Nawal El Moutawakel, le sésame olympique

9 mars 2005 - 15h41 - Sport - Ecrit par :

Cette championne olympique marocaine dirige le comité d’évaluation du CIO pour les Jeux de 2012. Les New-Yorkais ont tremblé, les Parisiens retiennent leur souffle.

A athènes , pendant les derniers Jeux olympiques, elle recevait les journalistes pour le petit déjeuner, dans la salle de restaurant de l’hôtel du Comité international olympique (CIO). Elle s’excusait d’un sourire et d’une voix douce pour le quart d’heure de retard, puis s’excusait encore de n’avoir devant elle qu’une trentaine de minutes. Une heure plus tard, à la fin de l’entretien, elle s’excusait toujours, cette fois de ne pouvoir prolonger indéfiniment la conversation.

Dans l’intervalle, Nawal El Moutawakel avait démêlé avec des gestes lents, sur le ton de la confidence, les fils de sa singulière existence. Elle avait parlé de tout, de son enfance au Maroc, de ses années d’athlète, débutées à l’adolescence, de son entrée dans l’institution olympique, de sa mission à la tête de la commission d’évaluation des villes candidates aux Jeux d’été de 2012... De tout. Et surtout des femmes. Une habitude, héritée d’un passé de pionnière.

En 1984, aux Jeux de Los Angeles, Nawal El Moutawakel cachait au fond de son sac l’espoir d’une médaille, sur 400 m haies. Le 8 août, en début de soirée, sa victoire en finale a surpris la terre entière et l’a invitée à la table des immortels. "J’étais la première femme arabe, musulmane et africaine championne olympique, raconte-t-elle. J’avais 22 ans, mais je savais que cette course était l’occasion de ma vie. C’était l’endroit idéal. Pour la plupart des gens, je tombais du ciel."

La petite Nawal

elle mesure seulement 1,59 m - s’offrit un tour d’honneur, enveloppée d’un drapeau du Maroc. A Los Angeles, le public s’est pincé pour y croire. "Après la course, j’ai dû répéter aux journalistes que je ne venais pas de Monaco, mais de Morocco", glisse-t-elle. Au Maroc, où la course était diffusée en direct à la télévision, à 2 heures du matin, sa victoire a été fêtée dans la rue ; la foule envahit les boulevards jusqu’aux premières lueurs du jour. Le lendemain, le roi Hassan II a décrété que toutes les filles nées au pays en ce 8 août 1984 devront se prénommer Nawal.

Deux ans plus tard, elle a retiré ses pointes et mis au clou son survêtement. "Je voulais militer, transmettre un message, dit-elle. Les femmes étaient alors beaucoup trop rares dans le monde du sport. J’aurais pu continuer, j’étais encore jeune, mais je préférais me battre pour cette cause, occuper un vrai rôle dans la société civile."Depuis, Nawal El Moutawakel n’a plus abandonné sa canne et ses discours de missionnaire.

En 1998, Juan Antonio Samaranch l’a invitée à siéger au CIO. Au Maroc, en 1997, elle a accepté un portefeuille de secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et du sport, dans un gouvernement de transition, surtout formé de technocrates. Elle aime pourtant se qualifier d’apolitique. "Le sport unit, mais la politique divise", tranche-t-elle. Aujourd’hui, une seule carte de visite ne suffit plus à contenir toutes ses activités. Membre du conseil de l’IAAF, la Fédération internationale d’athlétisme, elle travaille pour l’Unicef, dirige une fondation pour l’environnement et l’alphabétisation, monte des événements sportifs. "Je crois être assez organisée, avoue-t-elle. Et, surtout, j’essaye de ne pas me disperser, en focalisant toute mon énergie sur des missions ponctuelles."

A Casablanca, son bureau lui ressemble, discret, modeste, sans luxe. Peu de meubles, mais aux murs une collection d’affiches des Jeux olympiques : Paris 1924, Tokyo 1964... Ses deux enfants ne se tiennent jamais loin. Elle les voit peu, le regrette, mais s’en explique en durcissant le ton : "Servir la cause des femmes est un combat trop important pour ne pas s’y donner à fond."

Une année, l’idée lui est venue de monter de toutes pièces, au Maroc, une course à pied exclusivement féminine. Le projet se voulait modeste, presque anecdotique. Mais plus d’un millier de concurrentes ont répondu à son invitation. "J’avais seulement prévu 300 dossards", raconte-t-elle dans un sourire presque confus. En 2004, pour les 20 ans de son titre olympique, elles étaient plus de 16 000 dans les rues de Casablanca, au départ de son épreuve. "Elles viennent pour moi, assure Nawal El Moutawakel. Pour envahir l’espace public, faire bouger les choses et se bouger elles-mêmes. Je sais qu’à l’arrivée elles ont toutes gagné."

A Casablanca, la ville de son enfance, il n’est pas rare de la rencontrer au petit matin, sur la corniche, s’autorisant un footing au petit trot, au mépris des consignes de son médecin. "Je souffre d’une arthrose lombaire, dit-elle. On me conseille de marcher, mais je ne sais pas, alors je trottine."Vingt ans plus tôt, elle ne croisait personne, sur ce même macadam, pendant ses longues séances d’endurance. Sinon, parfois, un regard de mépris ou un visage hostile.

Aujourd’hui, son allure est souvent freinée par les arrêts, nombreux, imposés par les autres coureurs. Des femmes, pour la plupart. "Elles me reconnaissent, on se parle, elles m’écoutent", glisse-t-elle sans masquer sa fierté. Sa dernière mission, la présidence de la commission d’évaluation du CIO pour les Jeux de 2012, Nawal El Moutawakel l’évoque avec des airs de militante, sans goût pour les allusions politiques, le jeu des non-dits ou les phrases en suspens. "Jacques Rogge -le président du CIO- me l’a proposé, j’ai accepté, dit-elle. Je faisais déjà partie de la commission des réformes qui a décidé d’interdire les visites des villes candidates. Jamais une telle responsabilité n’avait été confiée à une femme."

A New York, fin février, elle a conclu la visite d’inspection de la candidature américaine en qualifiant de "gagneur" le maire de la ville, Michael R. Bloomberg. Avant de préciser, sans nuance, que l’incertitude pesant encore sur la construction du stade olympique constituait "un risque" pour ce dossier. "Mon avis n’est pas décisif, la décision reviendra in fine à la session plénière du CIO", aime-t-elle assurer. Mais les New-Yorkais ont frémi. Depuis vingt ans, Nawal El Moutawakel a toujours su se faire entendre.

Alain Mercier - Le Monde

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