Le « shit marocain » devient rare

3 octobre 2007 - 02h05 - Maroc - Ecrit par : L.A

La scène, à l’époque confidentielle, se passait dans une demeure luxueuse de la banlieue bruxelloise. Nous étions à l’entrée de l’hiver 2004-2005, et le Maroc continuait à abreuver l’Europe de résine de cannabis, ce produit qu’on appelle communément haschisch, shit ou teuch, et qui a les faveurs d’environ 160 millions d’utilisateurs de par le monde. Les dérivés du cannabis, dont la nocivité a longtemps été ignorée, constituaient alors – et sont encore – les stupéfiants illégaux les plus largement diffusés dans la planète.

Fin 2004, malgré les promesses répétées d’Hassan II puis Mohammed VI, le Maroc demeurait le premier producteur mondial de la forme la plus condensée et la plus nocive de cannabis, sa résine. Au royaume, 134.000 hectares étaient consacrés à sa production, livrant chaque année quelque 3.000 tonnes de résine. Les provinces de Chefchaouen (plus de la moitié de la production nationale), Taunate et Al Hoceima menaient la danse.

L’idée surgit alors, au sein des Nations unies, de mettre le couteau sur la gorge du Maroc : soit Casablanca engageait enfin une lutte effective contre ce fléau, soit les organismes financiers dont l’Europe avait le contrôle seraient invités à tarir l’aide apportée au Maroc. En cette fin 2004 à Uccle, nous en sommes témoins, le président de la Banque européenne d’investissement (BEI) Philippe Maystadt approuva le principe de cette stratégie.

Cent mille familles

Il nous pardonnera sans doute cette indiscrétion, car la stratégie ne sera jamais appliquée. Dès la diffusion des statistiques de l’ensemble de l’année 2004, l’implication du Maroc dans la lutte antidrogue apparaît réelle : pour la première fois, la production tombe à 2.760 tonnes de résine, pour des surfaces cultivées de 120.500 hectares.

Ce n’est pas une maigre réalisation : le cannabis constitue alors le revenu principal de plus de cent mille familles marocaines.

La tendance se confirmera de manière plus spectaculaire encore en 2005, dernier exercice pour lequel nous disposions de chiffres : la production de résine était tombée à 1.066 tonnes, pour 76.000 hectares cultivés. En d’autres termes, l’Afghanistan est aujourd’hui sur le point de dépasser le Maroc en termes de surfaces cultivées de cannabis. Une révolution.

La politique marocaine d’éradication va avoir un effet inattendu et très encourageant : pour la première fois en 2005, la production mondiale de cannabis va se tasser. Bien sûr, Casablanca n’a pas en main toutes les cartes qui lui permettraient d’enrayer le marché planétaire : de 1995 à 2005, pas moins de 82 pays admettront avoir produit localement du cannabis, et leur nombre réel est sans doute bien plus important : 58 pays seraient en réalité producteurs de résine de cannabis, et 116 producteurs de feuilles de cannabis (marijuana).

Mais le rôle du Maroc était et demeure central. La preuve par les saisies : 58 % des saisies mondiales de résine de cannabis se produisent en Espagne (lors du transit du Maroc vers l’Europe) et 7 % au Maroc lui-même. Bref, sur trois grammes de shit que saisit la planète, deux viennent encore du Maroc. Et près de cent mille familles – 96.600 exactement – continuent à en vivre.

En 1999-2003, quand on demande aux États où s’opèrent des saisies de haschisch d’où proviennent ces trafics, 31 % répondaient (notamment) le Maroc. En 2005, le Maroc n’est plus cité qu’une fois sur cinq, soit 20 %.

Bref, le Maroc peut mieux faire. Mais le pays a démontré ces trois dernières années sa détermination. Au point que la barrette de « shit marocain », si courante dans nos pays depuis vingt ans, pourrait un jour se retrouver au musée. Stupéfiant.

Le Soir - Alain Lallemand

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