Pourquoi les élèves ne « kiffent » pas l’école

24 mars 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

L’école n’excite plus nos élèves. Selon les résultats de l’enquête sur le surmenage scolaire et la dépression, menée par la faculté des sciences Aïn Chock relevant de l’Université Hassan II Casablanca et l’association Amali, plus de la moitié de l’échantillon interrogé (52%) n’apprécient l’école que modérément. En revanche, ils sont près de 40,2% à « l’aimer » contre 6,2% qui ne l’aiment pas du tout.

Pourquoi ce désintérêt ? Au niveau des programmes, l’enquête arrive à la conclusion qu’ils ne sont pas composés d’habiletés sociales, de résolution de problèmes, d’auto-observation, d’auto-évaluation et d’auto renforcement… Ils n’intègrent pas non plus des techniques d’entraînement à la relaxation, indique le Pr. Dennoune Saifaoui, professeur à la faculté des sciences Aïn Chock, en présentant les résultats de l’enquête.

Celle-ci mentionne une crise d’identité des élèves avec une prévalence de 17,3% (voir encadré). Les professeurs parlent d’un « sentiment de soi perturbé, accentué d’un isolement social ». Les élèves nient leur appartenance culturelle (7,72%) et refusent de s’allier à un groupe. Ce qui les enfoncent dans l’anxiété (11,61%) et l’inquiétude par rapport à la vie et au futur. Résultat : tension physique, désintégration de la famille, crise d’autonomie (4,73%), risque suicidaire (7,37%) (idées noires, pensées de mort…).

La réponse des élèves quant à leur mode de vie et leur perception de soi est plus qu’éloquente. Si la plupart se sentent « bien dans leur peau » (65,3%), près de 5% d’entre eux le vivent très mal. Une frange des élèves disent se trouver maigres (13,4%), 2,7% se trouvant malingres. D’autres avouent se trouver plutôt gros (10,1%) et 1,2% d’entre eux obèses. Résultat, l’image qu’ils ont d’eux mêmes est plus qu’écornée à un âge où ils sont plutôt fragiles.

Une autre raison pourrait également donner un élément de réponse : l’environnement familial. L’enquête, qui s’est penchée aussi sur l’éparpillement familial, révèle que 88,6% des élèves vivent avec leur père et 5,3% chez la mère ou le père à cause du divorce. Et ce qu’ils en pensent eux ? Près de 42,3% trouvent leur ambiance familiale moyenne et 41,8% bonne. Et même si les taux restent modérés ce sont tout de même 6,8% qui vivent dans une ambiance tendue et presque tout autant (6,7%) qui cherchent à la fuir.

Toutes ces statistiques laissent croire que « les élèves scolarisés du Grand Casablanca, âgés de 15 à 20 ans, sont plus ou moins favorables au surmenage, l’un des facteurs directs de la dépression avec un taux de risque de 9,98% », indique le Pr Mohssine Benzakour, psychosociologue-enseignant à la faculté des lettres d’El Jadida. Les prévalences sur les 12 derniers mois mentionnent que 10,68% d’élèves sont dépressifs. Il y a urgence. « Les résultats de cette enquête devraient aider les chercheurs à détecter s’il y a un lien entre le surmenage scolaire et la dépression (trouble de l’humeur ou psychique) », indique le Professeur Oum Keltoum El Khlifi de la faculté des sciences Aïn Chock.

Ce n’est pas tout. Les troubles psychiques ne représentent qu’un signe de mal-être. Les manifestations physiologiques en sont un autre. En effet, les données dévoilent une intoxication chronique due à l’accumulation de fatigues successives et trop rapprochées, ainsi qu’une mauvaise répartition du travail intellectuel. L’exercice physique et l’incapacité d’une concentration prolongée en font également partie. Au niveau médical, l’étude détecte de fréquents troubles digestifs et respiratoires.

D’autres signes peuvent également alerter parents et établissements scolaires. Il s’agit de l’aptitude pédagogique dont les défaillances montrent des résultats moins bons, avec une diminution de l’attention et de la mémoire, modification du caractère évoluant, soit vers la dépression soit vers l’excitation.

Et que fait un élève non encadré qui se sent mal dans sa peau et qui vit dans un environnement perturbateur ? Eh bien, il le manifeste aussi en s’adonnant aux drogues (3,46%), à l’alcool (2,74%), et surtout au tabagisme (15%).

Les parents savent-ils seulement que ces manifestations silencieuses, mais paradoxalement criantes, peuvent cacher un mal beaucoup plus sournois ? La dépression. Il est aujourd’hui important de ne pas laisser une petite dépression sans consultation, avertit le Pr. Laurence Garey, chercheur IBRO (International brain research organization-Lausanne, Suisse). « Il faut aller vers les psychologues ou psychiatres dès les premiers signes et ceci cassera le tabou », explique-t-il. D’où la nécessité de la création d’une cellule d’écoute et d’aide aux étudiants et élèves en difficulté au sein des collèges, lycées et universités. L’implication de l’Etat dans la prise en charge de la maladie psychique est aussi nécessaire.

Pour Garey, la dépression est une vraie maladie neurologique. Parmi ses symptômes, l’on peut distinguer le manque de joie et le sens d’oppression ou encore l’incapacité à ressentir des émotions positives, accompagnés d’une modification du poids ou de l’appétit. L’insomnie ou l’hypersomnie, les troubles de la concentration, l’agitation ou l’irritabilité, la fatigue ou le manque d’énergie, ainsi que les sentiments de culpabilité et les idées suicidaires sont les autres signes de la dépression. Les causes de la dépression sont multiples : biologiques (endocrinologique, génétique, neurologique et psychiatrique) ou psychologiques et sociaux (stress, divorce, échec...). Il peut y avoir un effet de médicaments, un abus de substances ou un effet saisonnier. En général, selon Laurence Garey, les troubles dépressifs sont fréquents en milieu scolaire, avec une prévalence de 1-2% à l’âge scolaire et de 4-8% chez les adolescents.

Pour l’OMS, le risque de présenter une dépression majeure au cours de la vie varie de 10 à 25% pour les femmes et de 5 à 12% pour les hommes. Le risque de présenter une dépression dite dysthymique au cours de la vie est de 6%. Malgré cette grande fréquence, la dépression reste très méconnue. Des données du ministère de la Santé précisent qu’une personne sur deux au Maroc a souffert de dépression dans sa vie.

Une note plus positive. L’enquête a aussi cherché à savoir ce que les élèves faisaient de leur temps libre. La tendance est à la passivité. Près de 27,3% d’entre eux regardent la télévision et 12,7% jouent aux jeux sur ordinateur ou vidéo. 3,1% « glandent » tout simplement. Au total, 43,1% des élèves sont passifs. Le sport n’est pas une super-source d’attraction, puisque seulement 4,2% en font. En revanche, la lecture est beaucoup plus prisée si l’on en croit les 10,8% d’élèves qui prennent un livre ou un magazine entre les mains après leur sortie de l’école. 16,3% d’entre eux pratiquent une autre activité, et 12,8% sortent entre copains. Mais le plus fin des fin, c’est que les 8,2% restants font autre chose, sauf que personne ne sait de quoi il s’agit à part eux-mêmes. C’est peut-être de là que naissent les problèmes.

Méthodologie

L’enquête a concerné près de 1.600 élèves des lycées et des 9e des collèges. Près de 2.000 questionnaires ont été distribués auprès de 40 lycées et collèges dans les onze délégations du Grand Casablanca : Anfa, Aïn Chock, Hay Hassani, Derb Sultan- El Fida, Ben Msick, Mohammadia, Nouacer, Tit Mellil… La période était de fin décembre 2006 au 17 février 2007. Le questionnaire a été scindé en huit volets : la famille, la scolarité, les activités extrascolaires, la santé, le tabac, l’alcool, les drogues…

Conflits oedipiens

« LES troubles des adolescents sont plus souvent associés à des conduites agitées et bruyantes plus qu’à des comportements silencieux et à des renoncements », a indiqué Dr. Assia Akesbi Msefer, psychologue et fondatrice de l’Ecole supérieure de psychologie. « Mais les troubles silencieux n’en sont pas moins graves », dit-elle. Les manifestations des adolescents, loin d’être négatives, sont nécessaires. Elles offrent l’occasion aux jeunes de renaître, de muter, de renégocier leurs statuts avec leur environnement familial, bref de régler des conflits oedipiens.

L’Economiste - Fatim-Zohra Tohry

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