Les nomades marocains face aux incertitudes

10 janvier 2010 - 06h24 - Maroc - Ecrit par : • Journaliste Free lance, • Doctorant en Sciences Economiques, • Président du Forum de la Jeunesse Rurale FOJER

Que sont les nomades devenus ? Dans ce monde qui s’urbanise sans pour autant prendre en compte leur spécificité, quelles sont leurs perspectives ? Regard sur ces éternels voyageurs…

Ils appartiennent à un ensemble culturel avec une identité forte, une histoire et des références communes. Ils vivent entre Errachidia et Bouaarfa. Leur zone de vie traditionnelle, couvre une vaste partie du Sahara au Sud du Maroc. Ils s’appellent Ait Sghrouchens.

Ces nomades ont dû affronter, ces vingt dernières années, de graves modifications de leur cadre de vie : sécheresse, raréfaction du fourrage, problèmes d’infrastructures etc… Certains se sont sédentarisés, d’autres se livrent maintenant à l’agriculture.

Comment vivent–ils ? Quelles sont leurs frustrations ? A quoi rêvent-ils ? Voici quelques questionnements essentiels auxquels les éclairages apportés par notre reportage permettront de lever le voile sur bien des aspects demeurés inconnus au sein d’une population dont le potentiel humain ne doit pas être négligé.

Être Nomade, c’est s’adapter au monde sans perdre son âme

Les nomades se déplacent de manière organisée dans un territoire donné, plus ou moins étendu. Dans une époque où l’homme intensifie sa présence partout, les nomades ont cette capacité à exploiter des milieux difficiles : les déserts, le Sahara etc. Ils parviennent à mettre en valeur des immensités arides, semi-arides ou forestières, chaudes et froides, où l’agriculture est tout simplement impossible. Mais ces peuples sont de plus en plus menacés par des problèmes qui rendent leur vie plus rude et qui sont généralement liés à la déscolarisation, aux problèmes d’hygiène - record de maladies vénériennes notamment.

Les sécheresses qui se succèdent et les températures plus qu’extrêmes en été, ainsi que le froid rude en hivers ont aggravé la raréfaction des pâturages et la mortalité élevée des bétails. Il faut ajouter à la fragilité de l’écosystème qui ne permet plus aux plantes traditionnelles de pousser, l’isolement des familles dans les campements qui restent difficiles d’accès et qui ne bénéficient ni de suivi médical ni de moyens d’évacuation d’urgence.

Pour l’heure, les politiques gouvernementales ne présentent pas de perspective d’un avenir meilleur car aucun programme ne prévoit la construction de puits, d’écoles communautaires ou d’hôpitaux en zone nomade. Alors ces hommes libres en quête de changement et d’intégration à une vie plus moderne, souhaitent former leurs enfants pour mettre en place une élite de nouvelle génération contribuant à l’édification d’un Maroc uni et démocratique.

Une société masculine

L’homme assure la majeure partie, sinon la totalité des revenus en milieu nomade. Il est le responsable de la famille dont il a la gestion exclusive des biens.

Gardant les troupeaux, s’occupant de nombreuses corvées, l’homme dans la société nomade, assure l’approvisionnement de la famille, s’occupe de l’orientation générale des activités économiques. C’est aussi et toujours, l’homme qui noue les alliances et autres formes de solidarité avec les autres familles nomades.

Quant aux jeunes, ils sont repartis entre deux groupes d’âge : ceux de 10 ans et ceux entre 10 et 18 ans. Pour les premiers majoritairement analphabètes, ils constituent un élément privilégié dans la société nomade, surtout, lorsqu’il s’agit d’un garçon. Au fur et à mesure que l’enfant avance en âge, sa responsabilité s’accroît dans les affaires de la famille. Cette importance du rôle économique des jeunes explique en partie la réticence des nomades à la scolarisation des enfants.

Quant à la fillette, elle est généralement bien gardée à la tente – à l’attente – pour être parfois gavée et minutieusement préparée au mariage. La femme pour sa part a un statut tout particulier chez les nomades. Elle jouit d’un entretien matériel important, d’un respect social certain, mais, elle est toujours considérée comme spirituellement mineure… et inférieure.

La situation des femmes nomades n’est souvent pas enviable. Elles sont les principales victimes de l’extrême pauvreté et du manque d’infrastructures. Chargées des tâches domestiques quotidiennes, ces travaux deviennent terribles dans le contexte difficile. Ce sont par exemple elles qui sont chargées des corvées d’eau. Si dans certains endroits ou à certaines saisons il suffit de puiser l’eau au fond d’un puits, au cœur de la saison sèche et toute l’année dans certaines zones il leur faut transporter des bassines d’eau de près de 30 kg sur la tête et ce, sur plusieurs kilomètres pour assurer de quoi boire et cuisiner.

Les conditions d’hygiène dues au manque d’eau et à l’absence de médicaments sont également à l’origine d’une forte mortalité maternelle : le taux de femmes décédant lors d’un accouchement est un des plus élevés au Maroc. Quand leurs accouchements se sont bien déroulés, elles doivent faire face à une mortalité infantile qui leur fait souvent perdre l’un de leurs enfants. Elles deviennent généralement responsables d’une famille nombreuse qui, si elle fait la fierté du couple, génère aussi une somme de travail exponentielle pour la femme au foyer.

Alphabétisation et éducation des enfants 

Les enfants sont les premières victimes de la pauvreté chronique du pays : en plus de leur santé souvent négligée faute d’argent, le travail précoce et le prix des études font qu’un grand nombre de jeunes nomades ne sont jamais partis à l’école car jusqu’à présent, ils ne disposent d’aucune école primaire communautaire afin que les élèves de nomades puissent rester si leur famille s’en va. Les nomades ont exprimé leur besoin d’un programme d’éducation pour adultes et enfants. L’alphabétisation générale est entre 0 et 10%, la population nomade ne sait ni lire ni écrire ni faire des calculs. 

Les nomades et la participation politique

A part les nombreux problèmes socio-éducatifs, économiques et culturels auxquels se sont confrontés les nomades, au niveau politique les choses ne s’améliorent pas, la majorité écrasante des nomades se désintéressent de la chose politique par manque d’encadrements, par simple indifférence, par méfiance ou même parfois par cynisme. Ce désintérêt se manifeste concrètement par l’abandon du droit de vote, la majorité ne sait rien des élections et n’a jamais participé à une opération électorale, ce qui baisse encore plus leur pouvoir politique.

Les jeunes nomades sont une frange sociale dynamique capable de faire opérer des changements positifs, ils sont aussi de véritables acteurs de transformation de la conscience sociale en une forme de conscience politique dynamique apte à susciter un meilleur fonctionnement d’une démocratie nationale indiquée pour les citoyens au Maroc.

La question de la promotion des loisirs chez les jeunes nomades

Les conditions de vie dans le désert s’avèrent être un facteur limitant pour les jeunes candidats à la réinsertion. En effet, il n’existe généralement pas d’infrastructures de loisirs : les nomades ne connaissent même pas le cinéma, pas de terrain de jeu ni bibliothèques, vidéoclubs, théâtres, centres culturels, etc. Le jeune nomade est vite confronté au problème de répartition de son temps entre le travail généralement non rémunéré et le repos. La famille qui ne sait pas quoi offrir à ses enfants développe rapidement un sentiment de frustration, sinon de culpabilité. Beaucoup de nomades vont en fait en exode pour découvrir la campagne ou le village ; malheureusement l’attrait devient rapidement si fort que très peu songent à retourner à la tente.

Manque de formation et d’information des nomades 

On ne peut exercer ou réaliser un droit que lorsqu’on en a connaissance. En milieu nomade, les gens n’ont pas de culture foncière et ne sont pas formés à la gestion des ressources naturelles (production agricole, gestion de périmètres, fertilité des sols, gestion financière des fonds et du partenariat.). De plus, ils connaissent mal leurs droits (vie familiale, éducation et formation à un métier, protection sanitaire, amour, équipement professionnel etc.) et leurs devoirs (respect des parents, contribution à la promotion économique de la cellule familiale, alléger les parents de certaines tâches quotidiennes, assister les parents affaiblis par l’âge ou la maladie, préserver l’esprit de partage etc.).

L’absence de mise en place de « stratégies » par le gouvernement en faveur des nomades et le manque d’opportunités intéressantes pour leur insertion dans le processus de développement explique fondamentalement la nécessité de mener une réflexion approfondie sur les questions du nomadisme. Au Maroc, la production d’outils visant à faciliter le traitement systématique des questions propres aux nomades dans le cadre d’une politique publique, est une responsabilité partagée et nécessite l’intervention de plusieurs acteurs étatiques ou autres.

La mise en œuvre de cette politique exige une meilleure implication des nomades eux même car ils constituent l’essentiel de ses bénéficiaires et les forces vives chargées de la mettre en œuvre. L’implication progressive des nomades dans ce processus exige un bon niveau d’éducation et de formation susceptibles de lui permettre de faire face aux nombreux défis complexes. L’insertion sociale des nomades dans leur milieu est une condition essentielle pour le développement du pays. Par ailleurs il est important de signaler que l’approche principale au problème devra être le renforcement des capacités d’intervention des femmes et des jeunes à travers la formation et l’alphabétisation.

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