Interpellé par un groupe parlementaire sur le droit des Marocains résidant à l’étranger (MRE) à participer aux élections au Maroc, Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur a répondu sans détour.
En avril-mai, la France se choisira un président. Le scrutin promet d’être serré, et toutes les voix sont bonnes à prendre. Depuis quelque temps déjà, les partis politiques courtisaient discrètement les Beurs. C’est maintenant au tour des prétendants à l’Élysée. Les stratèges qui conseillent les candidats estiment que l’électorat beur n’est plus forcément une chasse gardée du Parti socialiste. L’intuition est difficile à étayer, aucun sondage ne pouvant être réalisé à ce sujet, la loi française l’interdisant.
Du coup, les politiques multiplient les marques d’intérêt et les appels du pied en direction de la communauté beur, qui représente des centaines de milliers de suffrages, pour un à un million et demi d’électeurs potentiels. Le 16 mars, les porte-parole et émissaires des différents candidats en lice ont tous répondu à l’invitation de l’association « Unir », pour réagir à la tribune aux interpellations des Français d’origine maghrébine. « Tous les présidentiables veulent passer à l’antenne : ils draguent », constate-t-on, amusé, du côté de la radio Beur FM...
Au jeu de la séduction, Jacques Chirac et Jean-Pierre Chevènement ont pris plusieurs tours d’avance. Le président de la République a su faire oublier ses propos malheureux sur « le bruit et l’odeur des immigrés dans les cités HLM ». Gaulliste, il a cultivé sa réputation d’ami des Arabes. Ses prises de position sur le conflit israélo-arabe ont été appréciées ; ses emportements aussi : les images de son clash avec le service d’ordre israélien à Jérusalem sont encore dans les mémoires. Et le « docteur Chirac » s’entend mieux avec Yasser Arafat qu’avec les dirigeants israéliens. Traditionnellement, les questions de politique étrangère influaient peu sur le vote des Beurs, mais, depuis la seconde Intifada, en septembre 2000, les choses sont peut-être en train de changer. D’autant plus que Lionel Jospin, le Premier ministre socialiste, est encore traumatisé par son incursion dans les territoires palestiniens (il avait été caillassé par les étudiants de l’université de Bir Zeit après avoir imprudemment comparé le Hezbollah libanais à un mouvement terroriste). Point d’orgue de l’offensive de charme de Chirac en direction de l’électorat beur : la visite à Bab el-Oued et le bain de foule.
Jean-Pierre Chevènement n’a jamais caché ses sympathies proarabes : pendant la guerre du Golfe, ministre de la Défense, il avait démissionné pour protester contre la politique de la coalition anti-irakienne. Lui aussi s’est rendu à Alger. Une première fois après l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Il y est retourné en janvier dernier, à l’occasion d’une tournée maghrébine pendant laquelle il a d’ailleurs été reçu avec des égards réservés normalement à un chef d’État. Le jour de la célébration de l’Aïd el-Kébir, il est allé à la Mosquée de Paris. « Un geste fort, commente Nadir Djennad, journaliste à Beur FM. C’était le seul présidentiable à être venu. Le recteur de la Mosquée, Dalil Boubakeur, l’a présenté comme "une des personnalités les plus appréciées de notre communauté". Ça ressemble beaucoup à une consigne de vote déguisée, bien que le recteur s’en défende. » L’ancien ministre de l’Intérieur a conservé sa popularité. Excusées, ses rodomontades sur les « sauvageons » - les petits délinquants irrespectueux : Chevènement est connu pour son franc-parler. Le candidat républicain s’est entouré de talents issus de l’immigration. Ses conseillers, comme l’ancien syndicaliste Karim Zéribi, ses amis, comme l’universitaire Sami Nair, l’aident à mieux cerner les attentes des Français d’origine maghrébine. Chevènement pourrait bien récupérer les voix des déçus de Jospin.
Entre les Beurs et les socialistes, tout avait pourtant bien commencé. Les Beurs ont fait irruption sur la scène politique à la fin des années quatre-vingt. C’était les années FN, les années de toutes les collusions et ambiguïtés. Les leaders de la droite appuyaient leurs clins d’oeil en direction des électeurs de Jean-Marie Le Pen. François Mitterrand et les socialistes apparaissaient alors comme les meilleurs défenseurs du droit des étrangers à vivre en France. Logiquement, les Beurs votaient à gauche. Aujourd’hui, ils sont désenchantés, amers. Ils ont le sentiment d’avoir été floués. Les promesses n’ont pas été tenues. Le droit de vote des immigrés - leurs parents - aux élections locales reste à conquérir. La double peine continue à être appliquée, et les sans-papiers n’ont pas tous été régularisés. Et eux sont toujours absents des instances dirigeantes du Parti socialiste. Sous l’impulsion de Jospin, les femmes, jadis sous-représentées dans la vie politique, ont fait l’objet de toutes les attentions. Pas eux. Le candidat-Premier ministre le sait et, en dévoilant, le 19 mars, le détail de son programme, il a inauguré la session de rattrapage. Il s’est engagé à donner enfin le droit de vote aux étrangers et a promis un emprunt européen pour les pays méditerranéens.
Ce florilège de mesures « marketées » suffira-t-il à dissiper le malentendu ? Pas sûr, car les Beurs ont d’autres motifs de frustration. Ils ont l’impression que le gouvernement Jospin ne s’est pas beaucoup impliqué dans la lutte contre les formes de discrimination dont ils sont victimes, à l’école, à l’embauche, pour l’accès au logement. « Et, regrette Naceur Kettane, le patron de Beur FM, il n’y a jamais eu autant de bavures policières et de délits de faciès que ces dernières années... » « Jospin n’a pas accordé à la question des discriminations toute la considération qu’elle méritait, juge Malek Boutih, le président de l’association SOS Racisme. Il a analysé les problèmes des Beurs sous le seul angle économique. Il croyait que le retour de la croissance règlerait la question de l’exclusion. Or c’est l’inverse qui s’est produit. Le fossé s’est creusé, la reprise a profité aux plus qualifiés, mais elle a fragilisé les populations qui étaient déjà en précarité. L’horizon des jeunes des banlieues difficiles est encore plus bouché qu’il y a cinq ans. »
Enfin, le discours socialiste centré sur l’intégration n’est plus en phase avec les aspirations de la majorité des Français d’origine maghrébine. « Les Beurs n’ont pas à se poser la question de l’intégration, dit Kettane. Ce ne sont pas des immigrés qui doivent s’intégrer dans un pays d’accueil, mais des Français à part entière, qui souhaitent simplement faire valoir leurs droits et être reconnus pour ce qu’ils sont. » C’est-à-dire des Français musulmans, citoyens de culture musulmane, à défaut d’être tous pratiquants. Fièrement, ils redécouvrent et assument leurs racines, leur héritage arabo-musulman. Le regain de religiosité, observé depuis une dizaine d’années, est interprété un peu vite comme un signe de repli communautaire. C’est, d’abord, un retour aux sources. Qui place la gauche laïque en porte-à-faux avec une partie d’entre eux. « Les socialistes ont appréhendé le problème beur à partir d’un système d’oppositions binaires, constate Akli Mellouli, élu local et membre de la Ligue de l’enseignement. Il y avait les "intégrables" - pour caricaturer, les Beurs de "Touche pas à mon pote" -, et les autres, la minorité résiduelle des musulmans pratiquants, jugés réfractaires à toute forme d’intégration. Ils ont voulu séparer le bon grain de l’ivraie. Plaquer leur modèle là où il fallait réviser leurs conceptions. Ils n’ont pas compris que l’islam constitue une des dimensions fondamentales de l’identité des Beurs. »
La droite s’est engouffrée dans la brèche. Le RPR, sensibilisé par ses relais au sein de la communauté harkie, a commencé à travailler en profondeur les associations de Français musulmans. Les bonnes relations entre le parti gaulliste et les pouvoirs algérien et marocain, qui contrôlent d’influentes institutions confessionnelles, ont facilité la réussite de l’OPA conservatrice. Chirac y est aussi allé de son geste symbolique : début 2000, il a invité à l’Élysée une petite délégation d’imams et de recteurs à une cérémonie protocolaire de voeux. Une première dans les annales.
Alors, les Beurs vont-ils tourner le dos au Parti socialiste et à son candidat ? Pour l’instant, rien n’est acquis, tant le rejet de la classe politique dans son ensemble est un phénomène fort. Les Beurs qui se sentent totalement exclus ne s’inscrivent pas sur les listes ou s’abstiennent. D’autres sont tentés par le vote protestataire de type communautaire. Les listes « Mo-ti-vées », présentées à Toulouse ou dans certaines villes de la banlieue parisienne, lors des dernières municipales de 2001, ont capté une part importante de leurs suffrages.
Ceux qui sont les mieux insérés dans la société française, c’est-à-dire l’immense majorité, ont pris une certaine distance avec la politique. Ils ne veulent plus signer de chèques en blanc et se contenter de strapontins. « Les partis doivent comprendre que les Beurs ne se comportent pas comme les petits chiens abandonnés qui suivent le premier passant à les avoir caressés », explique Akli Mellouli. Sceptiques, ils rechignent à s’engager, à la différence de leurs aînés, jeunes adultes dans les années quatre-vingt. C’est qu’entre-temps, le Front national s’est scindé en deux : il ne représente plus une menace. Conscients de la vanité de tout engagement politique - pas un seul député d’origine arabe ne siège à l’Assemblée nationale -, les Beurs préfèrent se lancer dans les affaires. Pour devenir des acteurs de la vie économique, à défaut de pouvoir l’être en politique. Mais la réussite dans le champ libéral engendre, inévitablement, de nouvelles attentes. Et influe sur le comportement politique.
Les petits commerçants, épiciers, cafetiers, restaurateurs, souhaiteront moins de réglementation, moins de taxes, moins d’entraves. Les chefs d’entreprise, patrons de PME, voudront voir baisser les charges. Beurs, leur coeur continuera à battre à gauche, mais la raison leur intimera de voter à droite. Sur le fil, un élément emportera peut-être leur décision, s’ils trouvent, dans les partis de droite, des gens qui leur ressemblent, des Français d’origine maghrébine qui sont parvenus à se frayer un chemin sans être cantonnés dans le rôle de « Beurs de service ». Un homme l’a compris, c’est Alain Madelin. Le président de Démocratie libérale, candidat à l’élection présidentielle, a, certes, commencé, dans sa jeunesse, à la droite de la droite. Mais il a changé son fusil d’épaule.
Chantre de la libre entreprise, partisan de la dépénalisation du cannabis, il se reconnaît dans cette France multiculturelle qu’il observe au quotidien. Et estime que les appareils politiques doivent offrir davantage d’espace aux jeunes issus de l’immigration. Aux élections européennes de 1999, il a propulsé une Beurette, Tokia Saïfi, au Parlement de Strasbourg en lui offrant une bonne place sur sa liste. Tokia Saïfi, la militante associative lilloise, lui sert maintenant d’agent recruteur au sein de la communauté beur. Objectif : convertir au libéralisme un maximum de Français d’origine maghrébine, et leur offrir des perspectives de carrière au sein de DL. À droite, il a fait quelques émules. Au RPR notamment. Le parti gaulliste veut aussi accroître son audience au sein de la communauté beur. Il organise des promotions éclairs. Un travail de fourmi qui pourrait bien porter ses fruits dans quelques années. L’émergence d’une vraie figure politique beur crédible pourrait agir comme un électrochoc sur le reste de la communauté. Et précipiter son ralliement à la droite. Impensable ? Pas
Jeune afrique
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