Parlement, a relancé le débat en octobre 2006 en disant qu’il serait favorable que les Musulmanes ne portent pas le voile. Pour tenter d’apaiser la polémique provoquée par cette déclaration, le Premier ministre, Tony Blair, a affirmé dans un entretien télévisé diffusé sur la BBC que ce choix reste une partie intégrante de la liberté individuelle des personnes. Le même mois, le Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti tunisien au pouvoir, s’est prononcé pour l’application avec rigueur de la circulaire de 1981 interdisant le port du voile dans les établissements publics et scolaires. Hédi M’henni, secrétaire général du RCD, a déclaré que si les Tunisiens acceptent le hijab ils seront amenés à refuser le droit de la femme au travail, au vote et à l’enseignement. Pour lui, le port du hijab fait partie de pratiques de nature à porter atteinte aux acquis de la femme.

Au Maroc, les discussions sur le port du voile restent timides. Aucune position officielle n’est prise. On connaît seulement celle du Parti de la Justice et du Développement, favorable au port du voile. Les activistes féministes s’aventurent rarement sur ce terrain miné. Les quelques articles de presse se contentent de rapporter l’étendue de cette pratique. Une question s’impose. Doit-on avoir peur du voile au Maroc ?

Bien que rattaché à l’Islam, le voile existait bel et bien avant son avènement. Une loi du XIIème siècle avant J-C en Mésopotamie assyrienne sous le règne du roi Teglath-Phalazar Ier rendait à l’extérieur le port du voile obligatoire à toute femme mariée. Dans le monde grec, la femme convenable se voilait pour sortir. Il apparaît que Hélène de Troie le faisait aussi. Avec l’Islam, le voile s’est généralisé comme un symbole de dignité retrouvée. Le Prophète demandait aux nouvelles converties de se voiler pour se distinguer des esclaves. Dans le Coran, les femmes sont invitées à porter des habits amples, à ne se dévoiler que dans le cercle familial et éviter les comportements provocateurs. Même si, dans le texte sacré, l’obligation du port du voile n’est pas clairement explicitée, aucun des ouvrages des Oulémas de la période islamique ne l’ont remise en cause. À l’époque, la controverse portait sur la forme du voile : la femme doit-elle oui ou non cacher son visage.

La première remise en cause est survenue en Egypte avec la publication en 1899 de l’ouvrage de l’écrivain et penseur moderniste Qasim Amin, Tahrir al-maraa (libéralisation de la femme) où il s’exprimait sur la fin du voile et du confinement des femmes. En Turquie et en Iran, le dévoilement est imposé au début du vingtième siècle par Mustapha Kemal Atatürk et le Shah d’Iran, qui voient l’adoption de la tenue occidentale comme un signe de modernisation. Au Maroc, Lalla Aïcha, fille de feu Mohammed V et tante du Roi Mohammed VI, a été la première femme à paraître en public à visage découvert et en tenue occidentale lors du discours historique de la place du Grand Socco, à Tanger, le 10 avril 1947. Ce geste royal avait pour objectif d’encourager l’émancipation de la femme. À cette époque, les Marocaines étaient confinées dans leur rôle de génitrices. Elles ne sortaient dans la rue qu’accompagnées de leurs maris et voilées. Dans les grandes villes, comme Casablanca ou Rabat ou encore Fès, elles arboraient des djellabas droites et amples avec la capuche rabattue sur la tête et une étoffe de mousseline noir ou bleu cachait leur nez et leur bouche qu’on appelait neguab. Dans la région d’Essaouira ou celles d’Oujda, elles se couvraient d’un tissu en laine, appelé hayek, et ne laissaient entrevoir qu’un oeil. Dans la région du Sud, elles s’enveloppaient dans une melehfa. Ces modes vestimentaires n’ont pas complètement disparu, mais elles n’ont plus la même connotation. Si, hier, elles étaient considérées comme une pratique religieuse visant à préserver le corps des femmes mariées des regards des hommes, aujourd’hui, elles font partie intégrante des costumes traditionnels marocains.

Le voile islamique, tel qu’actuellement est porté par les Marocaines, est importé du Moyen-Orient et des pays du Golfe. Plusieurs tendances sont observées. Le tchador, une robe longue et ample, jilbab de couleur sobre et d’un voile sombre, khimar, recouvrant entièrement les cheveux, le cou, les épaules et la poitrine est apparu au Maroc au milieu des années quatre-vingt après la révolution islamique iranienne en 1979. Le burqa afghan, souvent de couleur noire, s’approche du khimar, sauf que le visage et les mains sont recouverts. Son introduction est survenue après le retour des Afghans marocains, partis combattre pendant la guerre sainte sovieto-afghane. Ces deux sortes de voiles islamiques, plus souvent associés à l’intégrisme religieux, sont marginaux au Maroc. Le plus répandu des voiles islamiques est l’Oriental. Il consiste à porter des jupes longues ou de larges pantalons pour cacher les contours du corps et un foulard pour couvrir les cheveux.

Celui-ci est considéré comme un effet de mode avec le succès des commerces de tenues islamiques. Le marché national propose une variété de foulards avec une large palette de couleurs, de formes à des prix défiant toute concurrence grâce à l’invasion des productions chinoises. Les accessoires qui vont avec, broches et épingles, ne manquent pas non plus. Ce qui permet aux femmes d’attacher leurs foulards de différentes manières. Hormis le retour à la religion, encouragé par les prédicateurs comme Amr Khaled, programmés sur les chaînes satellitaires arabes, largement écoutés au Maroc, la montée du voile peut s’expliquer comme une affirmation identitaire. L’accroissement des conflits au Moyen-Orient, la fermeture des portes européennes et le choc des civilisations après le 11 septembre ont poussé les Marocaines à rejeter le modèle de la femme occidentale libérée. En se voilant, tout en restant élégantes et actives, elles veulent prouver au monde occidental que l’Islam n’est pas une religion contraire à l’émancipation de la femme. Pas seulement.

Le port du voile peut être une protection contre le machisme de la rue marocaine. Une voilée est moins ciblée par les insultes et autres harcèlements des hommes. C’est aussi pour faire face aux pressions familiales, une sorte de visa pour investir l’espace public. Chez les adolescentes, il est plus une confirmation de soi. Elles le portent pour se retrouver et retrouver les valeurs de sérieux et de respect qui le symbolise. Il y en a aussi qui l’utilisent comme un cache-misère. Elles trouvent plus pratique et moins coûteux de se couvrir les cheveux avec un foulard que d’aller fréquemment chez le coiffeur. Pour d’autres, il est un moyen de séduction. Étant voilées, elles pensent avoir plus de chances de trouver un mari. L’image associée au voile fait que la femme qui le porte est perçue comme plus chaste et plus pure. A part les engagées politiques ou dogmatiques qui, elles, évoluent dans un milieu fermé et dangereux car prônant des positions idéologiques contre l’émancipation des femmes, les libertés individuelles et l’ouverture culturelle, la grande majorité des voilées sont des filles qui veulent vivre en paix et se soustraire aux harcèlements et à l’oppression sociale. Les 50% des Marocains qui se sont prononcés pour le port obligatoire du voile par la femme traduisent surtout le malaise social et relationnel entre les deux sexes. Les hommes et les femmes marocains, pris au carrefour d’influences culturelles multiples, sont plus que jamais partagés entre les valeurs occidentales et arabo-musulmanes. La montée du voile dissimule bien au final une crise identitaire.

Maroc Hebdo - Loubna Bernichi

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Sujets associés : Religion - Moudawana (Code de la famille) - Etude

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