Attentats : révélations des terroristes devant la Cour d’appel de Casablanca

27 juillet 2003 - 15h19 - Maroc - Ecrit par :

Maintenant, nous en savons un peu plus. Mohamed Omari et Rachid Jalil, sans tout dévoiler, ont apporté de précieux éclaircissements sur la préparation et l’exécution des odieux attentats du 16 mai dernier.
Les déclarations devant la Cour des deux candidats au suicide, dont l’un avait été neutralisé par des clients de l’hôtel Farah et l’autre avait déposé la bombe qu’il transportait à proximité du club de l’alliance avant de s’éclipser permettent, aujourd’hui, de mieux comprendre ce qui s’est passé.

En effet, la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca examine depuis vendredi plusieurs affaires dans lesquelles sont mis en cause plusieurs terroristes appartenant aux mouvements de la « Salafia Jihadia » et de « Sirat Al Moustaquim » impliqués directement dans les actes barbares qui ont endeuillé le Maroc. Après un débat sur les vices de formes qui a pris quasiment toute la matinée , la cour a entamé l’audition des inculpés en milieu d’après-midi.
Mohamed Omari a été le premier à être appelé à la barre. Selon ses déclarations, les 14 kamikazes sont arrivés chez lui la veille des attentats où ils ont passé la nuit de jeudi et toute la journée du vendredi.

A leur arrivée à la maison de Mohamed Omari , aux environs de 22 heures, ils ont tous vu une cassette-vidéo intitulée « Le Paradis et l’enfer ». Ce film de fiction, réalisé dans un pays du Proche-Orient, montre ce qui attend les mécréants en enfer et les croyants au Paradis. Un tel document, croyons-nous savoir, constitue l’ultime préparation psychologique, des candidats au suicide qui croient fermement que leur acte désespéré leur ouvrira les portes de l’Eden.

Les terroristes se sont réveillés très tôt le matin du vendredi pour effectuer la prière d’Al Fajr et probablement pour se rassasier car ils vont jeûner.
Lors de son audience, Mohamed Omari n’a pu donner le nombre exact des personnes qui ont jeûné. Il est resté évasif sur plusieurs points alors qu’il est un acteur principal des actes barbares qui ont fait plus d’une quarantaine de morts.

C’est chez lui où se sont rassemblés les kamikazes. C’est de chez lui qu’ils sont partis pour commettre leurs ignobles forfaits.
C’est chez lui qu’ont été fabriquées les bombes. Il a confirmé cela devant la Cour, mais il n’a pas voulu aller plus loin dans ses déclarations en citant le minimum de noms, notamment ceux des personnes qui ont contribué à la fabrication des explosifs, des détonateurs et qui ont confectionné les bombes.

Mohamed Omari s’est également refusé de décrire les différentes phases de préparation, se contentant à chaque fois de parler de Abdelfatah, le porteur de l’une des bombes qui a explosé dans le hall de l’hôtel Farah. Il répétait également à chaque fois qu’il ne voulait pas participer à ces actes mais , qu’il y a été forcé, mais le président de la Chambre criminelle près la Cour d’appel de Casablanca lui a fait remarquer que ce qu’il avance n’est pas possible puisque « tu étais libre de tes mouvements.

C’est chez toi que le groupe était réuni. C’est toi-même qui es allé acheter le lait, les dattes et les sandwichs par tes amis. Quand Abdefatah a eu un malaise, c’est toi qui es allé chercher les médicaments de l’extérieur. Tu t’es ensuite rasé la barbe de ton plein gré. Tu as mis des vêtements communs pour ne pas attirer l’attention. Tu es allé jusqu’à l’hôtel avec une bombe sur le dos et tu dis que tu ne voulais pas faire cela ». Cela ne tient pas debout. Mohamed Omari, s’il n’était pas d’accord, il avait eu plusieurs possibilités pour fuir et aller alerter les autorités compétentes.

Il n’a pas fait cela. Il est allé jusqu’à l’hôtel avec sa bombe et selon les témoins oculaires, ceux-là mêmes qui ont contribué à sa capture, le souffle de la première déflagration l’a fait trébuché. Il avait auparavant, en compagnie de l’un des kamikazes forcé l’entrée du Farah en bousculant le portier et pénétré jusqu’au hall où la première bombe a explosé. Un troisième kamikaze s’est fait explosé devant l’hôtel après avoir poignardé le portier qui a tenté de l’empêcher d’entrer.

Après un bref moment, Mohamed Omari s’est relevé, a déposé la bombe dont le système de mise à feu n’a peut-être pas fonctionné et a tenté de faire exploser une bouteille contenant un certain liquide instable, mais des clients de l’hôtel lui ont sauté dessus et sont arrivés à le maîtriser. Un quatrième candidat au suicide qui était également désigné pour se faire exploser dans le Farah n’est pas venu au rendez-vous. Il s’agit de Hassan Taousi qui comparait également dans ce procès. Mohamed Omari n’a pas tout révélé, mais ce qu’il a dit est accablant. Il nie par exemple son appartenance à la “Salafiya Jihadiya” qui, d’après lui, n’existe pas. « C’est une invention des journaux, le mouvement auquel j’appartiens c’est Ahl al Kitab wa Assounna" » (Les gens du Livre et de la Sounna). Cependant, de temps à autre, il fait quelques déclarations très significatives. « C’est en rejoignant le groupe de Miloudi Zakaria (Assirat Al Moustaquim) que j’ai commencé à penser au Jihad », a-t-il précisé en évoquant son itinéraire initiatique.

Comme Mohamed Omari, le deuxième inculpé appelé à la barre, Rachid Jalil sera avare en précisions. cependant, ses déclarations permettent de voir plus clair. Selon Rachid Jalil, les attentats devaient avoir lieu le 9 mai 2003, mais une divergence entre les membres du groupe a été à l’origine du report. Rachid Jalil a confirmé les déclarations de Mohamed Omari concernant le rassemblement du groupe, le jeudi 15 mai vers 22h30. « Après la prière d’Al Ichaâ, a dit Rachid Jalil, nous sommes allés à la maison de Omari où on a vu la cassette “Le Paradis et l’Enfer". Nous nous ommes endormis après et on s’est réveillé le matin pour effectuer la prière d’Al Fajr ».
« M’hari qui avait apporté des interrupteurs, a commencé à les fixer sur les fils électriques qui sortaient des sacs. J’ai compris à ce moment qu’il s’agissait d’explosifs. Je voulais sortir, mais la maison était fermée à clef. Un peu avant Al Maghrib, Abid Saïd, qui était à l’extérieur, est venu nous annoncer que tout était dans l’ordre (dak chi houa hadak). « Les bombes étaient prêtes dans les sacs.

On s’est rasé et on a changé de vêtements. Chacun a pris un sac, une bouteille contenant un liquide explosif, un coutelas, un briquet et une montre. On a dit qu’il faut actionner le dispositif à 22h précises. Nous avons constitué quatre groupes pour aller sur quatre sites différents ». « Khalid Benmoussa, M’hari et moi-même devions aller au club de l’Alliance juive. Nous avons pris un taxi qui nous a déposés à proximité de l’hôtel Hyatt Regency. Nous étions arrivés un peu tôt alors nous nous sommes arrêtés un moment dans un jardin puis on s’est dirigé vers notre cible ». Rachid Jalil a ensuite raconté comment il a abandonné la bombe qu’il transportait à quelques mètres du club de l’Alliance et a pris la fuite avant d’être appréhendé deux jours plus tard par les forces de l’ordre.

Rachid Jalil, comme Mohamed Omari, n’ont donné aucune précision sur le choix des sites, la manière dont ont été constitués les groupes et surtout ils ont pris le soin de ne divulguer aucun nom à l’exception de ceux des kamikazes et notamment les noms de ceux qui ont organisé le massacre d’innocentes victimes, qui l’ont planifié et qui l’ont financé. Le troisième inculpé appelé à la barre, Yacine Lahnech est allé plus loin dans ce stratagème en disant : « J’ai fait de fausses déclarations à la police judiciaire et au juge d’instruction » et, en évoquant les cours d’endoctrinement, il a précisé « qu’il s’agit simplement de réunions éducatives ».

Cependant, ni la police judiciaire, ni le juge d’instruction n’ont inventé les faits qui sont dans leur ensemble concordants que ni Yacine Lahnech, ni Mokhtar Baoud qui a été appelé après lui à barre n’ont pu expliquer d’une manière logique et satisfaisante se contentant de répondre par des phrases évasives et incomplètes.
Rappelons que la deuxième séance de vendredi, qui a été levée à minuit exactement, a été caractérisée par un débat de plusieurs heures sur les vices de formes. La défense entend jouer son rôle à fond en engageant une bataille procédurale en bonne et due forme. Le procès reprendra ce lundi à partir de 9h30.

Lematin.ma

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