La France en quête de "main-d’œuvre" médicale ... au Maroc

23 février 2005 - 10h13 - France - Ecrit par :

Depuis 6 ans, la France a besoin de médecins. Les spécialistes marocains sont les plus intéressés pour aller exercer dans l’Hexagone. Ce pays qui les sollicite, les recrute puis les tient dans une précarité de l’emploi. Placés dans des hôpitaux périphériques, ils sont sous-payés, subissent une cadence de travail terrible et bénéficient rarement d’un statut de “médecin”.

Anesthésistes, psychiatres, chirurgiens, gynécologues... Autant de spécialités peu prisées par les étudiants français et que des médecins marocains s’envolent par centaines, pour combler le déficit de la santé publique en France. Dans leur majorité, ils ont eu leur diplôme de médecine au Maroc. Un diplôme, à la base, pas reconnu par l’Etat français. On trouvera tout de même toujours le moyen d’établir une dérogation. Les hôpitaux de l’Hexagone ont fort besoin de ces médecins étrangers et les sollicitent de plus en plus. Ces étrangers, marocains pour la plupart, qui peinent à se faire reconnaitre un statut égal à leurs collègues français, un salaire égal, un rythme de travail égal.
Ces médecins travaillent dans la précarité totale et sont quasiment exclus de l’exercice libéral de leur profession en France. Depuis quelques années, surtout avec les départs en retraite de toute une génération de médecins français, les diplômés “nationaux” en médecine ne sont plus en mesure de répondre aux besoins de la Santé publique de leur pays. La France manque particulièrement de certaines spécialités, “le choix des étudiants français va plus vers les spécialités plus faciles, moins risquées dans la pratique et aux durées d’études plus courtes”, affirme une étudiante marocaine en médecine à la faculté de Strasbourg. “En choisissant des disciplines plus compliquées, comme la réanimation ou la chirurgie, nous avons plus de chance en tant qu’étrangers d’être admis dans les hôpitaux ici”, ajoute la jeune fille.
“Sans les médecins marocains et maghrébins en général, ce sera la catastrophe dans les hôpitaux en France”, ajoute ce médecin chirurgien installé en France depuis bientôt 30 ans, qui a dû travailler pendant 20 ans avec un salaire de misère en tant que “FFI” (faisant fonction d’interne) dans l’hôpital de Sélestat, un petit village au Nord de la France. S’il a fait ses études de médecine à la faculté de Casablanca, M.K a pourtant fait sa spécialité de chirurgien en France.
Pour ces Marocains, accéder au statut de “médecin” en France s’avère un véritable parcours de combattant. Mais encore, il faut nairguer dans le sens du courant et être très attentif à la législation française qui change tous les 5 ans, en fonction évidemment des besoins du pays en “main-d’œuvre” médicale.

On a besoin de vous, mais...

En fait, pour accueillir ces jeunes diplômés en médecine venus du Maroc (et d’autres pays hors UE), la France a d’abord mis en place le “DIS” (Diplôme inter-universitaire pour les spécialités).
Destiné seulement aux étrangers, le diplôme vise à former des médecins spécialistes à condition qu’ils rentrent exercer dans leur pays d’origine. Ainsi, le DIS est reconnu au Maroc mais pas en France. La France accordait ainsi un diplôme qu’elle ne reconnaissait pas (!).
Les lois changent très vite en France. Heureusement. Car, après le DIS, le ministère français de la Santé a instauré le concours “PAC” ( praticiens adjoints contractuels). Inventé à un moment où le besoin en médecins s’est fait sentir, ce concours donne droit au médecin qui le réussit de travailler deux ans dans un hôpital comme PH (praticiens hospitaliers), et d’avoir la possibilité après quelques années de travailler dans le privé.
Le PAC, comme bien d’autres initiatives qui suivront, n’était qu’une mesure transitoire qui a pris fin au bout de 5 ans. Une fois les besoins du pays en termes de personnel médical comblés, l’examen du PAC a été interrompu. Il y a eu ensuite un concours internat réservé aux seuls Marocains ayant eu leur diplôme de médecine en France. Les deux pays ayant signé un accord selon lequel tout médecin marocain ayant un diplôme français peut s’installer en France et y travailler. Un traitement réservé également aux Tunisiens.
“Les lois nous concernant changent souvent. En France, nous sommes contraints de nous incliner devant bien des mesures restrictives à notre égard. Mais nous sommes obligés d’accepter tout cela parce que nous n’avons pas le choix. Cette discrimination se fait sur une base juridique tout à fait légale”, reconnaît Nawal Bougrini, pédiatre exerçant en France qui ajoute, qu’”ici, on peine vraiment à arracher un statut de "médecin". Le plus souvent, on se contente de celui d’assistant ou d’internes. Un statut que les diplômés français abandonnent au bout de deux ans, mais que les Maghrébins conservent décidément trop longtemps”.
Mais là encore, la galère n’est pas à sa fin pour les médecins maghrébins. Le bouleversement leur vient à présent du bloc de l’Est. les hôpitaux français optent pour les médecins roumains et polonais. Une concurrence terrible.
Grâce à l’homologation des diplômes européens, les médecins venus des pays de l’Est pourront exercer sans problème. Du coup, un Marocain qui exerce et fait des gardes depuis 20 ans, mais qui n’a jamais eu un diplôme de l’Etat français se retrouve encore plus marginalisé.
La solution pour ces médecins, et certains l’ont déjà fait, c’est de repartir à zéro. Refaire les études de médecine en France. Bon courage !

Médecin anesthésiste à Casablanca "Je suis rentré au Maroc il y a 7 ans. Je le regrette déjà"

"J’ai eu mon diplôme de médecine au Maroc, puis j’ai passé le DIS (Diplôme inter-universitaire pour les spécialités) en France. J’ai fait une spécialité en anesthésie générale. Selon le principe du DIS, j’étais censé rentrer au Maroc après, mais à peine avais-je eu le diplôme qu’ils ont instauré l’examen pour PAC (praticiens adjoints contractuels) que j’ai réussi. J’ai donc exercé en France pendant 10 ans en tant qu’interne. Pendant toutes ces années, je touchais un salaire 3 à 4 fois inférieur à celui de mes confrères français. Je touchais pratiquement le salaire d’un infirmier. A un moment, je n’arrivais plus à supporter cette discrimination. J’ai dû prendre la décision de rentrer au Maroc. Cela fait maintenant 7 ans que j’exerce ici, mais je me demande déjà si j’ai bien fait de rentrer. Je commence à regretter mon retour. Car si en France, nous manquions d’un salaire égal et d’un statut clair, au Maroc, le problème se pose au niveau de la pratique quotidienne, de la concurrence déloyale et le manque de régularisation de la profession. Surtout en ce qui concerne l’anesthésie. C’est une spécialité qui n’a pas re règles au Maroc. Des infirmiers font notre travail. Au Maroc, outre l’aspect matériel qui n’est pas assez satisfaisant, on manque d’une reconnaissance professionnelle. Aujourd’hui, je pense que c’était une erreur de ma part de rentrer. Car en France, au moins, l’aspect professionnel était irréprochable. Aujourd’hui, il y a une forte possibilité que je reparte là-bas . Je pense même à m’inscrire au concours de médecins du ministère de la Santé français qui aura lieu en septembre. Mais depuis presque trois ans, il y a aussi l’option d’aller exercer au Canada. Ce pays manque aussi de médecins dans la santé publique et ouvre ses portes aux médecins étrangers auxquels il accorde même un statut égal aux nationaux. Il n’existe pas ce problème de "statut intermédiaire" comme en France".

Lamia Bouzbouz - La Gazette du Maroc

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