Objectifs du millénaire : Secouons-nous !

12 mars 2007 - 21h45 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le Maroc est à la traîne. C’est en tout cas ce que révèle un rapport de la direction des études et des prévisions financières (DEPF). Lors du sommet du millénaire organisé par les Nations Unies en septembre 2000, huit objectifs spécifiques et mesurables, appelés objectifs du millénaire de développement (OMD), ont en effet été fixés pour 2015.

Ils portent notamment sur la réduction de moitié de la pauvreté, la généralisation de l’éducation primaire, la promotion de l’égalité des sexes, la réduction de la mortalité infantile et maternelle, la lutte contre les virus mondiaux, la préservation d’un environnement durable et la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement durable. Pour évaluer la dynamique de réalisation de ces objectifs au Maroc, la DEPF a réalisé un benchmark avec la Tunisie, l’Algérie, le Sénégal, le Cameroun et la Mauritanie.

Sur les 6 chantiers analysés, les conclusions sont unanimes : si les tendances actuelles se confirmaient, le Maroc n’atteindrait pas la plupart des OMD.

Pessimiste, sûrement pas. Le rapport ne fait qu’alarmer, en se basant sur des documents officiels, avec l’espoir qu’il est encore temps d’inverser la tendance.

Insaisissable pauvreté

Concernant le premier chantier, la réduction de moitié de la pauvreté d’ici 2015, le Maroc affiche aujourd’hui un taux de 14,2% au lieu des 21% relevés en 1990 selon le rapport. Si l’on compare cette performance à celles du Sénégal, du Cameroun ou de la Mauritanie, où la moitié de la population souffre encore de pauvreté, le Maroc est un « performer » même s’il est encore loin des objectifs de 2015. Mais si on la rapproche de celle de la Tunisie, qui a réduit pratiquement de moitié son taux de pauvreté entre 1990 et 2000, passant de 9 à 4,2%, le Maroc fait pâle figure. Il en va de même pour son voisin algérien qui affiche encore un taux de 15%.

Faute d’avoir obtenu des commentaires de la représentation du Pnud au Maroc, après une semaine de tentatives aimablement détournées, nous ne pourrons pas exposer l’avis du principal relais des Nations Unies dans les pays concernés par ces programmes du millénaire.

La chargée de programme de la Commission européenne pour l’INDH, Stéphanie Druguet, partage, quant à elle, les craintes des rédacteurs du rapport : « Il est évident que vu l’ampleur de la pauvreté au Maroc, il va falloir avoir des moyens plus importants et réfléchir à comment renforcer le cadre stratégique de la lutte contre la pauvreté ».

La Commission a récemment décidé de fournir un appui financier important à l’action de l’INDH, dont le montant est tu pour le moment. Mais cette aide ne peut être efficace sans « une approche intégrée du problème, et une réflexion sur une nouvelle forme de redistribution des richesses dans le pays », explique Stéphanie Druguet.

Notons cependant qu’au Maroc, les initiatives étatiques censées accompagner l’INDH se sont multipliées ces dernières années. La part du budget de l’Etat allouée aux secteurs sociaux n’a cessé d’augmenter, passant de 39% en 1993 à plus de 47% en 2002, pour atteindre 55% en 2005, souligne le même document. Autant d’efforts, même s’ils ne sont pas encore suffisants, qui ont permis au Maroc d’annoncer un taux de réalisation de 65% pour cet OMD prioritaire, selon la DEPF.

Analphabétisme, une plaie béante

Autre objectif du millénaire qui a son importance, la lutte contre l’analphabétisme.

Mehdi Ben Barka avait déclaré dans une conférence organisée par les Béndictins à Tioumlini en 1957 : « L’éducation n’est pas une chose fondamentale, c’est la chose fondamentale ».

Cette épineuse question n’est en effet pas nouvelle dans le pays.
Moins de la moitié des Marocains ne savent toujours ni lire ni écrire, ce qui classe le pays au 138e rang mondial.

Le rapport rappelle le retard important du Maroc, avec un taux d’analphabétisme des 15 ans et plus qui reste parmi les plus élevés de l’échantillon (42,8% en 2004 contre 44,7% en 1990). Il se place juste avant la Mauritanie (48,8%), mais surtout derrière l’Algérie et le Cameroun qui enregistrent un taux avoisinant les 30%. Le Sénégal ferme la marche avec 61%.

Tous ces tristes chiffres rappellent ceux de la Tunisie dans les années 80, qui aujourd’hui compte 25,7% d’analphabètes.

Quid de la santé de la mère et de l’enfant ?

« Au Maroc, il existe une réelle volonté au plus haut niveau de l’Etat de résorber ce problème. Il y a tout de même 70% de la population rurale et 50% de la population en général qui sont touchés par ce fléau. Mais le problème c’est que cette volonté n’est pas traduite sur le terrain par une politique efficace et concrète », s’indigne le docteur Abderrahmane Moukit, fondateur de l’Association maghrébine d’alphabétisation. « Les fonds sont là, mais l’Etat persiste à traiter le problème avec des outils inadaptés, comme des cours d’arabe classique de type universitaire. Il faut donner à ces personnes des moyens de communiquer pour la vie de tous les jours et de demain aussi ».

Quant à la santé de la mère et de l’enfant, le rapport se montre plus optimiste. L’objectif de réduire de 2/3 le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est en passe d’être réalisé. Ainsi, le quotient de mortalité des moins de 5 ans est passé de 76 pour 1.000 naissances vivantes en 1990 à 47 en 2004, soit une baisse de 38%. Pour ce qui est des taux de réalisation de l’objectif, le Maroc est classé en deuxième position (60,4%) après la Tunisie (77%).

Que pense le professeur Bouchra Slaoui, directrice de l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Rochd, depuis 6 ans ? « L’environnement hospitalier a beaucoup changé. Le ministère de la Santé a débloqué des fonds pour améliorer le service des urgences des CHU et des hôpitaux préfectoraux, notamment ceux des enfants. Il reste encore beaucoup à faire, surtout dans les anciens services, mais déjà, ce n’est plus comme avant », rappelle-t-elle non sans modération.

En effet, si en termes de réalisation le Maroc est relativement avancé, de nombreuses contraintes restent à surmonter. Il s’agit essentiellement des causes périnatales de décès (conditions de grossesse, d’accouchement) représentant 37% de l’ensemble, ainsi que de la persistance de maladies infectieuses responsables de 50% de décès.
« Dans les CHU, les cas de mortalité sont plus élevés, car nous traitons les pathologies tertiaires tels les cancers. Ajoutez à cela les facteurs aggravants tels que le diagnostic tardif des parents et le manque de moyens ».

En effet, certaines tendances persistent : faiblesse du niveau socioéconomique de la population, difficulté d’accès aux services de santé, insuffisance du personnel médical et faibles allocations budgétaires dans certaines régions.

« Grâce à nos campagnes d’information, nous arrivons petit à petit à changer les mentalités, mais il est difficile d’atteindre les populations éloignées qui sont les plus touchées par la pauvreté et le manque d’éducation », rajoute la directrice de l’hôpital.

Quant à la mortalité maternelle, le Maroc a enregistré une baisse d’un tiers (34%) en milieu urbain, et 26% en milieu rural. Toutefois, les performances demeurent insuffisantes et ne représentent que 42,2% de l’objectif fixé pour 2015. Le benchmark place le Maroc en 3e position derrière l’Algérie et la Tunisie.

La part des accouchements assistés par un personnel médical dans le Royaume atteint 63% en 2003 contre 31% en 1991.

Le taux de recours à la contraception a également connu une évolution favorable, passant de 35,9% en 1990 à 63% en 2003. Cette évolution a été particulièrement remarquable en milieu rural où ce taux est passé de 24,6% en 1990 à 60% en 2003.

Dans ce domaine, le Maroc est classé en troisième position, loin derrière la Tunisie avec ses 89,3% et de l’Algérie qui dépasse les 90%. Le taux affiché par le Maroc est plutôt proche de ceux de la Mauritanie (58,2%) et du Cameroun (57%). La Tunisie et l’Algérie ont donc largement dépassé l’objectif fixé alors que la Maroc est toujours sur un taux de réalisation de 65,3% qui laisse perplexe.

Femmes et pouvoir

La promotion de la femme pour éliminer les inégalités de l’accès à l’emploi et aux ressources, aux champs politique, religieux et aux centres de décision, constitue également un OMD de taille. Selon le rapport, entre 1990 et 2004, le nombre de femmes diplômées a plus que triplé, avec un taux de féminisation dans certaines facultés atteignant les 60%. « Mais sont-elles dans des branches où il y a des emplois ? », s’interroge Saïda Drissi, vice-présidente de l’ADFM (Association démocratique des femmes du Maroc).

« Elles sont en masse dans la médecine, alors qu’il y a très peu de perspectives de carrière ici. Par contre, elles ont beaucoup de mal à intégrer les écoles militaires, comme l’académie de Meknès qui leur refuse carrément l’accès », regrette la militante féministe.
Selon le même rapport, le taux de participation de la femme est passé de 25,6% en 2001 à 28,4% en 2004. Actuellement, deux femmes sont membres du gouvernement, 35 siègent à la Chambre des députés, 36 aux Conseils des oulémas dont une au Haut Conseil, et enfin 35 aux Conseils locaux. Un constat qui, pour beaucoup de féministes sur la place, est loin de satisfaire.

« Il n’y a pas assez de femmes dans les pôles de décision, et surtout les pôles administratifs. Nous buttons sur de grandes réticences d’ordre culturel, l’égalité des sexes n’étant pas encore la tasse des Marocains. La grande majorité des femmes n’arrivent toujours pas, à compétences et diplômes égaux, à être payées et respectées comme un homme », s’indigne la vice-présidente de l’ADFM. « L’administration et les politiques ne font rien en termes de discrimination positive, alors que les officiels ne cessent de promettre le contraire à la télévision », s’exclame Saïda Drissi. Cette dernière appréhende d’ailleurs les futures élections : « Avec le seuil d’éligibilité fixé à 6%, les femmes seront les premières perdantes, jamais un parti ne les mettra en tête de liste ».

L’Economiste - Najlae Naaoumi

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