La presse marocaine interdite en France !

21 juin 2007 - 01h12 - France - Ecrit par : L.A

Les Marocains savent-ils que la presse de leur pays est assignée à résidence ? La diffusion de notre presse en France est interdite, non pas de droit, mais dans les faits. Les NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne), qui s’accaparent le quasi-monopole de la distribution de la presse en France, nous ont opposé comme une fin de non recevoir. Elles ne veulent pas entendre parler de nos titres, en dehors du circuit de leur filiale marocaine.

En effet, les NMPP, qui siègent allègrement au sein du conseil d’administration de Sochepress, posent des conditions quasiment humiliantes à la mise en vente des journaux marocains dans l’Hexagone. Le gouvernement marocain semble s’accommoder de cette exclusion, franchement scandaleuse. Etat des lieux.

Pas moins de 150 millions de dirhams, qui plus est, en devises sonnantes et trébuchantes, quittent le pays pour aller enrichir les magnats de la presse française. Ce chiffre correspond au coût d’importation de la presse française au Maroc. En contrepartie de cette magnanimité pour le moins déplacée, l’establishment de la diffusion en France nous oppose un protectionnisme digne des sales temps de la coloniale. Pourtant, la demande de la presse nationale en France est forte. Le million de Marocains qui vit dans ce pays est assoiffé de la presse du pays d’origine. Sans compter les centaines de milliers de Français (étudiants, chercheurs, journalistes, hommes d’affaires, amis du Maroc…etc.) qui ne cessent d’exprimer une curiosité croissante pour les affaires du Royaume. Nous autres journalistes, à chacune de nos visites en France, sommes constamment interpellés à cet effet. En témoigne également l’engouement des habitants de l’Hexagone sur les sites Internet des titres marocains.

Lors de la présentation du rapport « Le Maroc possible » le mois dernier à Paris par Ahmed Herzenni, à la veille de sa nomination par le Souverain à la tête du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), les représentants les plus qualifiés de la communauté marocaine, ont interpelé publiquement l’ambassadeur Fathallah Sijilmassi sur la question. Quelle que soit la bonne volonté de ce dernier, il ne peut briser le blocus organisé contre la presse nationale au pays de Montesquieu. Les tentatives, bien timides, entreprises par quelques responsables marocains, ont été écartées d’un revers de la main. Dans le sens France-Maroc, des tonnages impressionnants de publications, sont déversés sur les kiosques marocains, torchons de caniveau compris. Ces publications sont payées en euros, au détriment de nos balances commerciales et des paiements. D’ailleurs, en la matière, non seulement nous importons, mais nous imprimons chez nous des titres français qui tiennent le haut du pavé au sein de nos kiosques.

Mais il y a pire : Certains magazines (Paris Match, Le Point, L’Express…etc.), qui ont vendu des pages élogieuses et des couvertures sur le Royaume et/ou son Souverain, restent en vente durant plusieurs mois sur nos kiosques. Pire encore : le magazine « Choc », dans sa célèbre édition putassière sur Marrakech, nous a été fourgué après une fin de carrière sur les arrières-bacs des kiosques français. Des invendus recyclés auprès de nos autres jobards. Le vieux au prix du neuf ! De plus, le déséquilibre de la fluidité éditoriale entre le Maroc et la France est aggravé par les aides généreusement fournies par l’Etat français dans le cadre du rayonnement de la langue et de la culture françaises. Au Maroc, la quasi-totalité de la presse française est importée par la société Sochepress. Les Français, dont les fameuses NMPP, y détiennent 70%. La partie marocaine n’y possède que les 30% restants. Au sein des 70%, on trouve, notamment, Socpresse, le groupe acquis depuis deux ans par Serge Dassault, l’un des trois plus grands magnats de la presse française. Ces messieurs ne concèdent la diffusion de la presse marocaine, que par le seul biais de leur propre acquisition marocaine, c’est-à-dire Sochepress. Exit donc Sapress, le plus grand distributeur de la presse nationale !

Du coup, les titres marocains distribués en France, se contentent d’une mise en place embryonnaire : quasi-absence en province ; moins d’une vingtaine de points de vente en Île-de-France.

Affaire politique

Même dans les banlieues et les quartiers à forte fréquentation marocaine, seuls trois à quatre titres marocains arrivent à se frayer une place au milieu des publications françaises et maghrébines. « Je suis souvent frustré de ne pouvoir placer dans mon kiosque des titres marocains. Simplement parce que les petites sociétés qui distribuent ces titres, comme par exemple IPS, ne peut tenir tête aux NMPP. Pourtant, la presse marocaine compte des titres d’une grande qualité, tant au niveau du look qu’à celui du contenu », nous déclare M. Lebchiri, Jdidi d’origine et patron du plus grand kiosque du quartier Barbès. En fait, la réciprocité ne peut être obtenue au moyen de tractations isolées entre les NMPP et chacun des titres nationaux. « C’est une affaire politique qui doit être négociée entre les deux gouvernements », assure la quasi-totalité des éditeurs marocains. Les Algériens l’ont compris depuis belle lurette. Leur presse a été imposée au nom du principe de la réciprocité, le seul équitable de tous, à l’ère de la mondialisation. « Nous avons simplement refusé de payer la presse française, lorsque les NMPP nous ont refusé l’accès au marché français. Les autorités françaises ont vite réagi en « conseillant » aux gros distributeurs de l’Hexagone, de nous prendre à des conditions équitables. De plus, Air Algérie a aussitôt suivi le mouvement, en transportant gratuitement nos journaux vers la France et en rapatriant tout aussi gratuitement les invendus », raconte Abelhamid Berdouh, un conseiller de l’ambassade d’Algérie, rencontré au Centre culturel algérien de la rue La Croix Nivert. De Centre culturel marocain, il n’y a point trace en France. Comme d’une position gouvernementale cohérente et digne en matière de libre circulation des produits culturels. A l’instar d’Air Algérie, Tunis Air a exempté les titres tunisiens, de tous les frais de transport à l’aller comme au retour des invendus.

Le courage de Nabil Benabdellah ne suffit pas. Les bonnes dispositions au coup par coup de la RAM non plus. Il faut mettre fin, une bonne fois pour toutes, à ce déséquilibre qui n’a que trop duré.

Cela dit, Sochepress, en entreprise soucieuse avant tout des dividendes de ses actionnaires, ne peut être tenue pour responsable d’une telle situation. « Nous avons un droit qu’il faut défendre. Cessons de pratiquer la haine de soi. Notre ouverture sur le monde ne peut se faire, au détriment de notre propre rayonnement », nous dit Mohamed Abderrahmane Berrada, PDG de Sapress. « Les hommes ne sont guidés que par le mépris d’eux-mêmes et le caprice d’asservir autrui », écrivit un certain Voltaire, inspirateur premier de la célébrissime Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789. A bon entendeur salut !

Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine

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