Maroc-Pays-Bas, des relations qui s’inscrivent dans la durée

30 juin 2005 - 20h48 - Monde - Ecrit par :

Cela faisait exactement 400 ans qu’un navire hollandais accostait dans le port de Safi. A son bord se trouvait Pieter Coy, un marchand envoyé au Maroc par les États généraux, la plus haute autorité hollandaise d’alors.

La recherche d’une bonne entente avec le Maroc était guidée par deux motifs : la guerre avec l’Espagne et les intérêts des navires de commerce hollandais. Coy fut donc mandaté pour conclure avec le Sultan régnant, Abou Fares, un accord qui devait former le fondement d’une alliance.

L’arrivée de Coy à Safi marquait le début de relations officielles intensives entre le Maroc et les Pays-Bas. Peu après cette première visite officielle, le premier émissaire du Sultan en Europe s’installait à La Haye. Et il ne fallut pas attendre plus de cinq ans pour voir le Sultan marocain et les États généraux hollandais conclure un accord.

Le nom du navire qui amena Coy à Safi présageait de l’avenir commun des deux pays, puisque ce nom, c’était L’Espoir. Les premiers Hollandais à se rendre au Maroc étaient guidés par l’espoir d’un soutien dans leur lutte contre l’Espagne pour l’indépendance, par l’espoir d’un essor du commerce et de la prospérité.

C’est l’espoir, aussi, dans les années soixante du siècle dernier, qui a poussé les premiers Marocains à venir travailler aux Pays-Bas ; l’espoir d’une vie meilleure et d’un avenir plus souriant pour leurs enfants. Aujourd’hui, près de 350.000 Néerlandais d’origine marocaine ont leur foyer aux Pays-Bas.

Les Néerlandais d’origine marocaine ont apporté une précieuse contribution à la société néerlandaise et aux relations entre leur nouvelle et leur ancienne patrie. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ils ont contribué à l’expansion économique néerlandaise. Et aujourd’hui, leur contribution s’exprime aussi sur tous les fronts de la scène culturelle néerlandaise.

C’est surtout la jeune génération qui a éveillé les Néerlandais aux couleurs, aux senteurs et aux talents du Maroc. Ce faisant, ils ont élargi le paysage culturel, musical et sportif des Pays-Bas. Les livres de jeunes écrivains comme Abdelkader Benali, Hafid Bouazza, Khalid Boudou et Saïd el Hadji ont décroché les Prix littéraires les plus prestigieux ; et leurs articles se distinguent par le caractère incisif de l’analyse politique et sociale. Je citerai encore le rappeur Ali B., la coqueluche actuelle du public néerlandais.

Des footballeurs comme Khaled Sinouh, Tarik Sektioui, Ali Elkhattabi, Ali Boussabon et bien d’autres sont autant d’étoiles au firmament du championnat néerlandais. Khalid Bouhlarouz est l’inébranlable rempart du Onze néerlandais, tandis que Ibrahim Afallay fait des étincelles chez les espoirs. Je termine avec Najib Amhali, artiste de music-hall qui prouve, à chaque spectacle, que Marocains et Néerlandais peuvent rire de bon cœur les uns des autres et les uns avec les autres. (…)

Au début du vingt et unième siècle, la confirmation des liens maroco-néerlandais n’est pas seulement motif de satisfaction. Nos pays se doivent en effet de coopérer car ils sont confrontés aux mêmes problèmes.
(…) Le respect mutuel est aussi l’idée-force de la discussion élargie sur la relation (entre nous). Car il ne peut y avoir de coopération efficace sans respect mutuel.

C’est dans un esprit positif que j’envisage les défis qui nous attendent. Bien sûr que des divergences d’avis existent partout. Mais la question principale est de savoir si l’on veut en parler ; si nous voulons apprendre à nos enfants la politique de l’amitié. (…)

Les Pays-Bas et le Maroc sont devant un dilemme difficile : comment préserver nos sociétés de l’intolérance sans porter atteinte à leur ouverture ? Je pense que la réponse réside dans le maintien de la vitalité de la démocratie et de la bonne gouvernance dans nos deux sociétés. Voilà un domaine où je vois des possibilités d’étroite coopération, là précisément où le Maroc réalise déjà, avec ses propres moyens, des avancées considérables.

Un vent rafraîchissant de réforme souffle sur le Maroc. Il vivifie ses côtes méditerranéennes et atlantiques, mais aussi les monts du Rif et de l’Atlas ainsi que les vallées du Sud. Et ce vent ne vient pas de l’Ouest ; non, c’est le Maroc qui a résolument pris l’initiative de se réformer de l’intérieur pour donner davantage de transparence, de structure et de contrôle à son administration.

Le Maroc a de surcroît pris conscience qu’on ne peut œuvrer à une société meilleure tant que l’on ne s’est pas réconcilié avec son passé. La création de l’Instance Équité et Réconciliation en est la preuve tangible. La mise au débat public des malentendus des années passées permet à tous les Marocains d’accepter et d’assumer ce passé. C’est pourquoi les Pays-Bas se réjouissent de pouvoir soutenir financièrement les ONG marocaines qui encadrent ce processus de réconciliation.

Mais le Maroc regarde encore plus loin. La reconnaissance officielle de la langue et de la culture berbères atteste la volonté marocaine de garantir durablement les droits des différents groupes ethniques. La langue et la culture amazigh revêtent une importance considérable dans la société marocaine, en témoigne l’intérêt suscité par la fondation récente de l’Institut Royal pour la culture Amazigh.

Beaucoup de Néerlandais d’origine marocaine, pour la plupart des Berbères, ont accueilli avec satisfaction la possibilité désormais offerte d’enseignement amazigh. La liberté de pratiquer sa propre langue et de vivre sa culture est, en effet, une condition indispensable à l’intégration réussie dans une société multiculturelle. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le directeur de cet institut, Mohamed Chafik, ait reçu le prestigieux Prix Prince Claus aux Pays-Bas.

La prise de conscience que la liberté de la femme est aussi un facteur déterminant de progrès a permis au Maroc d’accomplir de considérables avancées dans la réforme de la Moudawana. Cela signifie une amélioration évidente du statut de la femme marocaine, pas seulement ici au Maroc, mais également aux Pays-Bas. La réforme du droit de la famille est bien sûr une opération en profondeur. Le fait que des Marocains de tous horizons et de toutes tendances puissent en parler renforce encore l’assise sociale de cette réforme.

Les Pays-Bas ont contribué financièrement à un projet en ce sens. Nous poursuivrons volontiers un tel effort, car la réforme du statut de la femme mariée a aussi des conséquences pour les femmes d’origine marocaine aux Pays-Bas. C’est dire notre attention particulière pour cette question.
Par ailleurs, l’importance de la communauté marocaine aux Pays-Bas fait de la gestion de l’immigration un élément clé de nos relations bilatérales.

Il est réjouissant de voir combien le Maroc progresse dans la modernisation de sa fonction publique et de sa justice. Avec d’autres pays de la région, il participe à un projet important des Nations unies, le Programme sur la gouvernance dans la région arabe (POGAR). Ce projet vise à accroître l’indépendance du ministère public. Les Pays-Bas y contribueront substantiellement.

Les Pays-Bas ont l’intention de pérenniser la coopération en matière de modernisation sociale, pour autant que le Maroc en exprime le besoin. Nous disposons à cet effet d’un très bon instrument : le programme MATRA. En dépit de sa portée limitée, ou justement grâce à sa portée limitée, ce programme a amplement fait ses preuves en Europe centrale.

C’est pourquoi il a récemment été décidé de l’ouvrir aussi à nos partenaires méditerranéens. Ce programme permettra de soutenir des ONG marocaines et de lancer des jumelages entre les pouvoirs publics marocains et néerlandais. De surcroît, il offrira aux ONG marocaines et néerlandaises la possibilité d’activités conjointes. Autant dire que nous attendons avec intérêt les demandes de projets MATRA.

L’accroissement de la prospérité relève aussi de notre intérêt commun. J’ai constaté que le Maroc avait enregistré une forte croissance économique ces dernières années. Du reste, l’accroissement de la prospérité passe nécessairement par l’intégration régionale et par l’Union européenne en particulier.

La mise en place d’un accord régional de libre-échange prévue par l’Accord d’Agadir marquerait un pas important (dans ce sens). Par le canal du programme MEDA, l’Union européenne y contribue financièrement. Ainsi, la création, prévue pour 2010, d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange devient de plus en plus une réalité (…)

La participation marocaine à la KFOR, au Kosovo, à la SFOR, en Bosnie-Herzégovine et à l’opération européenne Althéa, actuellement en Bosnie, fait du Maroc un précieux partenaire de l’OTAN et de la politique européenne de sécurité et de défense. J’espère que nous poursuivrons et approfondirons de telles formes de coopération militaire.

Europe et Maghreb, Union européenne et pays méditerranéens, Pays-Bas et Maroc ; voilà autant de chapitres d’une même histoire, une histoire nourrie d’intérêts et de principes communs. (…)

Mais même sans Union européenne, sans Union du Maghreb Arabe ni Processus d’Agadir, le Maroc et les Pays-Bas partagent tant d’intérêts qu’il s’impose logiquement que nous coopérions activement. Du commerce à l’immigration, du terrorisme au dialogue interculturel, et de la modernisation sociale à la bonne gouvernance : le champ de nos défis et de nos problèmes communs est vaste, et c’est seulement ensemble que nous pourrons trouver des solutions…

* Bernard Bot - est ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas
(Larges extraits d’une intervention à la Faculté de droit de Rabat, le 25 juin 2005)

Bernard Bot - Le Matin

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Sujets associés : Pays-Bas - Diplomatie - Safi

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