Media marocains en Belgique : L’impitoyable guerre

17 juillet 2007 - 00h51 - Belgique - Ecrit par : L.A

La communauté d’origine marocaine se bat pour avoir sa place au soleil dans le champ médiatique belge. Outre la bataille menée pour les fréquences modulées, la concurrence est rude entre Belgo-marocains.

Principalement au sein de la communauté française, la guerre des fréquences modulées (bande FM) bat son plein depuis une décennie. Un plan de fréquence bien ordonné est toujours attendu pour mettre de l’ordre dans la cacophonie radiophonique ambiante. « Advienne que pourra ! » semble être l’unique mot d’ordre en matière de radiodiffusion en attendant des jours meilleurs.

Dans la communauté d’origine marocaine, une guerre intestine que personne n’a pu apaiser, même pas le très officiel Conseil supérieur de l’audiovisuel belge, fait que six radios se partagent une même fréquence (106.8). Prenant l’antenne à tour de rôle, c’est à chacune sa grille -momentanée- faite surtout de chansons. Celles-ci sont agrémentées de quelques programmes de débats et de peu d’informations. S’ajoutent à ces chaînes enchaînées, deux radios dont les propriétaires sont également d’origine marocaine : radio chekkafi et radio Al Manar. Si la première tire son épingle du jeu en jouant la carte de l’ouverture et du franc débat sur des sujets touchant la communauté d’origine marocaine vivant en Belgique, la seconde fait couler beaucoup d’encre.

Face à ses radios qui s’écartèlent et éparpillent leur audience, radio Judaïka offre un meilleur exemple. C’est la seule radio qui porte la voix de toute la communauté juive vivant en Belgique.

Loin des bruits radio, l’univers virtuel offre un espace d’expression plus serein et tout aussi libre pour des compétences d’origine marocaine en Belgique. Quelques initiatives, parmi tant d’autres, tiennent la route (voir présentations de Dounia News et de Wafin.be).

Dans le domaine de la presse écrite, de temps à autre, naissent des journaux portés par des citoyens d’origine marocaine. Souvent, ils ne parviennent pas à se développer et meurent dans l’indifférence générale. Ce qui ne décourage guère d’autres de prendre le relais. D’où la naissance récente de l’hebdomadaire gratuit lancé par une équipe d’origine marocaine : L’autre Opinion.

Du reste, le champ télévisuel belge reste fermé. A défaut d’une télévision qui donnerait toute la place à l’une ou l’autre communauté, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour réclamer au moins une petite place dans les télévisions publiques pour les communautés d’origine étrangère. La réponse se fait toujours attendre.

Dans le souk des radios communautaires

En région bruxelloise, où vit la majorité des Belges d’origine marocaine, de nombreuses radios libres ont vu le jour au début des années 80. Certaines avaient été créées par des Marocains, d’autres avaient une ou des émissions en arabe. En 1986, lors de la légalisation de ces radios, le ministère de la communauté française de Belgique a décidé de n’octroyer qu’une seule fréquence modulée aux diverses radios arabes, qui devaient donc se partager les temps d’antenne. Depuis 1992, trois de ces radios (El Wafa, Médi Inter et Culture 3) ont mis en commun leurs plages horaires, leur matériel et leurs régies publicitaires sous le nom de "Radio Al Manar". Trois autres (Médi 1, El Watan et As-Salaam) ont poursuivi une existence indépendante sur la même fréquence. Par la suite radio Al Manar a pu avoir une fréquence, laissant la 106.8 à six autres radios qui se la partagent toujours. Depuis trois ans, radio Chekkafi s’est ajoutée aux radios dont les propriétaires sont d’origine marocaine.

De nombreux conflits ont éclaté, tant au sein de chaque radio qu’entre radios, et entre radios existantes et groupes souhaitant s’en emparer avec le soutien de certains politiciens belges francophones. A plusieurs reprises, notamment dans des contextes de crises internationales mettant en cause des pays arabes (bombardement de la Libye par les Etats-Unis en 1986 ; invasion du Koweït et guerre du Golfe en 1990-1991), des accusations de propagande anti-occidentale ont été lancées à l’encontre de ces radios appelées d’une manière générique : « fréquence arabe ».

Le noyau des groupes qui ont tenté de s’emparer de ces radios est sensiblement resté le même au fil des ans : des ex-étudiants arrivés en Belgique à l’âge adulte pour y effectuer des études universitaires, occupant des emplois dans le secteur public ou associatif subventionné. Plusieurs responsables des radios actuelles sont quant à eux des immigrés de la première génération, petits entrepreneurs dans l’ « ethnic business ».

La qualité des émissions produites par ces radios est assez inégale. L’absence de subvention publique et le bénévolat de leurs animateurs y sont pour beaucoup. Il y a des émissions en français, en arabe dialectal et dans deux langues berbères du Maroc (rifain et tachelhite).

Des émissions en arabe ont par ailleurs été diffusées sur les radios belges de service public, tant francophone que néerlandophone, mais la dernière a été supprimée en novembre 1997.

Communautaire mais pas communautariste

« Pendant combien de temps va-t-on encore présenter les Bruxellois d’origine arabe comme une communauté influençable et manipulable par des radios, des ambassades ou des mosquées, alors que plus des trois quarts d’entre eux sont présents en Belgique depuis plus de vingt ans ou y sont nés. L’influence du milieu de travail et des enseignants ne peut être constamment sous-estimée dans ce contexte, ni même celle des syndicats ou des partis politiques », c’est en ces termes que des militants rejettent la thèse qui tente de faire brandir le communautarisme des média ethniques comme une menace à l’encontre de la cohésion sociale belge. « Nous sommes une radio communautaire, mais pas communautariste », se défend Chekkafi, propriétaire de la radio qui porte son nom. « En ouvrant des débats chauds sur des sujets considérés comme tabous (prostitution, prisons...), nous donnons la parole à ceux qui ne trouvent aucune occasion par ailleurs de s’exprimer », précise-t-il.

Autre argument défensif avancé par de nombreux auditeurs des radios communautaires : « Nous avons du mal à nous reconnaître dans les média officiels belges ».

« On peut se demander pourquoi il faudrait payer un supplément pour voir des stations arabes ou turques alors que 36 autres chaînes, la plupart en provenance d’Etats membres de l’Union Européenne, sont accessibles dans le forfait de base », se demande un jeune militant. Défendant le droit des communautés d’origine étrangère d’avoir leur place dans les télévisions publiques, il donne cet exemple : « A Montréal, les câblo-opérateurs, pour attirer la clientèle "ethnique", ont réservé un canal que se partagent, par tranches horaires, les différentes minorités ethnoculturelles, des Ukrainiens aux Libanais, en passant par les Italiens et les Haïtiens. La qualité des programmes est assez bonne, mais le public-cible est uniquement allophone, ce qui correspond à la version canadienne du multiculturalisme. En clair, les émissions ne sont pas compréhensibles par le public francophone ou anglophone.

Certaines émissions sont abondamment lardées de publicité commerciale, pour le coiffeur arménien du coin comme pour la banque canadienne qui propose ses services à la population hispanophone.

L’histoire pauvre de la presse communautaire

Trois magazines francophones ont été réalisés en Belgique par des personnes d’origine marocaine dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, mais leur diffusion a toujours été assez restreinte : Tribune Immigrée/Nouvelle Tribune (1981-), Spots/Al Adwaa/Horizons Magazines (1988-) et Reflets Magazine (1992-1993).

Certaines organisations ou associations maghrébines ont, généralement pendant des périodes assez brèves, réalisé des bulletins périodiques à usage interne, la plupart du temps en français ou en néerlandais, dont quelques numéros ont parfois été diffusés plus largement.

Dounia News : Une « agence de presse » en ligne

« Dounia News veut informer les citoyens de manière à ce qu’ils puissent se former un jugement sur la situation politique, économique et sociale du Maroc, de la Belgique et des relations Nord-Sud », explique le père géniteur de Dounia News, le Belgo-marocain Abdesslam Sarie.

Dounia News est une revue de presse hebdomadaire gratuite, qui met à la disposition des internautes des articles réguliers concernant le Maroc et la Belgique, la société civile des deux rives, le statut des immigrés, le dialogue Euro méditerranéen et les Droits de l’Homme ...

« L’action de Dounia News ne s’inscrit dans aucun cadre philosophique idéologique ou partisan. C’est une initiative purement individuelle et c’est une suite logique à mon ancien travail en tant que permanent syndical responsable de la section arabe de Belgique », précise A. Sarie. Et d’ajouter : « Depuis 1997 je suis pré pensionné et je me permets le luxe de passer beaucoup de temps devant l’écran de mon P.C. Finalement, c’est grâce aux encouragements d’amis que j’ai pu continuer cette action par leurs critiques et remarques et, souvent par les articles qu’ils m’envoient ».

"Wafin" ? : Le site de référence des Belgo-marocains

« Notre initiative émane d’une première expérience similaire aux Etats Unis d’Amérique, expérience qui a vu le jour en 2000, et qui a eu un succès retentissant. Désireux de globaliser le service, nous nous sommes alliés aux initiateurs du projet aux USA et au Canada (l’Amérique du Nord), d’où la naissance, en juillet 2002, de notre site en Belgique www.wafin.be, petit frère du site américain www.wafin.com », explique Merouane Touali, manager de wafin.be.

« Notre site aspire à être le carrefour de l’information et de rencontre de tous les Marocains de Belgique et d’ailleurs », précise-t-il.

Le CSA belge en bref

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est chargé de la régulation du secteur de la radiodiffusion en Communauté française de Belgique. Ses missions sont principalement de contrôler le respect des obligations : des éditeurs de services (RTBF, télévisions locales, télévisions et radios privées) ; des distributeurs de services (câblodistributeurs, Belgacom, Be TV, Proximus, Mobistar, ...) et des opérateurs de réseaux (câblodistributeurs, Belgacom, RTBF...).

Le CSA est composé de deux Collèges : une instance d’avis (Collège d’avis) chargée de rendre des avis sur toute question relative à l’audiovisuel et une instance décisionnelle (Collège d’autorisation et de contrôle) chargée d’attribuer les autorisations d’émettre aux télévisions et radios privées établies en Communauté française ; de contrôler le respect des obligations des éditeurs de services, distributeurs de services et opérateurs de réseaux et de sanctionner les infractions à ces obligations.

Le Reporter - Mohamed Zainabi

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